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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 18:17

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"Que la prudence est triste."
C'est la phrase emblématique choisie par les occupants du Théâtre Valle de Rome. Depuis la mi-juin 2011, ce théâtre est occupé; il devrait à plus ou moins long terme se transformer en restaurant de luxe et salles de jeux. Cela ne sera pas. Ce qui se passe au Valle Occupato est exemplaire; ce n'est ni une programmation, ni une saison, les intéressés eux-mêmes qualifient leur action. «Nous occupons un théâtre comme des ouvriers occuperaient une usine : coupant flux de production et mettant en place une grève permanente des intermittents, s’interrogeant sur les modalités du travail culturel et de son exploitation, questionnant le champ juridique des droits et des lois. Nous occupons comme des agriculteurs occuperaient leur terre : par la réappropriation des temps et des fruits de notre travail…»
Actuellement, une fondation se fabrique : le Valle Occupato essaie de mixer argent public et sociétaires. Leur site internet teatrovalleoccupato fournit tous les renseignements nécessaires à qui veut les soutenir. Ils revendiquent l'art comme un bien commun.
Cela écrit, le Valle n'est pas le seul exemple: à Catania, en Sicile, des artistes et des habitants de la ville reconstruisent le théâtre Coppola, abandonné depuis des années.  Ils y sont maçons, électriciens, plombiers et autres corps de métiers. À Naples, le musée Madre, musée d'art contemporain a fermé, mais fi de cette fatale série, les occupants du Valle avec des associations et habitants napolitains l'ont rouvert faisant sauter le verrou de l'entrée: ils furent accueillis chaleureusement par le directeur du Madre. Pour poursuivre avec ces belles initiatives les «Chantiers culturels de la Zisa» de Palerme sont réinvestis, il n'y a ni lumière, ni chauffage, des salles de travail totalement délaissées par la mairie, mais beaucoup reste à faire et inventer pour celles et ceux qui début janvier célébrèrent l'occupation symbolique des chantiers de la Zisa. À Milan, à Venise, des actions similaires ont eu lieu.
Mais que se passe-t-il au pays de Berlusconi, de la maffia, de la Dolce Vita, du Bel Canto, des Brigades Rouges, de Pasolini, Nanni Moretti, Pippo Delbono, Emma Dante, Roméo Castellucci, Sabrina Guzzanti ? À la radio, l'Italie apparaît comme un laboratoire pour l'Europe : cela veut tout dire et ne rien dire. L’État italien a démissionné depuis une bonne dizaine d'années dans le domaine artistique, culturel, social, éducatif, bref là où les services publics remplissaient une mission qui aujourd'hui bat de l'aile en France. Il y a dix ans ce n'était pas la crise…En Italie c'était une volonté farouche d'en finir avec le progrès, lui qui adoucit la vie, la rend plus supportable malgré les inégalités de salaires et de traitement.
Pourquoi évoquer l'Italie? Aucune prétention d'explication économique ou plutôt comptable dans mes propos ne motive cet article. Alors? C’est le désir et le plaisir de rencontrer des «imprudents», qui n'ont pas honte de se fourvoyer, de se tromper, qui le disent, l'écrivent et le vivent. Ces imprudents ne voulant plus du consensus mou que les mots subventions et rentabilité engendrent; ils ne s'illusionnent plus sur la démocratie même participative, ils savent bien que les assemblées générales ne sont pas la potion miracle d'un fonctionnement collectif. Mais ces imprudents laissent la porte ouverte, squattent des lieux en essayant de ne pas cultiver l'entre-soi, le réseau, dernier avatar de notre système de relations sociales qui nie celles et ceux qui n'en font pas partie (Deleuze n'est plus là pour faire la critique de ce fameux régime rhizomatique).
Et après ? La boucle se refermera sur le regret de ces imprudents Romains : «nous n'avons qu'un regret. Nous ne saurons jamais ce que nous avons raté. En effet l'argent public investi par pure formalité, sans aucun projet précis, sans aucune perspective de développement : c'était bien la proposition artistique de l'administration de la capitale européenne ayant le plus grand patrimoine artistique de l'humanité. »
Élisabeth Ferracci, contributrice de la page Facebook du Tadorne.

Pour aller à la rencontre de ces imprudents, les vignettes d'Aude Lavigne de France Culture.

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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 11:16

 

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À Marseille, rares sont les lieux dédiés à la création contemporaine.Montévidéo fait partie du paysage culturel de ce blog : j’y ai vu des œuvres intéressantes qui m’ont permis de me forger un regard plus ouvert sur les formes théâtrales. Depuis quelques mois, le lieu est fermé sans que le public en connaisse précisément les raisons. Très concrètement, cela a des répercussions pour la vie de ce blog: la fermeture de Montévidéo m’a un peu plus éloigné de Marseille, de la création contemporaine et des artistes émergents.

 Je publie un appel de l’association « les amis de Montévidéo ».

Je vous invite à signer la pétition.

Pour eux. Pour nous.

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nous, public, artistes, amis de Montévidéo, nous nous inquiétons de l’avenir et du développement de ce lieu qui nous est cher.

 

Par sa singularité et sa liberté artistique Montévidéo, centre de création contemporaine et de résidence d’artistes à Marseille, a su prendre une place tout à fait particulière dans le paysage de la culture, que nous souhaitons voir perdurer.

Nous nous inquiétons du temps qui passe et de constater qu’à ce jour Montévidéo ne puisse pas réouvrir pleinement ses portes.

Nous sommes informés que Montévidéo traverse depuis quelques mois de grandes difficultés qui l’empêchent de fonctionner comme le lieu de découvertes et de création artistique qu’il est depuis dix ans, favorisant l’émergence de nouvelles formes.

Or, si nous savons que Montévidéo continue d’accueillir régulièrement des résidences d’artistes, les limitations d’ouverture dont il fait l’objet sont pour nous, amis de Montévidéo, très préjudiciables : c’est un espace rare d’expression artistique qui risque de disparaître. Un réservoir de découvertes qui se tarit à Marseille.

Depuis 10 ans, Hubert Colas et Jean-Marc Montera, ses deux directeurs, ont su décloisonner les formes consacrées du théâtre et de la musique. Ils ont su bousculer les paroles et les sons, éprouver les rythmes et les silences, les espaces et les signes. En accueillant des artistes français et étrangers, ce lieu de convivialité propice aux échanges artistiques et à la proximité avec son public, s’est forgé une identité singulière, reconnu en France et à l’étranger.

Montévidéo est également un lieu déterminant à Marseille pour l’accompagnement des projets d’artistes régionaux, nationaux et internationaux, un lieu qui ouvre des perspectives de travail, de recherche et d’expérimentations essentielles au développement des démarches artistiques.

Nous savons que les mois qui viennent sont d’une importance capitale.
Nous savons que d’importantes décisions relatives à sa pérennité doivent être prises. Nous y serons vigilants et y apporterons notre plein soutien.

Nous, artistes et spectateurs, fidèles du lieu, nous sommes persuadés que Montévidéo doit être sauvé. Nous souhaitons que Montévidéo soit pérennisé.

Nous interpellons et attendons de toutes les collectivités territoriales, qu’elles fassent tout ce qui est en leur possible pour  garantir la reprise et la poursuite des activités de Montévidéo, et qu’elles permettent à ce lieu emblématique de la création et de la scène contemporaine d’occuper toute la place qui doit être la sienne lors de l’année Capitale en 2013, et bien au-delà.

Les amis de Montévidéo. Pétition: ici"

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 09:22

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au cœur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques !

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s'attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C'est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély - www.festivalier.net

Un an pllus tard, l'ouverture: Klap, Capitale maison pour la danse.


(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.

 

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31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 18:21

 

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Le spectateur est-il « condamné » à rester sagement assis, l’Europe à s’éloigner du citoyen? Tous deux  peuvent se lever, s’approcher, se mettre en marche, en mouvement comme le suggère la metteuse en scène Christiane Véricel. Avec sa compagnie « Image Aiguë », elle parcourt l’Europe afin que l’enfant et l’adulte soient spect’acteurs de leur devenir dans un ensemble politique aux frontières certes définies, mais qui s’interroge sur son élargissement à partir de son identité. Or, elle requiert un langage commun. La force du théâtre de Christiane Véricel est de le mettre en scène après l’avoir longuement écouté, entendu, métaphorisé lors de ses résidences dans les quartiers des villes d’Europe. La dynamique de l’identité européenne trouve ses ressorts dans la co-construction d’un projet culturel entre artistes, citoyens et institutions incarnée par cette compagnie qui s’affirme comme un « Ensemble Théâtral Européen ».

 

En juillet 2010, un groupe composé d’adultes, d'enfants et d’adolescents, venus d’Italie, de Suède, de Turquie, de France, du Portugal s’est fondu dans la troupe permanente pour un «workshop» de deux semaines à l’espace Tonkin de Villeurbanne. J’étais invité le 17 juillet 2010 pour le « bouquet » final comme de nombreux partenaires européens qui ont échangé le lendemain sur l’articulation entre leur projet et celui de la compagnie. Car tout est lié: si le langage du corps sur scène est politique, alors la dynamique de la compagnie induit le réseau.
Christiane Véricel a donc métamorphosé sa création « les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable » présentée en mars dernier à Lyon. Est-ce pour « donner chair » à cet ensemble théâtral européen ? L’œuvre y a gagné en fluidité, car on y danse les premiers pas de la relation ouverte, celle des valeurs d’accueil; on y joue avec les codes hiérarchiques pour développer la créativité ; on y interroge le lien à la nourriture (source de tant d’inégalités) pour se relier à la "terre patrie" si chère à Edgar Morin. Ici, le théâtre s’affranchit des cloisons entre « texte » et « corps ». Tout est langage et le collectif créé le mouvement pour nous permettre de l’entendre. En l’écoutant sur scène, j’entends les valeurs du jeu, du plaisir, de la diversité d’autant plus que les hommes et les garçons portent des jupes pour danser, identité hybride pour libérer leur créativité ! Je savoure les liens qu’enfants et adultes créent pour avancer en marchant, accompagnés par une musique qui évoque celle des gens du voyage. Avec Image Aiguë, le théâtre accueille le spectateur pour qu’il puisse emprunter ses chemins de traverse. 
Ces quinze jours de travail pour nous proposer une heure d’Europe, est un ratio qui n’entre dans aucune comptabilité ! Et quel travail ! À la précision du geste répond la force d’un propos, celui de nous rappeler qu’au jeu du pouvoir, nous pourrions lui substituer le pouvoir du jeu…Cette heure d’Europe, à Villeurbanne, vise à ne rien lâcher sur la nécessité de promouvoir cette aventure politique unique au monde. 
C’est ainsi que de la scène à la table ronde du lendemain, il n’y a qu’un pas. Christiane Véricel et son équipe nous ont réunis. Avec eux, nous avons tenté de mettre en mots, les processus d’un ensemble théâtral européen. Nous avons en commun d’avoir croisé la compagnie jusqu’à l’accompagner  dans certains pays (Allemagne, Suisse, Bulgarie, Portugal, Suède, Belgique, Égypte, …). Nos positionnements professionnels sont «hybrides»…au croisement ! Me voilà donc spectateur-blogueur (j’avais écrit un article en mars dernier sur «Les ogres ») accueilli en territoire ami. Aucun ne sait précisément ce qu’il doit dire, ni présenter. Notre lien est d’avoir ressenti le spectacle de la veille et de savoir que le processus (à savoir celui de s’implanter dans un quartier pour créer) est aussi important que l'œuvre elle-même ; que le « local » métamorphose, transforme le «global» pour créer un cercle vertueux du changement en lieu et place des seules logiques descendantes qui écrasent la créativité des territoires.
La réunion est alors animée comme le serait un workshop ! Chacun s’avance, écoute, tandis que Christiane Véricel reformule, précise, guide avec l’aide de Nicolas Bertrand, l’administrateur, le traducteur de sens ! «Comment chacun voit-il l’articulation entre son projet et celui de la compagnie ? » ; « comment l’identité européenne peut-elle se nourrir de l’artistique par le réseau ? » ; « Comment articuler le local (Lyon) et le global (l’Europe)? Cela passe-t-il par un lieu (la compagnie n’a pas d’espace physique de création à ce jour) ? À mesure que nous avançons, je perçois la réunion en miroir avec le spectacle de la veille. Je tente même une métaphore : les projets d’Image Aiguë et du « Tadorne » sont liés (ils mutent à partir de leurs migrations).
Les corps en  mouvement  sur scène se nourrissent aussi de la vision dynamique des partenaires (spectateurs inclus). Non pour s’immiscer dans le propos artistique, mais pour l’amplifier en maillant les projets. Ainsi, certains artistes ont compris que la qualité des liens de leur réseau vaut tout autant que la pérennité de leur financement. À se demander si ce n’est pas lié. À désirer que l’Europe politique soit aussi cela…
Pascal Bély - www.festivalier.net
A lire le carnet de route de Sandrine Charlot Zinsli, animatrice du site "auxartsetc" (webzine sur l'actualité culturelle Zurrichoise) qui était présente à Lyon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 14:00

Depuis cinq ans, avec plus de 700 œuvres vues, le spectateur Tadorne  a eu le temps de nouer des liens avec les créateurs, formant la toile qui soutient cette démarche particulière d’un spectateur en « travail»…Certains en comprennent le sens, observant avec bienveillance cette émergence qui les positionne dans un rapport différent à la critique. Comment créer une relation ouverte avec un spectateur qui n’est pas un « acteur culturel », dont la parole est « reportée » par les moteurs de recherches de l’internet, et dont le lien à la culture va au-delà de ce qu’il voit sur scène ? Pour le Tadorne, écrire bouleverse ses représentations du lien à l’artiste : d’une position haute ou basse, il apprend la relation horizontale, fraternelle pour s’inclure dans un processus.

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Avec le chorégraphe Michel Kelemenis , ce lien est en dynamique depuis les «Aphorismes géométriques », œuvre qui a changé son approche du mouvement dansé. En écrivant à partir de son ressenti, le Tadorne est entré dans la danse! En 2008, Michel Kelemenis prend l’initiative de l’inviter pour être membre du jury d’un concours organisé par l’ADAMI à Marseille. Pour la première fois, le Tadorne communique à égalité avec des « spécialistes ». Michel Kelemenis poursuit ce travail de mise en « mouvement » avec ce spectateur « atypique » : trois mois plus tard, il accepte sa demande d’assister aux répétitions. Au-delà d’une médiation classique qui consiste à présenter une étape de travail, cette ouverture dans le temps (elle a duré une dizaine de jours)  permet au spectateur Tadorne d’élargir son regard sur l’œuvre, de relier le travail du chorégraphe à d’autres métiers de l’humain (professionnels du lien social, formateur, thérapeutes, animateur d’équipe,…),  et d’imaginer toutes les articulations possibles entre son travail et celui d’un artiste ! Le spectateur Tadorne finit donc par s’interroger : pourquoi n’intègre-t-on pas dans la formation initiale et continue des acteurs qui travaillent dans le champ de la complexité, d’assister à un processus de création artistique, et qui les aiderait à faire face aux défis des crises systémiques, où tout est lié ? Comment rendre visibles ces processus au moment où l’État baisse ses financements sur le "résultat" ? Comment accompagner les artistes à ouvrir ce qu’ils protègent (parfois à juste titre) ?

Ces questionnements trouvent un prolongement avec Pierre-Jérôme Adjedj. Ce jeune metteur en scène, rencontré grâce au réseau social Facebook, m’invite en novembre 2009 à suivre sa résidence de création d’« Initial Sarah Stadt » « à la Ferme du Buisson près de Paris. L’expérience est troublante, car la présence du Tadorne interagit avec le processus sans que l’on puisse encore savoir exactement où. De retour à Aix en Provence, le Tadorne n’en dort quasiment plus ! Il a observé ce qu’il n’aurait pas dû voir, « la chose » comme lui renverrait sûrement la psychanalyse. Quelques semaines plus tard, cette ouverture permet au Tadorne d’écrire sur « le blogueur hybride"  tandis que Pierre-Jérôme Adjedj lui envoie un article troublant : « Le chemin de la création est-il condamné à être un temps préalable au temps des spectateurs ?...En d’autres termes, formulons une proposition : supposons que le temps de la création devienne un temps partagé ? Au paradigme du chemin parcouru jusqu’au public se substituerait la possibilité d’un temps immédiat, correspondant à un espace ouvert. Un espace public… D’entrée, balayons le soupçon démagogique : il ne s’agit pas de (faire) croire que le spectateur entre dans le rôle du comédien, du metteur en scène, ou de tout autre membre de l’équipe. Ce à quoi j’aimerais l’inviter, c’est à entrer en lui-même, entrer dans son rôle étymologique d’observateur, à donner à ce rôle de spectateur un poids, une importance, une noblesse à même de peser sourdement sur la création en cours. On ne demande pas au spectateur de voter pour décider de la fin ; on ne lui demande d’ailleurs rien ; on intègre simplement sa présence. La présence : on en parle volontiers pour louer le charisme d’un acteur. Et si l’on louait la présence des spectateurs (ça changerait des stratégies fourbes pour l’acheter, aux seules fins de faire briller le sacro-saint taux de remplissage) ?... Un spectacle vivant, dans la mesure où il cherche à échapper aux formats et recettes en vigueur, donne à voir tout au long d’un processus de création lui-même composé de multiples processus enchevêtrés. C’est au cœur même de la fragilité de ces processus que le spectateur peut tout à la fois puiser une matière inédite, intime, et apporter en retour la participation de son regard. Inévitablement, la forme de l’objet fini portera les traces de ces regards successifs… ». À ce jour, un homme de théâtre et de danse sont artistes « Tadorne », liés « comme si » nos projets étaient interdépendants.

Christiane Véricel ne tardera pas à les rejoindre. Auteuse et metteuse en scène, elle travaille avec des enfants acteurs et des comédiens adultes sur tout le continent européen. Toujours grâce à Facebook, nous nous sommes rencontrés à Lyon, pour faire connaissance. Puis sa dernière création, « « Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable », a dévoré le Tadorne. Notre rencontre est inévitable. Son projet européen s’appuie sur le collectif, le maillage et promeut des valeurs universelles. Le spectateur Tadorne a beaucoup à apprendre de cette compagnie qui incarne un modèle de développement de la culture à partir du lien social.

Il y a bien sûr d’autres artistes qui sont fortement liés au Tadorne. Le metteur en scène David Bobée est toujours fidèle à la démarche et commente les articles critiques que nous écrivons sur lui. Des liens de confiance se sont noués avec d’autres et le Tadorne suit leur projet : la Vouivre, Robin Decourcy, Sofia Fitas, Renaud Cojo, Patrick Servius, Patricia Allio, Gilles Groppo, Anne Lopez, Nicolas Mathis, Christian Ubl. Mention toute spéciale au chorégraphe Philippe Lafeuille qui encourage et affectionne. On n’oublie pas Pascal Rambert à qui le Tadorne doit sa plus grande colère de spectateur tout en s’intéressant à la façon dont il ouvre le Théâtre de Gennevilliers au public.

Le Tadorne croise souvent le regard bienveillant d’Hubert Colas et cela fait du bien. Tout comme le merci chaleureux d’Olivier Dubois pour l’avoir soutenu dans sa création en Avignon. Il y aura toujours Jérôme Bel pour l’étincelle.

Et puis, Maguy Marin, qui nous offre un théâtre n é de la danse. Sa détermination n’a pas fini de faire voler le Tadorne.

Pascal Bély – www.festivalier.net

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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 22:49

 À sa (re)naissance en 2005, le spectateur Tadorne se cache. Il se protège avec un pseudo, écrit ce qu’il aime et surtout ce qu’il n’aime pas. Cela commence à faire du bruit surtout qu’il ne fait pas toujours dans la nuance. Le Tadorne se met en colère dès qu’on lui impose une parole ou qu’on la lui enlève. Autant dire que dans les années 2005 et 2006, l’accueil au sein des théâtres n’est pas particulièrement chaleureux. Les attachés de presse ne savent plus où le caser et les chargés des relations avec le public sont soient distants, soit amicaux comme s’il incarnait une synthèse, un idéal de spectateur ou un cauchemar.

Acteur de l’internet, le Tadorne cherche comment s’articuler aux intimidantes institutions culturelles. Il se nourrit des processus à partir de la  scène, l’environnement étant beaucoup plus procédurier (billetterie, abonnement, calendrier souvent calé sur les vacances scolaires). Il croule sous l’information (plaquette, newsletter, réseau social, …), mais on ne communique plus avec lui sauf à lui parler derrière une banque ou lui déchirer son billet. Il n’est ni un « public éloigné », ni un professionnel de la culture. Il est donc noyé dans la « masse ». En 2010, quand il entre dans les théâtres, on vient plus facilement vers lui, mais il n’est pas inclus dans le projet. Alors que l’on évoque l’«émancipation » du spectateur lors de colloques ou dans des livres, que notre « citoyenneté » est interpellée à coup d’éditoriaux enflammés des programmateurs, les institutions culturelles restent majoritairement fermées à la démocratie participative.

Pourtant, le Tadorne a tenté quelques expériences. Avec « le blogueur sort de la toile » pour le Festival Faits d’Hiver  à Paris, il est allé à la rencontre des spectateurs avant et après les représentations. Ce fut enrichissant même s’il n’y a jamais eu de retour de la part de l’équipe, car non incluse dans le projet. En 2009, avec le festival « Mens Alors ! », il est missionné pour créer un espace critique participatif avec les spectateurs. Mais sans articulation avec l’équipe et la programmation, le Tadorne s’est senti bien seul sur son banc. En 2009, les Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence l’invitent à leur Conseil d’Administration pour avoir son regard de spectateur éclairé sur la programmation. Aucune suite. Le Tadorne n’est pas soluble dans les instances « démocratiques » des associations.

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Restent trois expériences stimulantes. La première avec le Théâtre des Salins de Martigues. Sa directrice, Annette Breuil, aime bien le Tadorne. Parce qu’il est un peu chez elle et qu’elle vit avec lui des moments de dialogue sincères et vifs sur ses choix artistiques ! Elle a répondu au désir du Tadorne d’animer des débats entre spectateurs, professionnels et artistes. « Y’a des Ho ! Y’a débat  » est né, avec l’engagement de toute une équipe qui voit là l’opportunité d’ouvrir ses liens avec le public. Encore expérimental, le dispositif est reconduit pour la saison 2010 – 2011 car il faut permettre à l’équipe de se positionner à partir des processus horizontaux sans pression, ni objectifs de résultats.

La deuxième expérience est avec « Les bancs Publics », lieu d’expérimentations cultuelles à Marseille. Le lien de confiance s’est instauré avec les deux fondateurs (Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez). Il y a une reconnaissance mutuelle de nos processus de recherche. Ils ont intégré le Tadorne dans le comité de rédaction de leur revue « Esprit de Babel ». Un premier article est publié, d’autres suivront (peut-être à partir d’ateliers d’écritures participatifs ?)

La troisième est avec le réseau des professionnels des relations publiques du Languedoc Roussillon. Alexandra Piaumier du festival « Uzès Danse » m’a invité à animer avec elle en avril 2010, un atelier sur la question de l’« horizontalité, communication globale, web 2.0 » (le compte-rendu est ici). Un réseau était donc à l’écoute d’un spectateur né du réseau (et inversement !). C’était le niveau pertinent pour aborder la communication à partir des valeurs (et non de l’outil d’information), pour croiser les expériences autour du lien. Cette écoute était fluide parce qu’elle s’inscrivait dans un espace suffisamment maillé par des processus (mise à distance, remise en question, interrogation transversales, …).

Finalement, est-ce possible d’articuler le positionnement du spectateur Tadorne avec les institutions ? Cela nécessite une équipe de professionnels structurée par des valeurs autour d'une représentation collective du lien envers le spectateur. Il faut en même temps une mise en réseau des publics à partir de projets participatifs artistiques ou d’espaces ouverts de rencontres avec les professionnels (non pas pour échanger seulement sur la programmation, mais pour communiquer sur le lien que nous avons tous avec elle et l’environnement qui l’entoure). Cela implique de mettre sur un pied d’égalité la programmation avec les processus qui l’accompagnent : médiation, expériences participatives, projet d’accueil de l’équipe. Il s’agir de substituer à la liste descendante du générique d’un film,  la vision dynamique de sa production ! Mais cela suppose de passer d’un régime de médiation hiérarchisée à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie, à l’articulation de la culture et du lien social !

C’est ainsi que l’on offrira au spectateur, non pas l’image d’un territoire morcelé née de la spécialisation des institutions culturelles, mais une vision des chemins de traverse produits par  les réseaux. Le spectateur Tadorne à besoin d’une toile pour opérer ses mues et ses migrations, de portes et de ponts. Il veut bien d’un puzzle  mais inclus dans un vitrail qui, tout en étant protecteur, laisse passer la lumière, réchauffe et cloisonne si c’est seulement pour souder un nouveau contrat social entre spectateurs, artistes et professionnels.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

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6 février 2009 5 06 /02 /février /2009 08:29


Associer le spectateur au processus de la création est désormais habituel pour un lieu institutionnel. On participe régulièrement à des étapes de travail, des répétitions, durant lesquelles on se retrouve en situation de spectacle. Nous pensons alors avoir accès à l'inédit, à ce « quelque chose » que nous sommes seuls à voir. C'est souvent un temps répété dont la spontanéité est quasi absente.

La newsletter du « Ring », théâtre en Avignon, proposa le mois dernier d'assister à un travail de création, « en construction », de l'écriture jusqu'à la livraison finale lors du prochain Festival Off 09.  « Les culs de plomb », écrit par Hugo Paviot, mise en scène par Marie Pagès, avec David Arribe, Aïni Iften, Sophie Stalport et Coralie Trichard, se laisse donc voir dès sa genèse.

Tout commence à l'envers. Marie Pagès nous accueille et présente toute l'équipe artistique. Comme une fin de spectacle, les voici en ligne, prêts à saluer.

Personne ne sait le déroulement de la soirée, sauf qu'il va lever le voile sur son écriture. Les acteurs et le metteur en scène sont alors à la merci de l'auteur. Nous aussi. Mais comment  articuler un travail relevant de l'intime avec des comédiens?

Hugo Paviot prend la parole, nous raconte la rencontre avec Marie, leur envie de travailler ensemble, leur complicité, ce qu'il est, ses lectures, ce qui le nourrit. Il fait des tentatives avec les comédiens, avec Marie Pagès, afin de nous donner la substance même de ce que pourrait devenir le texte en écriture. On touche à l'inexplicable, au « pourquoi ».

Des essais imaginés prennent forme et la spontanéité fait son œuvre : des images de guerre, des mots, la musique de Barber. La confiance s'installe. Ce moment de partage nous embarque tous, sans savoir où nous allons.

Après une heure de discussion autour de « la cuisine de l'auteur », Marie Pagès clôture. Est-ce la première scène ?

Ce soir-là, le théâtre retrouve de l'âme, car il concilie spectateur et créateur. Une réponse à la crise ?


Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net


Cette première session intitulée "La cuisine interne de l'auteur" a été présentée le 9 janvier 2009.

A venir, le second volet : La livraison du "premier jet de la pièce", le vendredi 13 février au Ring - Avignon

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 13:25

Troisième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Aujourd'hui, la répétition se déroule sur le plateau du Pavillon noir. Guidé dans le noir à prendre place dans la salle, je m'installe tandis que Michel Kelemenis et Caroline Blanc font un filage de « viiiiite ». Alors que les lumières s'allument, je découvre un public d'enfants qui applaudit mollement la performance. Michel s'en émeut, mais poursuit inlassablement son travail pédagogique bien que la pression soit évidente à deux jours de la générale. Beauté d'un artiste qui s'engage coûte que coûte à expliquer, promouvoir son art. Sont-ils si nombreux aujourd'hui ?

L'ambiance n'est plus la même. Entre le studio et le plateau, du 3ème au sous-sol, de la lumière à l'obscurité, le groupe est tendu. Michel l'est aussi. Les détails techniques s'effacent pour faciliter le repérage des « points de butée », ceux qui font obstacle au positionnement individuel dans la danse collective d' «Aléa». Tel un coach, Michel conseille chacun. Les danseurs semblent plus isolés ; des duos, des trios se forment comme pour se rassurer en attendant son tour ! Je ne vois que les traits tirés des visages avec l'impression qu'ils ne sont pas prêts. Ils me paraissent fragilisés. Mais que ne savent-ils donc pas ? Que travaillent-ils encore ? Je cherche, je scrute le moindre détail de leur travail d'orfèvre. Je ne saisis pas de suite ce qui se joue mais je sens que le plateau est un changement d'échelle qui dramatise les enjeux.

D'autant plus que la matière de la scène (bois, plastique?) freine de nombreux danseurs. Le sol fait du bruit et installe une mécanique sourde : à chaque pas, un son. Michel précise : « il vous fait démécaniser vos jambes ». Ce bruit augmente la tension, rajoute un tempo inutile. Alors, faute de bande-son, il s'y colle avec ses onomatopées impossibles à retranscrire ! Puis, il prévient : « si on réussit les entrées, c'est magique ; sinon, on piétine la sortie » (les hommes politiques pourraient s'inspirer de cette maxime).

Alors que le filage d' »Aléa » se prépare, Bastien revoit sa technique, Christian réintègre le groupe et l'œuvre après sa semaine parisienne (il y présenta « Klap ! Klap ! »), Caroline se concentre, Marianne se fait une place, Tuomas et Olivier se rapprochent tandis que Gildas fait le tour du plateau. Ils dégagent presque un côté animal, cernés par les limites de la scène. L'expression "se jeter dans la fosse aux lions » prend tout son sens. C'est un collectif divers, comme si « Aléa » se nourrissait de leurs différences d'approches du geste dansé, de leurs corps éloignés des stéréotypes du danseur, de la complexité née de leurs articulations.

Ils habitent « Aléa », ce mot qui porte nos espoirs de sortie de crise, qui guide dorénavant nos projets. J'ai eu ce privilège de les observer, en veillant à ne pas franchir la limite, en ayant ce regard respectueux et curieux qu'une société devrait avoir envers ses artistes. Comme un réflexe à la tentation du repli, je me suis approché d'eux. Ils m'ont nourri de leur énergie pour redevenir créatif au cours de cette année qui s'annonce chaotique. Ils sont le moteur de notre croissance.

Michel monte dans les gradins et lance, juste avant de donner le top départ du filage: « Soyez clair avec vos camarades ».



Un chaleureux merci à Michel Kelemenis, Caroline Blanc, Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre, Christian Ubl, Nathalie Ducoin, Marie Tardif et Laurent Meheust.




Pascal Bély

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A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de "viiiiite"(1/4) !
et le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'"Aléa"(2/3) !
Et la générale: Michel Kelemenis, chorégraphe.
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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 16:17

Deuxième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Lundi dernier, je l'avais laissé avec Caroline Blanc et Marianne Descamps alors qu'ils répétaient « viiiiite ». Leur trio circulaire fragile et déterminé m'avait ému par  leur engagement dans la relation créative. Aujourd'hui samedi, ils sont sept à occuper l'espace du troisième étage du Pavillon Noir d'Aix en Provence. La deuxième pièce, « Aléa» fait partie du tryptique («viiiite » et « Tatoo ») qui sera présentée dès le 29 janvier.

A mon arrivée, Caroline Blanc illumine à nouveau par sa présence tandis que Marianne Descamps semble si différente que je peine à la reconnaître. Que s'est-il donc passé? L'œuvre habite-t-elle a ce point les danseurs jusqu'à les métamorphoser, même en répétition ? Est-ce la force du collectif? Troublé, je les suis du regard pour entrer dans le groupe alors que je reconnais le danseur et chorégraphe Christian Ubl (actuellement à l'affiche du festival parisien « Faits d'Hiver » où il présente « Klap ! Klap ! »), celui-là même qui m'avait tant interpellé dans ma posture de spectateur l'an dernier. Le puzzle continue de se mettre en mouvement !

« Aléa» était à l'origine une pièce écrite pour quatre danseurs, lauréat des « Talents Danse » de l'Adami en 2005. Elle s'est élargie jusqu'à sept avec le collectif « Coline » à Istres (structure aujourd'hui injustement menacée), puis avec la Beijing Modern Dance Company. Très vite, je ressens que cette œuvre travaille la dynamique collective tout en donnant à chacun la possibilité d'adopter une posture contenante à l'égard du groupe.

Le positionnement de Michel Kelemenis au cours de cette répétition semble épouser le propos si bien que le « management » du groupe est isomorphe avec le sens de l'œuvre . La figure de la tresse présente dans « Aléa » est d'une telle complexité qu'il faudra plus de trente minutes pour que chacun se calle. Michel entre, sort, va au centre, de côté. Il maille l'espace comme s'il tissait une toile pour que les danseurs travaillent en confiance. Il communique sur les processus (« il te faudrait avoir plus confiance », « que se passe-t-il chez vous pour que vous évitiez les tartignoles »), invite à la mise à distance avec humour (« quand Marianne commente ce qu'elle fait, elle ne sait pas ce qu'elle fait !»), alterne moments où il démontre la technique, s'attarde sur chacun d'entre eux, régule la dynamique, offre des espaces où des duos, trios répètent, intègre la vidéo, tout en ne perdant jamais le cadre contenant du groupe. Impressionnant ! Mais où va-t-il chercher une telle posture ? Où vont-ils puiser cette énergie, cet engagement, au risque de ne jamais s'arrêter pour souffler ? La technique d'animation de Michel est fascinante. Et si l'on proposait aux chorégraphes d'animer des sessions de management dans les Universités et les grandes écoles?

Une autre dynamique attire l'attention. C'est un mouvement à deux, à trois puis à sept où l'espace semble danser aussi ! Il provoque un débordement d'énergie: à la fois très technique, il fait travailler les processus de confiance, de reliance où le corps individuel épouse le corps du groupe, où le geste physique se fond dans le propos. L'apprentissage d'un langage dans le langage augmente la tension et l'intensité dramatique.

Arrive un bruit. Clac ! La peur. Caroline a bien failli se casser la mâchoire. Le danger, le risque du métier, là, devant moi. L'aurais-je oublié ? Elle sort quelques minutes pour entrer à nouveau. Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre et Christian Ubl semblent avoir intégré ce risque-là ; aucun signe de panique. Ils sont déterminés à poursuivre avec elle. Plus rassurant que jamais, le mouvement qui suit devient un baume.

Une télévision trône, tel un astre, où les danseurs s'agglutinent pour aller chercher le repère. Je m'amuse de les voir ainsi, imaginant la répétition comme une danse ! On commente devant la vidéo, on rit des autres danseurs filmés. C'est un tout petit espace de régulation, où l'on se régénère de cette position un peu haute. Puis, ils repartent essayer de nouveau, encore et encore.

Puis une pensée imagée me traverse : pour quoi la danse en 2009, là, avec la crise qui nous contraint par la peur ? Cela me plaît de les voir comme les bâtisseurs de nos futures cathédrales, alors que tout s'effondre et où la place vide, offre à la danse, le plus bel espace pour reconstruire nos imaginaires enfouis sous le poids de nos certitudes d'antan.


Pascal Bély

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A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de "viiiiite"(1/4) !

Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'"Aléa"(3/3).

La générale: Michel Kelemenis, chorégraphe. 

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21 janvier 2009 3 21 /01 /janvier /2009 22:23

Le chorégraphe Michel Kelemenis est de nouveau sur ma route. En 2005 lors du feu Festival « Danse à Aix », ses « Aphorismes géométriques » changèrent radicalement mon regard sur la danse et mon écriture de spectateur. En novembre dernier, il accepta que j'assiste aux répétitions prévues au Centre Chorégraphique National d'Aix en Provence où il y présentera dès le 29 janvier, trois œuvres écrites pour d'autres danseurs de sa compagnie ("Aléa", "Viiiiite", "Tattoo"). Pour eux, comme pour moi, le contexte génère une tension : il convient d'épouser une dynamique, un propos, pensé pour d'autres ; il s'agit d'écrire sur un processus d'avant plateau.

Le soleil illumine Aix en Provence et Michel Kelemenis m'accueille chaleureusement au 3e étage du Pavillon Noir. Il restitue à Caroline Blanc et Marianne Descamps le sens de ma démarche, celle d'un « spectateur engagé ». Trois ans après, les « aphorismes » nous relient toujours, au-delà de l'œuvre.  Me voilà donc assis, en observateur, tel un intru ou un voyeur qui assiste à quelque chose qu'il ne devrait pas voir. « La chose » comme l'expliquent les lacaniens m'impressionne. Je tremble intérieurement, intimidé.

A mon corps statique, répond l'énergie de leur engagement. Caroline Blanc connaît déjà le duo « viiiiite », alors que Marianne le découvre. Elle le dansera en mai prochain. Deux processus semblent s'entrechoquer : accueillir Marianne alors qu'elle n'a peut-être pas vécu le contexte particulier de cette création (écrite en urgence, en avril dernier à quelques mois de la fermeture du studio Kelemenis à Marseille), créer l'articulation entre les deux danseuses : cette autre urgence est palpable (elles ne s'arrêtent jamais). Michel parait travailler ce double processus en simultané alors qu'il dansera ce duo dès le 29 janvier.

Les deux femmes se connaissent : la « fragilité » de Marianne, leur présence au Pavillon Noir, semble recontextualiser la pièce et donner à la disparition du geste (c'est le propos de « viiiiite »), une autre apparition, celle de leur trio ! J'observe Marianne par identification (elle est l'ouverture), je m'accroche à Caroline pour aller chercher l'axe vertical tandis que je m'appuie sur Michel qui contient la tension de l'articulation.

Mon attention ne faiblit pas comme si je soutenais une partie du processus (mais laquelle ?), happé par l'émergence d'un « viiiiite » tendu. Ils sont « beaux » dans leur communication (je n'ai jamais vu cela entre professionnels, en France tout au moins) : confiance, empathie, accompagnement, qualification positive même dans l'erreur, sympathie, humour. Un processus d'accueil, une ouverture, une force se dégagent de cette répétition comme si « viiiiite » se déformait de son propos initial.

Il est 17h, déjà deux heures avec eux. Je pars, comme par effraction, « viiiiite », avec un geste d'au revoir, déjà disparu.


Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire:

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'"Aléa"(2/3) !

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'"Aléa"(3/3).




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