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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 14:06

Tout-Va-Bien_theatre_fiche_spectacle_une.jpg
Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l'Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom" l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car "Tout va bien" évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

 

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d'un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d'Avignon, lors de scènes inoubliables.

 

Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage

 

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commentaires

C
<br /> <br /> Soit, mais cela ne l'autorise pas à dire n'importe quoi. Je feuilletterai son livre à la Fnac, pour mieux comprendre de quoi il retourne, sans l'acheter car je ne veux pas faire vivre de tels<br /> individus. Qu'il commence à balayer devant s aporte quant à la perte d'estime de soi. Tant mieux s'il parvient à faire des choses intéressantes ailleurs. De toutes façons, la danse sera l'art<br /> plastique majeur du XXIème siècle. Puisque nous passons dans un autre économie. Duchgamp nous a éclairés sur l'économie d'avant, qui est encore hyper-présente dans l'hyper-modernité en état de<br /> saturation avant l'implosion. Donc, ce Monsieur devrait réfléchir et s'intéresser plus sérieusement à Duchamp. Aller par exemple écouter quelques conférences de Bernard Stiegler, dont le dernier<br /> livre est plus que recommandable.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Bravo pour cet article. cela fait du bien de lire cela. vous verrez, dans quelques temps, la danse envahira les musées.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Je ne suis pas aussi sévère que toi concernant François Chevallier. Son approche m'a touché parce qu'il remettait le corps au centre. Quand il a évoqué la "consolation", j'ai pensé à Angelica<br /> Liddell vue cet été en Avignon. Précisément, je pense qu'il voit l'art contemporain quitter les musées pour envahir l'espace scénique. Il est intéressant de constater que c'est un chorégraphe<br /> habitué à collaborer avec des plasticiens qui a relié dans mon esprit l'émission de France Culture à la scène!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Mais d'où sort-il ce François Chevallier ? Il va rejoindre la cohorte des Luc Ferry et consorts ? Comment peut-il se prétendre critique d'art avec une telle interprétation de Marcel Duchamp, dont<br /> l'oeuvre ne s'appelle pas "urinoir", mais "fontaine". La régression, c'est bien ce type de critique. Duchamp n'avait aucun mépris de soi ni des autres, il a montré ce qui allait se passer au<br /> XXème siècle. Cette opposition du concept au sensible est une c... sans nom. Aimons Picasso, aimons Duchamp, aimons qui nous voulons, l'art est divers. Alors qu'il y ait une masse d'artistes<br /> faibles qui se complaisent dans un discours poseudo-duchampien comme d'autres gribouilleurs se réfèrent à Picasso pour faire n'importe quoi, certes. Mais l'art est ailleurs et la critique aussi.<br /> Quant aux suicidés de France Télécom, ils sont un symptôme de toute une société prédite depuis 1981 par Baudrillard dans "Simulacres et simulations". Lire le sparalèles entre Beaubourg, lieu de<br /> fossoyage d ela culture et les technologies des medias. Baudrillard a tout dit avant les autres. Personne en veut spécialement étouffer les suicidés d France Télécom. toute mla société<br /> contemporaine est une société d el'effaccement. La souffrance est partout, elle a rétroviré par rapport à ce qu'elle fut dans toutes les époques où il y eut travail (de traballum, en latin, qui<br /> signifie "torture"). Elle est diffuse et sans odeur, comme les marchandises dans les containers de la mondialisation. Mais l'homme a inventé l'art pour échapper à la torture. C'est donc<br /> l'art qu'il faut rouvrir. Et des gens comme ce François Chevallier feraient mieux d'abord de s'interéesser vraiment à l'art, de soigner ainsi leurs névroses vant de dire n'importe quoi. Si notre<br /> pays n'a plus rien d'autre à produire que ces ineptes lamentations, nous sommes vraiment mal partis. D'ailleurs, nos amis allemands et scandinaves songent désormais sérieusement à nous décrocher<br /> de l'Europe. Renous donc avec la création !<br /> <br /> <br /> <br />
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