Où repérer la nouvelle vague chorégraphique ? J’apprécie particulièrement les espaces où je peux l’entendre m’approcher, la ressentir fouler mes pieds pour en recueillir l’écume. Depuis quelques temps, elle est rarement tempétueuse, quelquefois prometteuse, mais trop souvent silencieuse. Je repense encore à la portugaise Marlène Freitas, à La Vouivre découverts lors du Festival «Questions de Danse» à Marseille, de Yan Raballand au concours «(re)connaissance» à Décines. Ce soir, c’est Angelin Preljocaj, installé au Pavillon Noir d’Aix en Provence depuis six ans qui nous révèle les talents issus de son ballet. Au total, quatre créations qui ont fini par m’éloigner du rivage («So Mo» d’Émilie Lalande, «XX.XY. (une histoire d’Eve et d’Adam)» de Sébastien Durand, «Parce que nous sommes aussi ce que nous avons perdu» de Lorena O’Neill et «Bonsoir Madame la Baronne» de Baptiste Coissieu). Reconnaissons que la tâche est particulièrement difficile. Ils sont membres du ballet, lui-même intégré dans un Centre Chorégraphique National. Le risque est important de générer une danse « consanguine»: comment écrire pour se différencier, tout en étant fidèle, voire reconnaissant? Ce soir, chaque œuvre s’inscrit dans un même contexte institutionnel pesant, à l’image d’une fête de fin d’année d’une grande école. Elles sont une métaphore du positionnement de chacun au sein d’un ballet célébré dans le monde entier...Incontestablement, ces chorégraphes en herbe cherchent leur émancipation.
Au final, que retenir ? Chaque œuvre évoque la transformation, mais le propos ne va pas jusqu’à chorégraphier la métamorphose. Probablement trop risqué. Dans «So Mo» et «XX.XY», on évoque la manipulation psychologique et génétique, soit pour la dénoncer ou la solenniser. Mais cela ne vient pas jusqu’à moi comme si j’assistais de loin à un exercice de style, de (re) production, mais qui n’est pas éprouvé. On noie le pois(s)on à partir d’une exposition performative, en interrogeant le mythe (d’Adam et Eve) mais sans vision politique (et pourtant, la question éthique autour des manipulations génétiques est d'actualité).
Avec Baptiste Coissieu, nous sommes témoin d’un total défoulement (convoquer une baronne déjantée qui s’amuse avec des spectateurs triés sur le volet comme dans un loft story). Plongé dans un cabaret gay, je me questionne sur le sens de la proposition. À part d’y voir le besoin de faire la fête au sein du Ballet pour s’en émanciper. Soit. Mais, c'est un peu court.
Seule Lorena O’Neill s’essaye dans un propos sensible, très personnel autour de la perte. En reconstituant ce processus bien connu de tous, notre empathie est rapidement mobilisée. Mais elle manque de temps pour laisser son empreinte, s’enfermant dans une vision trop linéaire (du poids du deuil à sa libération). La danse illustre un processus mais le corps reste à distance.
Finalement, je n'attendais pas de chorégraphes émergents mais un propos autour de l’émergence. Le poids de l’institution les conduit probablement à reproduire, là où je désirais une rencontre. La danse contemporaine requiert du métissage, de s’inclure dans des réseaux artistiques pour y croiser les esthétiques, de s’immerger dans le tissu social pour y poser sa poétique sur du politique.
Or, ce soir, rien que du trés « classique ».
Pascal Bély-www.festivalier.net
Créations des danseurs du Ballet Preljocaj , "Les Affluents" (Emilie Lalande, Lorena O'Neill, Sébastien Durand, Baptiste
Coissieu) les 4 et 5 février au Pavillon Noir d'Aix en Provence.
Calmement, mais sûrement, nos pas nous conduisent vers eux. L’événement est d’importance mais nous ne sommes pas tous là. Ailleurs, cela aurait été assurément complet. Pas ici. Et pourtant, nous sommes au Ballet National de Marseille. Rien n’y fait. Obsédés par le foot, les médias font-ils seulement attention à ce qu’il y a de plus fragile et de plus beau dans cette ville?
Car ce soir, " Le(ur) sacre" par Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères est un troublant moment de danse. Ils sont vingt et un séniors engagés dans ce «Sacre du printemps. Tableaux de la Russie païenne en deux parties d’Igor Stravinsky» pour trente-huit minutes enivrantes. La feuille de salle les présente comme des "êtres dansants" pour nous rappeler que nous le sommes tous. Le miracle est probablement là : à les voir parcourir la scène et se métamorphoser, eux c’est nous. Tout de noir vêtus et affublés pour la plupart d’entre eux de perruques dont ils se délesteront progressivement, le «Sacre» va les désacraliser et opérer la métamorphose.
Ici, vieillir c’est se mettre en mouvement autour d’un centre de gravité (symbolisé par un puits de lumière dans lequel nous plongerons tous). Tandis qu’un homme s’engage dans une course non pas contre, mais avec la montre, le groupe s’approche, s’éloigne du centre comme entraîné par la force du mouvement collectif. Ils n’ont pas tous le même rythme et pourtant, la tribu n’éclate jamais. Entre l’homme qui court comme un jogger et celui, plus imposant, qui marche doucement pour avancer libre, une évidence s’impose: et si c’était le même homme ? Cette image ne me quitte pas : sur scène, tout se dédouble et je suis l’observateur attentif qui n’en perd pas un de vue pour ressentir le tout. Celui qui court joue ce que la société attend de lui (dénier la vieillesse pour célébrer la performance) tandis que son «double» n’a plus la contrainte d’incarner un rôle social. C’est ce contraste qui « fait » danse et spirale, où le mouvement de chacun produit celui du groupe. Peu à peu, les gestes se font plus relationnels les uns vis-à-vis des autres. Les corps se dévoilent tandis que certains quittent un à un la scène. Elle est seule, seins nus, à rester en piste. Elle nous regarde comme un retour vers la mère, à l’origine du monde. Magnifique humanité!
C’est alors que Thierry Thieû Niang, Stéphanie Auberville et la violoniste Saori Furukawa entreprennent une danse de sept minutes. Je perds l’écho avec « le Sacre ».
A mon âge, il m'arrive d'être un peu sourd...
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Le(ur) Sacre » et « Au Zénith » de Thierry Thieû Niang au Ballet National de Marseille les 10 et 11 décembre 2010.
Crédit photo : ©Marc Strub
Nous voilà rassemblés. Quasiment pas un bruit dans la salle, même pas une toux qui étrangle, quand bien même "cela ne passerait pas". Avec le chorégraphe
allemand Raimund Hoghe, il règne toujours une atmosphère de recueillement, de concentration et d’introspection: sa mise en scène
travaille nos lâcher-prises pour puiser dans nos souvenirs le mouvement fondateur à l'origine de notre lien à la danse. Il lui faut donc du temps, trois fois plus qu’à l’accoutumée. Ce soir, il
nous gratifie de trois heures autour du chorégraphe Dominique Bagouet. Mais pas que…
Je n’ai pas connu Dominique Bagouet, disparu du sida en 1992. Je ne suis pas certain que Raimund Hoghe l’ait approché. Mais pour la création "Si je meurs laissez le balcon ouvert", il a travaillé dès 2009 à partir de vidéos mis à disposition par Montpellier Danse. Où est donc passé ce chorégraphe d’exception dans les programmations actuelles? Pourquoi la danse, à l’instar du théâtre, ne célèbre-t-elle pas ceux qui l’ont porté ? Cet art peut-il se régénérer s’il ne «nomme pas le vide, avant de le remplir» comme le souligne Raimund Hoghe ? La pièce de ce soir, n’est pas seulement une évocation de Dominique Bagouet : c’est aussi l’œuvre de Hoghe dans les pas d’un autre. Une danse sur la danse. Pour mener à bien ce processus, il guide ses huit danseurs interprètes (tous exceptionnels) vers son cérémonial pour célébrer tout à la fois Dominique Bagouet, sa maladie et les artistes disparus du sida.
Cet enchevêtrement de niveaux de lecture provoque un émerveillement total quand le mouvement est découpé, avec précision seul ou à plusieurs pour magnifier la
puissance de Bagouet. Là où Hoghe pose la toile, ses danseurs sont des pinceaux voltigeurs qui font valser les couleurs jusqu’à parfois nous éclabousser de leurs présences scéniques.
L’émotion vous prend à la gorge quand Marion Ballester et Takashi Ueno dansent le désir d’un amour fou et impossible. Emmanuel Eggermont est
saisissant lorsqu'il incarne un danseur rock aux ailes fragiles ou quand il parcourt la scène avec son corps désarticulé d’homme en proie aux tourments de la quête du sens.
Mais il arrive parfois que je m’égare dans les rituels trop compassionnels (renforcée par une bande-son travaillée à cet effet) autour du sida de Dominique
Bagouet. Je repense à mes amis disparus alors qu’apparaît et s’efface le corps bossu de Raimund Hoghe ; la tristesse m’envahit quand il enfile une robe de nuit aperçue dans «Café Müller»
de Pina Bausch (il a été son dramaturge). Tout se bouscule, je perds le fil et ressens une énorme fatigue: Bagouet, Pina, Thierry et tous les autres…
Mais il y a Raimund Hoghe. Il y a quatre ans, j'ai croisé sa route au Festival Montpellier Danse. À chacune de nos rencontres, j'ai compris pourquoi la danse était tapie au fond de moi. Il est bossu, mon corps m’a longtemps fait souffrir lorsque j’étais enfant. Il célèbre les morts du sida quand j’ai dû jeune adulte endurer le corps maculé de tâches de Kaposi de mes amis et entaché du regard des autres. Avec trois cailloux et deux oranges, Raimund Hoghe métamorphose une scène alors qu’enfant je me contentais de peu pour créer un monde plus accueillant. Ce soir, je sais que je remplis le vide, que je suis traversé par mes histoires de corps. Comment faire la part des choses entre Dominique Bagouet, eux, lui et moi ?
La danse tisse des liens, provoque des nœuds et m’emmêle. Raimund Hoghe tire mes ficelles pour m’emmener vers lui et me conduire vers vous.
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Si je meurs laissez le balcon ouvert » de Raimund Hoghe au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne de Paris
du 8 au 11 décembre 2010.
Crédit Photo: Rosa Franck.
Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain
Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur
France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre, «La société du mépris de soi : de
l'Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom" l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa
part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la
séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François
Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car "Tout va bien" évoque précisément
les processus qui conduisent à l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui
ricane au lieu de consoler ?
Dans le contexte actuel, «Questions de Danse» est en soi un petit miracle. Imaginez neuf propositions chorégraphiques en cours d'élaboration où l'après spectacle avec le public, animé avec panache par Michel Kelemenis, s'inscrit dans le processus de création. Pour impulser cette démarche, il s'engage à faire venir les chorégraphes à Marseille invités en "préambule" du festival DANSEM, manière élégante d'échauffer le spectateur, les artistes et les programmateurs. Chacun est «parrainé» par une structure (Maison de la Danse de Lyon, CND Pantin, Théâtre Sévelin de Lausanne, El Teatro de Tunis, CDC Uzès Danse, 3 bis F d'Aix en Provence, Le Cuvier de Feydeau, Danse à Lille). Ainsi, la mise en réseau des institutions facilite la communication avec le public! Pour cette 5ème édition, neuf propositions nous sont présentées dont six vues par votre serviteur.
Cette année, « Question de Danse » dessine un paysage chorégraphique fait de plaines et de montagnes, d'où se dégagent des climats contrastés. Le
spectateur se promène parfois, s'arrête ou passe son chemin. Ici, il ne s'agit pas d'évaluer l'œuvre, mais de ressentir l’accueil du public dans le processus.
Avec la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, la création est prête. « Je ne vois pas la femme
cachée dans la forêt» sera présentée dans une semaine à Genève. Ce soir, nous avons droit à la bande-annonce! A l'issue des vingt minutes, la frustration est palpable. Perrine Valli
articule à merveille la narration et l'abstraction donnant toute liberté au spectateur de faire son parcours entre corps sculptés par la danse et cadre métallique considéré comme un espace de
projection picturale. Mais cette présentation ne permet pas d'entrer dans le processus de création d'autant plus que, si la danse de Perrine Valli offre une liberté, la froideur de l'ensemble
ne facilite pas le dialogue. À voir donc dans son intégralité au Festival Faits d'Hiver à Paris les 14 et 15 janvier 2011. J'y
serai!
Deux propositions se sont clairement inscrites dans le principe de «Question de Danse». La première, de l'actrice Céline Romand et du
chorégraphe Christian Ubl, est un travail de recherche. «La Semeuse», est un dialogue entre danse et théâtre (à partir d'une
nouvelle de Fabrice Melquiot). Ici, la traversée est encore très fragile, car la danse ne se laisse pas «théâtraliser» facilement d'autant plus qu'entre abstraction et
narration, le duo est en « travail ». À ce stade du processus, un dispositif plus intime avec les créateurs aurait été préférable pour qu'un retour ne soit pas entendu comme une évaluation de
l'œuvre, mais comme participant à la recherche. Le spectateur y a toute sa place, car l'exploration d’un nouveau langage est aussi son «travail». Pourquoi ne pas l'associer pour inclure dans le
temps de la création, un temps partagé? La pièce sera jouée en avril 2011 au 3 bis F d'Aix en Provence.
La deuxième est présentée par Thomas Lebrun pour une «traversée» très étonnante. Avec «Six order
pieces», les prémices sont inversées. Des collaborateurs (une vidéaste, un créateur lumière, une chorégraphe..) proposent et Thomas Lebrun dispose! Imaginerait-on en France un manager
proposer à son équipe: «posez le cadre pour que je crée»? De notre place, nous ne percevons pas ce processus et c'est l'après-spectacle qui donne les clefs. Le dialogue qui s'engage
entre Thomas Lebrun, Jean-Marc Serre (le créateur lumière) et Michel Kelemenis stimule la participation du public comme si la remise en jeu de la posture du chorégraphe
interrogeait la perception du spectateur sur la place du créateur. Avec «Six order pieces», Thomas Lebrun pourrait imaginer un après-spectacle où, son équipe assise dans les gradins,
assisterait à un échange entre spectateurs autour de ce changement de prémice. Cela serait d'autant plus intéressant que le travail de Thomas Lebrun est profond et permet toutes les audaces
d'interprétation. A voir au printemps prochain à «Danse à Lille»!
Nejib Ben Khalfallah nous vient de Tunisie. «Mnema» est une danse très théâtralisée, sorte de «rêve mouvementé» (pour reprendre
l'expression d'une des danseuses). Ici, l'après-spectacle avec le public provoque un dialogue brut, animé, sans langue de bois, comme si la distance entre le créateur et le spectateur était
l'objet même du travail. Distance mise en scène par la compagnie Androphyne dirigée par Pierre-Johann Suc et Magali Pobel. « […] ou
pas » est encore à l’état d’embryon et a sans doute besoin d’un propos assumé pour que les spectateurs (acteurs de la pièce) puissent dans l’avenir s’inscrire dans un processus de
co-construction.
Avec "Guintche", la portugaise Marlene Freitas réussit une forme
d’exploit. Celle de nous présenter une étape de création stupéfiante et jamais vue ailleurs, mise en dialogue avec le public avec une belle sincérité. Sidérés par la proposition, nous avons
applaudis chaleureusement cette transe où le corps explore la musique tel un organe vivant.
Ici «Question de Danse» se fait murmure pour laisser Marlène travailler et nous revenir. A coup sûr, c’est une grande. Parole de
spectateur.
Pascal Bély - www.festivalier.net.
"Question de danse" du 26 octobre au 6 novembre 2010 à Marseille.
Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».
abolition.fr from matray on Vimeo.
Le 10 octobre 2010 à Paris, le chorégraphe Philippe Lafeuille avec le collectif "Ensemble contre la peine de mort" organisait un flashmob sur le parvis du Centre Georges Pompidou. Un vidéaste "Matray" a filmé les répétitions de ce travail.
Le résultat est profondément touchant: il accompagne la chorégraphie percutante de Philippe Lafeuille par des mouvements de caméra qui amplifient le non-sens de la
peine capitale encore pratiquée dans de nombreux pays. Ici une danse engagée, promue à partir de nos intelligences connectées, rencontre la vidéo. Ainsi, internet joue à fond son rôle de média
horizontal: celui d'amplifier les processus créatifs. Nous n'en avons pas fini avec cette révolution numérique qui réinvente les formes de l'engagement politique.
Pascal Bély - www.festivalier.net.
«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas ». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’œuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l'artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l'œil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font œuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d'accès à un art qui fait lien, quoiqu'on en dise...
Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale...jusqu'à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier...À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »...
À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J'imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J'imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d'autant plus qu'Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d'oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s'enchevêtrent. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu'Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d'une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N'est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu.
Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d'échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.
À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J'aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.
Parce que c'est politique.
Pascal Bély - www.festivalier.net
«While we were holding it together » d' Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.
Crédit photo: Yi-Chun Wu.