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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 15:52
Il arrive parfois que la danse contemporaine nous tende un miroir à mille facettes. Où en sommes-nous? N'avez-vous rien remarqué autour de vous? Mais où suis-je?
Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb a une sensibilité bien particulière pour restituer sur un plateau «ce que nous sommes», titre de sa dernière création.
Ils sont cinq dont une qui n'a pas tout à fait l'allure d'une danseuse (magnifique Alice Daquet, alias Sir Alice): de sa robe moulante transparaît de jolies formes (incarnerait-elle Radhouane?). Elle est le «corps social» et porte les stigmates de l'abandon. Elle a cette colère froide, de ceux qui n'ont aujourd'hui plus grand-chose à perdre. Elle observe souvent, se mêle au groupe sans y être. Elle est le «politique» au sein d'un collectif qui ne sait plus comment s'y prendre pour lutter contre la solitude des individus.
Par un subtil jeu de lumières, ils se dévoilent peu à peu. Deux hommes (troublants Olivier Balzarini et Christian Ben Aïm) et une jeune femme  (puissante Anne Foucher), élégamment habillés s’entremêlent tandis qu'une autre, à l'allure fougueuse (étrange Margot Dorléans), (se) cherche. La scénographie d'Anne Tolleter (collaboratrice de Mathilde Monnier) fait encore des miracles: à l'image de la bordure d'un tableau, elle a posé des gravillons noirs et argentés tout autour de la scène. À tour de rôle, ils marchent sur cette étroite bande dont le bruit produit le frisson à l'arrivée de celui que l'on attendait plus, à moins que ce ne soit le son de la relation...À ce tableau, il faut ajouter la musique de Sir Alice: tout aussi profonde que la danse de  Radhouane El Meddeb, elle nous enveloppe et nous donne l'énergie de ne pas lâcher un seul mouvement. Voudrait-elle nous inclure? Et si nous étions le sixième acteur de ce huit clos ?
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Peu à peu, du repli sur soi, enfermé dans leur bulle virtuelle (qui finit par rendre fou), chacun marche en préférant la diagonale pour tisser la toile. Une tête se pose sur le corps de l'autre tandis que des gestes de rien du tout créent la relation de confiance. On se porte, on se supporte. Il y a peu d'envolées, mais que l'on ne s'y trompe pas: les craintes et les désirs s'entrechoquent en silence. Que ces fils paraissent fragiles!  Ces gestes lents créent la partition d'une étonnante chorégraphie poétique où la personne incarne le «tous». C'est puissant parce que nous sommes toujours à ces deux niveaux en même temps: l'individu et le groupe.
Lentement, les corps se répondent, le collectif prend du relief. Tout un paysage relationnel se dévoile: aux sons des gravillons, se superposent le bruit des baisers et des bisous. La créativité de chacun s'exprime dans un cadre sécurisant, l'érotisme s'approche et le désir amoureux fourbit ses armes. Comment  façonner l'autre à notre image? Est-ce l'autre que nous chérissons? N'est-ce pas plutôt la relation (névrotique si possible) que nous cherchons?
C'est à ce moment précis que le groupe bascule dans une violence inouïe. Alors que nos connaissances sur la psychologie n'ont plus rien à avoir avec ce que savaient nos parents, nous semblons les utiliser pour «jeter» l'autre comme une marchandise. Le corps intime et le corps social se fondent peu à peu dans le consumérisme le plus abject où leur marchandisation côtoie le principe de précaution qui voit dans «l'autre» une possible menace. Radhouane El Meddeb dévoile ici son impuissance à se représenter une issue à cette violence née de nos solitudes contemporaines et de notre incapacité à repenser le collectif en dehors des dogmes qui l'ont jadis structuré. Car aujourd'hui, c'est bien  le corps jeté (les suicidés de France Telecom, le corps immolé en Tunisie et ailleurs) qui ouvre la voie à «notre» reconstruction.
Le corps est une bombe. Radhouane El Meddeb est un démineur en Fa Majeur.
Pascal Bély - Le Tadorne.
« Ce que nous sommes » par Radhouane El Meddeb le 25 février 2011 dans le cadre du festival « Les Hivernales».
Crédit photo: Agathe Poupeney.

 

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 23:30

Où repérer la nouvelle vague chorégraphique ? J’apprécie particulièrement les espaces où je peux l’entendre m’approcher, la ressentir fouler mes pieds pour en recueillir l’écume. Depuis quelques temps, elle est rarement tempétueuse, quelquefois prometteuse, mais trop souvent silencieuse. Je repense encore à la portugaise Marlène Freitas, à La Vouivre découverts lors du Festival «Questions de Danse» à Marseille, de Yan Raballand au concours «(re)connaissance» à Décines. Ce soir, c’est Angelin Preljocaj, installé au Pavillon Noir d’Aix en Provence depuis six ans qui nous révèle les talents issus de son ballet. Au total, quatre créations qui ont fini par m’éloigner du rivage («So Mo» d’Émilie Lalande, «XX.XY. (une histoire d’Eve et d’Adam)» de Sébastien Durand, «Parce que nous sommes aussi ce que nous avons perdu» de Lorena O’Neill et «Bonsoir Madame la Baronne» de Baptiste Coissieu). Reconnaissons que la tâche est particulièrement difficile. Ils sont membres du ballet, lui-même intégré dans un Centre Chorégraphique National.  Le risque est important de générer une danse « consanguine»: comment écrire pour se différencier, tout en étant fidèle, voire reconnaissant? Ce soir, chaque œuvre s’inscrit dans un même contexte institutionnel pesant, à l’image d’une fête de fin d’année d’une grande école. Elles sont une métaphore du positionnement de chacun au sein d’un ballet célébré dans le monde entier...Incontestablement, ces chorégraphes en herbe cherchent leur émancipation.

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Au final, que retenir ? Chaque œuvre évoque la transformation, mais le propos ne va pas jusqu’à chorégraphier la métamorphose. Probablement trop risqué. Dans «So Mo» et «XX.XY», on évoque la manipulation psychologique et génétique, soit pour la dénoncer ou la solenniser. Mais cela ne vient pas jusqu’à moi comme si j’assistais de loin à un exercice de style, de (re) production, mais qui n’est pas éprouvé. On noie le pois(s)on à partir d’une exposition performative, en interrogeant le mythe (d’Adam et Eve) mais sans vision politique (et pourtant, la question éthique autour des manipulations génétiques est d'actualité).

Avec Baptiste Coissieu, nous sommes témoin d’un total défoulement (convoquer une baronne déjantée qui s’amuse avec des spectateurs triés sur le volet comme dans un loft story). Plongé dans un cabaret gay, je me questionne sur le sens de la proposition. À part d’y voir le besoin de faire la fête au sein du Ballet pour s’en émanciper. Soit. Mais, c'est un peu court.

Seule Lorena O’Neill s’essaye dans un propos sensible, très personnel autour de la perte. En reconstituant ce processus bien connu de tous, notre empathie est rapidement mobilisée. Mais elle manque de temps pour laisser son empreinte, s’enfermant dans une vision trop linéaire (du poids du deuil à sa libération). La danse illustre un processus mais le corps reste à distance.

Finalement, je n'attendais pas de chorégraphes émergents mais un propos autour de l’émergence. Le poids de l’institution les conduit probablement à reproduire, là où je désirais une rencontre. La danse contemporaine requiert du métissage, de s’inclure dans des réseaux artistiques pour y croiser les esthétiques, de s’immerger dans le tissu social pour y poser sa poétique sur du politique.

Or, ce soir, rien que du trés « classique ».

Pascal Bély-www.festivalier.net

Créations des danseurs du Ballet Preljocaj , "Les Affluents" (Emilie Lalande, Lorena O'Neill, Sébastien Durand, Baptiste Coissieu) les 4 et 5 février au Pavillon Noir d'Aix en Provence.

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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 09:34

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Calmement, mais sûrement, nos pas nous conduisent vers eux. L’événement est d’importance mais nous ne sommes pas tous là. Ailleurs, cela aurait été assurément complet. Pas ici. Et pourtant, nous sommes au Ballet National de Marseille. Rien n’y fait. Obsédés par le foot, les médias font-ils seulement attention à ce qu’il y a de plus fragile et de plus beau dans cette ville?

Car ce soir, " Le(ur) sacre" par Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères est un troublant moment de danse. Ils sont vingt et un séniors engagés dans ce «Sacre du printemps. Tableaux de la Russie païenne en deux parties d’Igor Stravinsky» pour trente-huit minutes enivrantes. La feuille de salle les présente comme des "êtres dansants" pour nous rappeler que nous le sommes tous. Le miracle est probablement là : à les voir parcourir la scène et se métamorphoser, eux c’est nous. Tout de noir vêtus et affublés pour la plupart d’entre eux de perruques dont ils se délesteront progressivement, le «Sacre» va les désacraliser et opérer la métamorphose.

Ici, vieillir c’est se mettre en mouvement autour d’un centre de gravité (symbolisé par un puits de lumière dans lequel nous plongerons tous). Tandis qu’un homme  s’engage dans une course non pas contre, mais avec la montre, le groupe s’approche, s’éloigne du centre comme entraîné par la force du mouvement collectif.  Ils n’ont pas tous le même rythme et pourtant, la tribu n’éclate jamais. Entre l’homme qui court comme un jogger et celui, plus imposant, qui marche doucement pour avancer libre, une évidence s’impose: et si c’était le même homme ? Cette image ne me quitte pas : sur scène, tout se dédouble et je suis l’observateur attentif qui n’en perd pas un de vue pour ressentir le tout. Celui qui court joue ce que la société attend de lui (dénier la vieillesse pour célébrer la performance) tandis que son «double» n’a plus la contrainte d’incarner un rôle social. C’est ce contraste qui « fait » danse et spirale, où le mouvement de chacun produit celui du groupe. Peu à peu, les gestes se font plus relationnels les uns vis-à-vis des autres. Les corps se dévoilent tandis que certains quittent un à un la scène. Elle est seule, seins nus, à rester en piste. Elle nous regarde comme un retour vers la mère, à l’origine du monde. Magnifique humanité!

C’est alors que Thierry Thieû Niang, Stéphanie Auberville et la violoniste Saori Furukawa entreprennent une danse de sept minutes. Je perds l’écho avec « le Sacre ». 

A mon âge, il m'arrive d'être un peu sourd...

Pascal Bély - www.festivalier.net

« Le(ur) Sacre » et « Au Zénith » de Thierry Thieû Niang au Ballet National de Marseille les 10 et 11 décembre 2010.

Crédit photo : ©Marc Strub

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14 décembre 2010 2 14 /12 /décembre /2010 15:50

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Nous voilà rassemblés. Quasiment pas un bruit dans la salle, même pas une toux qui étrangle, quand bien même "cela ne passerait pas". Avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe, il règne toujours une atmosphère de recueillement, de concentration et d’introspection: sa mise en scène travaille nos lâcher-prises pour puiser dans nos souvenirs le mouvement fondateur à l'origine de notre lien à la danse. Il lui faut donc du temps, trois fois plus qu’à l’accoutumée. Ce soir, il nous gratifie de trois heures autour du chorégraphe  Dominique Bagouet. Mais pas que…

 

Je n’ai pas connu Dominique Bagouet, disparu du sida en 1992. Je ne suis pas certain que Raimund Hoghe l’ait approché. Mais pour la création "Si je meurs laissez le balcon ouvert", il a travaillé dès 2009 à partir de vidéos mis à disposition par Montpellier Danse. Où est donc passé ce chorégraphe d’exception dans les programmations actuelles? Pourquoi la danse, à l’instar du théâtre, ne célèbre-t-elle pas ceux qui l’ont porté ? Cet art peut-il se régénérer s’il ne «nomme pas le vide, avant de le remplir» comme le souligne Raimund Hoghe ? La pièce de ce soir, n’est pas seulement une évocation de Dominique Bagouet : c’est aussi l’œuvre de Hoghe dans les pas d’un autre. Une danse sur la danse. Pour mener à bien ce processus, il guide ses huit danseurs interprètes (tous exceptionnels) vers son cérémonial pour célébrer tout à la fois Dominique Bagouet, sa maladie et les artistes disparus du sida.

Cet enchevêtrement de niveaux de lecture provoque un émerveillement total quand le mouvement est découpé, avec précision seul ou à plusieurs pour magnifier la puissance de Bagouet.  Là où Hoghe pose la toile, ses danseurs sont des pinceaux voltigeurs qui font valser les couleurs jusqu’à parfois nous éclabousser de leurs présences scéniques. L’émotion vous prend à la gorge quand Marion Ballester et Takashi Ueno dansent le désir d’un amour fou et impossible. Emmanuel Eggermont est saisissant lorsqu'il incarne un danseur rock aux ailes fragiles ou quand il parcourt la scène avec son corps désarticulé d’homme en proie aux tourments de la quête du sens.
Mais il arrive parfois que je m’égare dans les rituels trop compassionnels (renforcée par une bande-son travaillée à cet effet) autour  du sida de Dominique Bagouet. Je repense à mes amis disparus alors qu’apparaît et s’efface le corps bossu de Raimund Hoghe ; la tristesse m’envahit quand il enfile une robe de nuit aperçue dans «Café Müller» de Pina Bausch (il a été son dramaturge). Tout se bouscule, je perds le fil et ressens une énorme fatigue:  Bagouet, Pina, Thierry et tous les autres…

Mais il y a Raimund Hoghe. Il y a quatre ans, j'ai croisé sa route au Festival Montpellier Danse. À chacune de nos rencontres, j'ai compris pourquoi la danse était tapie au fond de moi. Il est bossu, mon corps m’a longtemps fait souffrir lorsque j’étais enfant.  Il célèbre les morts du sida quand j’ai dû jeune adulte endurer le corps maculé de tâches de Kaposi de mes amis et entaché du regard des autres. Avec trois cailloux et deux oranges, Raimund Hoghe métamorphose une scène alors qu’enfant je me contentais de peu pour créer un monde plus accueillant. Ce soir, je sais que je remplis le vide, que je suis traversé par mes histoires de corps. Comment faire la part des choses entre Dominique Bagouet, eux, lui et moi ?

La danse tisse des liens, provoque des nœuds et m’emmêle. Raimund Hoghe tire mes ficelles pour m’emmener vers lui et me conduire vers vous.
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Si je meurs laissez le balcon ouvert » de Raimund Hoghe au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne de Paris du 8 au 11 décembre 2010.

Crédit Photo: Rosa Franck.

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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 14:06

Tout-Va-Bien_theatre_fiche_spectacle_une.jpg
Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l'Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom" l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car "Tout va bien" évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

 

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d'un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d'Avignon, lors de scènes inoubliables.

 

Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage

 

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 15:59

 

 Comment va la danse ? Des journalistes se penchent régulièrement sur la question : entre Daniel Conrod de Télérama qui pense qu’elle peine à se renouveler et Philippe Noisette des Inrocks qui vante sa vitalité, rien n’est tranché. Toujours est-il que l’automne 2010, nous a offert deux manifestations pour évaluer la dynamique.  «Question de Danse» proposée par Michel Kelemenis à Marseille (des chorégraphes présentent un processus de création puis engagent un dialogue avec le public), nous a éclairés avec deux noms sortis du lot (la Portugaise Marlène Freitas et le français Thomas Lebrun ont bouleversés). 
Trois semaines plus tard, le concours chorégraphique « (re) connaissance » piloté par la Maison de la Danse de Lyon, le CDC Pacifique de Grenoble et accueilli par le Toboggan à Décines, semble vouloir se positionner comme un événement incontournable pour dénicher les talents malgré un système de diffusion qui paraît traverser une crise très inquiétante. Au total, onze compagnies concourent avec trois prix : deux attribués par un jury de professionnels, un par le public. La danse est un langage qui parle à tous: après avoir délibéré chacun de leur côté, on aurait pu imaginer que spectateurs et professionnels échangent publiquement, en éclaireurs, pour se nourrir les uns des autres et décerner le «prix du partage». La sortie de crise nécessitera d’inventer des systèmes d’interactions qui empruntent des chemins de traverse… 
Pour la première soirée (je n’ai pas pu assister à la deuxième), j’ai retenu une proposition. Je fais volontairement l’impasse sur la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, vue et appréciée à Questions de Danse, prochainement à l’affiche du Festival Faits d’Hiver à Paris : sa présence dans ce concours était-elle vraiment justifiée?

 


Saluons le très beau travail de Yan Raballand qui, avec «Viola», a réuni professionnels et spectateurs lors des applaudissements pour finalement remporter le prix du public (je vous invite à regarder la vidéo où ce jeune chorégraphe parle de son travail).
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Quatre  interprètes très «habités»  (Evguénia Chtchelkova, Bérengère Fournier, Jean Camille Goimard, Aurélien Le Glaunec) sur une musique de Walter FähndrichViola II») entreprennent une danse collective d’où se dégage une grâce époustouflante. Je ressens une filiation avec Anne Teresa de Keersmaeker, dans cette façon de répéter un mouvement (souvent ample, gracieux  et circulaire à partir des bras) tout en bousculant notre perception : tout change, parce que rien ne change ! Les moments où les corps basculent comme des statues prêtes à tomber sont sublimes : le déséquilibre de chacun nourrit l’équilibre de tous. Lorsqu’ils s’immobilisent, ils créent le contraste avec le mouvement et le mettent en relief. Saisissant. Je reconnais l’influence du chorégraphe Michel Kelemenis dans ce désir d’entrer dans la musique à partir du mouvement pour amplifier les processus du collectif.
Avec leur petite taille, ces quatre danseurs composent une partition chorégraphique d’une telle légèreté (avec cette étrange impression que le corps pèse deux plumes) qu’elle envoie des vibrations vers la salle délestées d’un propos qu’il faudrait comprendre. Yan Raballand chorégraphie sa vision du lien (on devrait donner cette consigne à tous pour concourir !) et c’est splendide. Avec peu d’espaces, sans envolées lyriques, il réussit une danse qui créée du souffle (au sens propre, comme au figuré) où l’unisson n’est pas une forme, mais bien un processus qui vient traverser le spectateur. C’est élégant, raffiné, précieux. Cette exigence lui permet toutes les audaces. Elle nous guide vers  un futur où la danse touche, quitte à ne plus la comprendre.
Pascal Bély - www.festivalier.net

Concours "Re"connaissance à Decines (69) les 26 et 27 novembre 2010.
Premier prix du jury: Compagnie Etant Donné - Frédérike Unger et Jérôme Ferron.
Deuxième prix du jury: Ambra Senatore - Compagnie Ambra Senatore.
Prix du public: Compagnie Contrepoint - Yan Raballand.
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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 15:18

Dans le contexte actuel, «Questions de Danse» est en soi un petit miracle. Imaginez neuf propositions chorégraphiques en cours d'élaboration où l'après spectacle avec le public, animé avec panache par Michel Kelemenis, s'inscrit dans le processus de création. Pour impulser cette démarche, il s'engage à faire venir les chorégraphes à Marseille invités en "préambule" du festival DANSEM, manière élégante d'échauffer le spectateur, les artistes et les programmateurs. Chacun est «parrainé» par une structure (Maison de la Danse de Lyon, CND Pantin, Théâtre Sévelin de Lausanne, El Teatro de Tunis, CDC Uzès Danse, 3 bis F d'Aix en Provence, Le Cuvier de Feydeau, Danse à Lille). Ainsi, la mise en réseau des institutions facilite la communication avec le public! Pour cette 5ème édition, neuf propositions nous sont présentées dont six vues par votre serviteur.

Cette année, « Question de Danse » dessine un paysage chorégraphique fait de plaines et de montagnes, d'où se dégagent des climats contrastés. Le spectateur se promène parfois, s'arrête ou passe son chemin. Ici, il ne s'agit pas d'évaluer l'œuvre, mais de ressentir l’accueil du public dans le processus.
Avec la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, la création est prête. « Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt» sera présentée dans une semaine à Genève. Ce soir, nous avons droit à la bande-annonce! A l'issue des vingt minutes, la frustration est palpable. Perrine Valli articule à merveille la narration et l'abstraction donnant toute liberté au spectateur de faire son parcours entre corps sculptés par la danse et cadre métallique considéré comme un espace de projection picturale. Mais cette présentation ne permet pas d'entrer dans le processus de création d'autant plus que, si la danse de Perrine Valli offre une liberté, la froideur de l'ensemble ne facilite pas le dialogue. À voir donc dans son intégralité au Festival Faits d'Hiver à Paris les 14 et 15 janvier 2011. J'y serai!
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Deux propositions se sont clairement inscrites dans le principe de «Question de Danse». La première, de l'actrice Céline Romand et du chorégraphe Christian Ubl, est un travail de recherche. «La Semeuse», est un dialogue entre danse et théâtre (à partir d'une nouvelle de Fabrice Melquiot). Ici, la traversée est encore très fragile, car la danse ne se laisse pas «théâtraliser» facilement d'autant plus qu'entre abstraction et narration, le duo est en « travail ». À ce stade du processus, un dispositif plus intime avec les créateurs aurait été préférable pour qu'un retour ne soit pas entendu comme une évaluation de l'œuvre, mais comme participant à la recherche. Le spectateur y a toute sa place, car l'exploration d’un nouveau langage est aussi son «travail». Pourquoi ne pas l'associer pour inclure dans le temps de la création, un temps partagé? La pièce sera jouée en avril 2011 au 3 bis F d'Aix en Provence.
La deuxième est présentée par Thomas Lebrun pour une «traversée» très étonnante. Avec «Six order pieces», les prémices sont inversées. Des collaborateurs (une vidéaste, un créateur lumière, une chorégraphe..) proposent et Thomas Lebrun dispose! Imaginerait-on en France un manager proposer à son équipe: «posez le cadre pour que je crée»? De notre place, nous ne percevons pas ce processus et c'est l'après-spectacle qui donne les clefs. Le dialogue qui s'engage entre Thomas Lebrun, Jean-Marc Serre (le créateur lumière) et Michel Kelemenis stimule la participation du public comme si la remise en jeu de la posture du chorégraphe interrogeait la perception du spectateur sur la place du créateur. Avec «Six order pieces», Thomas Lebrun pourrait imaginer un après-spectacle où, son équipe assise dans les gradins, assisterait à un échange entre spectateurs autour de ce changement de prémice. Cela serait d'autant plus intéressant que le travail de Thomas Lebrun est profond et permet toutes les audaces d'interprétation. A voir au printemps prochain à «Danse à Lille»!
Nejib Ben Khalfallah nous vient de Tunisie. «Mnema» est une danse très théâtralisée, sorte de «rêve mouvementé» (pour reprendre l'expression d'une des danseuses). Ici, l'après-spectacle avec le public provoque un dialogue brut, animé, sans langue de bois, comme si la distance entre le créateur et le spectateur était l'objet même du travail. Distance mise en scène par la compagnie Androphyne dirigée par Pierre-Johann Suc et Magali Pobel. « […] ou pas » est encore à l’état d’embryon et a sans doute besoin d’un propos assumé pour que les spectateurs (acteurs de la pièce) puissent dans l’avenir s’inscrire dans un processus de co-construction.
Avec  "Guintche", la portugaise Marlene Freitas réussit une forme d’exploit. Celle de nous présenter une étape de création stupéfiante et jamais vue ailleurs, mise en dialogue avec le public avec une belle sincérité. Sidérés par la proposition, nous avons applaudis chaleureusement cette transe où le corps explore la musique tel un organe vivant.

Ici «Question de Danse» se fait murmure pour  laisser Marlène travailler et nous revenir. A coup sûr, c’est une grande. Parole de spectateur.
Pascal Bély - www.festivalier.net.


"Question de danse" du 26 octobre au 6 novembre 2010 à Marseille.

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10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 00:00

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© Nicolas Couturier

Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».


Mais…, Jacques à dit : un…, deux…, trois…,  vingt quatre…, soleil… 
C’est comme un grand jeu d’enfant pour nous dire seul et ensemble.
Comme un coloriage en 24 corps pour nous offrir un dessin vivant. 
Comme un happening de créativités individuelles pour former un corps social. 
Comme un idéal participatif où l’un plus les autres, en co-apprenant, constituent un tout et où, si l’un manque, le sens s’appauvrit. 
Comme une utopie d’amour enfantine qui fait que l’on est prêt à aller jusqu’à l’épuisement pour être de la partie improvisée sur la cour…
Comme un « rêve » que l’on « oublie » en devenant « grand »…
Comme un peut être compatible avec deux et plus, sans combat, dans le projet d’une réalisation qui tient du désir à vouloir créer, co-créer, un espace collectif qui ne prend pleinement sens que dans l’addition.
Boris Charmatz et ses compagnons de jeu nous offrent, en ces temps de colère, une vision ouverte où se projeter dans un être ensemble créatif. On aimerait alors monter sur la scène pour participer au tableau hypnotique et caresser la confirmation que l’on est moins sans l’autre, et inversement.
S’il a créé, comme il le dit, un « trou de danse », ce serait pour y glisser nos imaginaires « utopistes » ; mais aussi pour y laisser entrer, par les courtes phrases que chacun amène, les univers de multiples chorégraphes habitant l’histoire individuelle des corps en mouvement. En ce sens, c’est autant  au Roland Barthes de «Fragments du discours amoureux» qu’à celui de «Le neutre» ou «Comment vivre ensemble» que le propos me renvoie .
Cette danse mouvante et fluide, ce kaléidoscope de grains de sable humains qui se resserrent et se déploient, se frottent ou s’éloignent, ouvrent en grand les fenêtres. Les grammaires qui composent nos liens à l’autre ( à côté, avec, contre, sans, qui), trouvent là un espace où se déployer.
Boris Charmatz n’a pas pu créer l’objet dont il avait rêvé, les danseurs, épuisés, ne pouvaient pas tenir les 4 heures imaginées et les contraintes à lever quant à la place du public n’ont pu être résolues. Qu’importe, il a réussi à écrire le beau songe d’une danse « méduse » partagée, il a ouvert un espace empli d’une vitalité salutaire.
Là où le sculpteur enlève de la matière pour faire apparaître l’œuvre, il a, lui, ajouté de l’être pour faire advenir une belle création.
Bernard Gaurier - www.festivalier.net
« Levée des conflits » de Boris Charmatz au festival mettre en scène à Rennes du 4 au 6 novembre - Au théâtre de la ville à Paris du 26 au 28 novembre - A Bonlieu/scène nationale d’Annecy les 23 et 24 février 2011.

 

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21 octobre 2010 4 21 /10 /octobre /2010 09:44

Le 10 octobre 2010 à Paris, le chorégraphe Philippe Lafeuille avec le collectif "Ensemble contre la peine de mort" organisait un flashmob sur le parvis du Centre Georges Pompidou. Un vidéaste "Matray" a filmé les répétitions de ce travail.

Le résultat est profondément touchant: il accompagne la chorégraphie percutante de Philippe Lafeuille par des mouvements de caméra qui amplifient le non-sens de la peine capitale encore pratiquée dans de nombreux pays. Ici une danse engagée, promue à partir de nos intelligences connectées, rencontre la vidéo. Ainsi, internet joue à fond son rôle de média horizontal: celui d'amplifier les processus créatifs. Nous n'en avons pas fini avec cette révolution  numérique qui réinvente les formes de l'engagement politique.
Pascal Bély - www.festivalier.net.

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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 15:45

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«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas ». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’œuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l'artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l'œil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font œuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d'accès à un art qui fait lien, quoiqu'on en dise...

Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente  immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale...jusqu'à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier...À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »...

À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J'imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J'imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d'autant plus qu'Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d'oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s'enchevêtrent. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu'Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d'une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N'est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu. 

Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d'échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.

À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J'aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.

Parce que c'est politique.

Pascal Bély - www.festivalier.net

«While we were holding it together » d' Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.

Crédit photo: Yi-Chun Wu.

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