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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

28 décembre 2012 5 28 /12 /décembre /2012 14:10

Être spectateur de danse a été particulièrement difficile en 2012. Je ne reviens pas sur la disparition de l’art chorégraphique dans les théâtres de mon territoire (Aix – Marseille- Martigues), ni sur les deux festivals qui atomisent la danse, faute de projet de développement. Seule la création de Klap à Marseille sous l’impulsion de son directeur, Michel Kelemenis, a donné l’outil de travail dont les artistes avaient besoin. Peu à peu, Klap s’impose comme un lieu incontournable. Nul doute que les chorégraphes reviendront à Marseille. Mais il faudra du temps et un changement radical à la tête des établissements culturels  pour que la danse retrouve un public.

Chaque année, le Festival d’Avignon réussissait à combler le marasme marseillais. En 2012, il l’a accentué. Le bilan chorégraphique du festival a été mauvais (à l’exception notable de «Tragédie» d’Olivier Dubois): une danse cérébrale, célébrant les bons sentiments, s’enfermant dans une esthétique  influencée par les arts «plastiques» où le corps n’est que matière…Pour la première fois cette année, la danse ne m’a pas permis de penser la complexité.

La Biennale de la Danse de Lyon, originale à plus d’un titre sous la direction de Guy Darmet, ne m'a pas convaincu avec sa nouvelle directrice, Dominique Hervieu. Elle fut globalement sans surprise avec l’étrange sensation que la danse n’est qu’un produit de communication courante…Quant à Montpellier Danse, une santé défaillante ne m’a pas permis de suivre les spectacles que j’avais programmés. Me reste le merveilleux culot artistique de Radhouane El Medeb et de Thomas Lebrun ainsi que le parti pris plastique assumé de Mathilde Monnier.

C’est ainsi que j’ai parcouru les théâtres, parfois découragé, à la recherche de cet art qui nourrit le projet de ce blog depuis 2005.

2012 a été l’année d’Olivier Dubois. Il m’a tenu éveillé. Il a nourri ma relation à la danse. Il l’a fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur. Pour lui, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu. «Révolution», «Rouge» et «Tragédie», trois chorégraphies liées par une quête absolue de l’émancipation. Le corps est une conquête; la danse d’Olivier Dubois est sa révolution.

Avec «Mahalli», la chorégraphe libanaise Danya Hammoud m’est apparue comme une «sœur» d’Olivier Dubois. Ces deux-là ont d'étranges "matières": une chair politique pour une révolution sociale. Danya et Olivier sont probablement habités par une vision commune: le travail sur soi est politique.

Autre introspection réussie, celle d’Israel Galván qui a affronté le flamenco traditionnel. Avec «La curva», à partir de ses racines et de ses rites, il l’a fait trembler sur ses bases jusqu’à ouvrir ses entrailles et accueillir la modernité. Ce fut exceptionnel d’assister à la décomposition d’une partition qui se consume pour inventer l’Autre musique, celle d’un flamenco théâtral.

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Autres métamorphoses sidérantes. Au Festival d’Avignon, sous le plateau de la Cour d’Honneur, le performeur sud-africain Steven Cohen a fait du corps intime un territoire de la Shoah. Exceptionnel. Quant à Mitia Fedotenko dans le «Sujet à vif», il a réussi son pari artistique avec François Tanguy: celui d’oser chorégraphier un Hamlet déchiré entre le Danemark et la Russie de Poutine.

En 2012, il y a bien sûr eu le rendez-vous incontournable avec Maguy Marin et Denis Mariotte. «Nocturnes» fut dans la continuité des œuvres précédentes. Là où j’attendais une rupture esthétique, Maguy Marin ne m’a probablement pas surpris. Seulement accueilli par un propos assumé sur la fragmentation  barbare du sens, sur l’éclatement d’une humanité piétinée.

Après «Un peu de tendresse, bordel de merde !» présenté à Avignon en 2009, nous étions nombreux à scruter sa nouvelle création à la Biennale de Lyon. «Foudres» de Dave St Pierre m’a une fois de plus enchanté sans que je sois surpris. Devenus de grands malades de l’amour consumériste, il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Beau propos, certes convenu, mais si vivifiant !

Avec «Brilliant corners», Emanuel Gat m’a littéralement subjugué par sa visée du groupe. Rarement, je n’ai ressenti, avec une telle précision, la complexité des mouvements vers le collectif où, à l’image des communautés sur internet, le groupe se déplace pour amplifier la relation horizontale et s'approprier de nouveaux territoires. Le collectif relie les fragments et avance jusqu’à produire la lumière du spectacle. Magnifique !

Combien de chorégraphes considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ?  Avec Maud le Pladec et l’ensemble musical Ictus, je me souviens avoir vécu cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsationsrock’embolesques. «Professor/Live» a  vu trois danseurs virtuoses restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli. Inoubliable.

Il me plaît de terminer ce bilan 2012, par une rencontre. Celle avec  Alexandre de la Caffinière qui lors de «Questions de danse» nous a présenté un extrait de «Sens fiction» (œuvre à voir les 16 et 17 février au Théâtre des Pratiques Amateurs de Paris). Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière a fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d'une relation duelle. Chapeau, à suivre…

Je vous propose de continuer la route en 2013, année où Marseille sera capitale européenne de la culture. La danse y occupera une place scandaleusement faible. Il va falloir chercher, voyager, se déplacer. Putain de danse !

Pascal Bély – Le Tadorne.


1- Olivier Dubois; "Rouge" - Festival Uzès Danse. /  "Révolution"- Le 104, Paris. / "Tragédie" - Festival d'Avignon.

2- Radhouane El Medeb, Thomas Lebrun; "Sous leurs pieds, le paradis" - Festival Montpellier Danse.

3- Israel Galvan; "La curva"- Théâtre de Nîmes.

4- Emanuel Gat; "«Brilliant Corners» - Pavillon Noir d’Aix en Provence.

5- Mathilde Monnier; "Twin paradox" - Festival Montpellier Danse.

6- Maguy Marin - "Nocturne" - Biennale de la Danse de Lyon.

7- Maud le Pladec - "Proffesor / Live" - Festival « Les musiques », Marseille.

8- Danya Hammoud - « Mahalli » - Festival Montpellier Danse.

9- Mitia Fedotenko - « Sonata Hamlet » - «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

10- Dave St Pierre - Création Biennale de la Danse de Lyon.

11- Alexandre de la Cafinière - « Sens fiction » - « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille.

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 22:21

 


 

 

Je connais trop peu la danse de Dominique Bagouet. Depuis sa disparition il y a vingt ans, je  n’ai approché que deux œuvres. C’était lors d’une très belle soirée à Montpellier Danse en 2007 où «Une danse blanche avec Éliane» et «F et Stein - réinterprétation» m’avait totalement sidéré. Ce soir, un ancien danseur de Bagouet et directeur artistique de Klap, Maison pour la Danse, s’avance vers nous, en confiance: Michel Kelemenis présente «+ de danse à Marseille»,  un manifeste où pendant une semaine, tout un programme est proposé pour entrer dans l’univers de ce chorégraphe d’exception. Ce soir, «Jours étranges» est repris sous la direction de Catherine Legrand et Anne-Karine Lescop pour neuf adolescents de Rennes. J’ai décidé de m’asseoir à côté des enfants: c’est un bain de jouvence, un geste à la mémoire de Dominique Bagouet, car je pressens que sa danse reliera petits et grands.

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Je ne suis pas déçu. Ces neuf adolescents sur scène dégagent une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement. Avec la danse de Dominique Bagouet, leur jeunesse est un bel affront; elle est une invitation généreuse à ceux qui connaissent peu l’art chorégraphique; elle est une énergie pour encourager les spectateurs engagés.

Le décor est loin, mais il en impose: de grosses enceintes musicales laissent entrevoir un filet de lumière, un tunnel entre ici et là-bas, d’où l’on entend l’album mythique des Doors, «Strange Days». D’où nous viennent-ils? Est-ce notre jeunesse qui défile ainsi? Probablement. Mais pas que…Il y a autre chose dans «Jours étranges», comme un système d’équations à multiples inconnues entre le désir de vivre et une solitude qui conduirait vers la disparition. Étrange…

Il faut imaginer ces quarante-cinq minutes comme un paysage (le groupe) où les éléments naturels (le rock, le silence) créent un climat (la danse) pour régénérer la nature (notre changement de regard par cette chorégraphie de l'introspection). C’est ainsi que le collectif est plaine, à moins qu’il ne soit terrain caillouteux pour propulser les corps dans le chaos de la métamorphose. Chacun cherche la meilleure façon de danser, d’avancer, de devancer pour créer sa trajectoire dans un paysage qui contient parfois, retient souvent. La danse autorise et empêche en même temps et fait face au désir de liberté de chacun contenu dans la solitude de l’adolescence.

La danse de Dominique Bagouet magnifie l’impuissance d’être «(seul)ement» libre dans son groupe d’appartenance. Il y a ceux qui n’ont peur de rien, dont le corps offre tout ce qu’il est possible de mouvementer. Puis, il y a l’Autre. Comment s’en affranchir tout en ne perdant pas de l’idée que sans lien, aucune liberté n'est à conquérir? C’est dans cet interstice que les gestes de Bagouet s’engouffrent et offrent des moments virtuoses où la danse d’un couple s’évanouit dans la brume d’un amour évanescent. A moins que d’autres corps puisent dans l’énergie de la musique, le désir de s’émanciper pour vivre la solitude comme une l’expérience d’un au-delà.

Je me prends au jeu d’entrer en relation avec chacun, sans perdre le collectif: à quelque endroit que je sois, Dominique Bagouet ne me laisse jamais seul. Ils sont fleuve, je suis de rock tendre.

Alors qu’ils rejoignent le fond de scène, le bruit de leurs pas est battements de cœur à l’approche d’une frontière où le paysage se mue en constellation planétaire.

Celle de nos rêves d’enfance égarés où Dominique Bagouet les éclaire de ses danseurs étoiles.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Jours étranges» de Dominique Bagouet. Reprise sous la direction de Catherine Legrand et Anne-Marie Lescop pour 9 adolescents de Rennes. À Klap, Maison pour la Danse à Marseille, le 10 décembre 2012.

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 07:54

Les spectateurs sont quasiment tous debout. Je suis assis. Encerclé. Seul. Je veux quitter ce théâtre. Impossible. Il faut attendre que cela finisse. Le public délire. J’aurais pu être avec lui. Mais ce que je viens de voir est au-delà de moi. Ce n’est pas scandaleux sauf que je n’en suis plus là dans mon rapport à la danse. 

Pina Bausch a disparu le 30 juin 2009. Ce fut un jour funeste. Depuis, j’ai croisé la compagnie à Monaco avec «Café Müller» et «Le sacre du printemps». Elle n’est plus là, mais sa troupe poursuit la route. Avec des hauts et des bas. Ce soir, à Nîmes, «Ten Chi», inspiré d’un voyage au Japon et écrit en 2004, est une œuvre mineure. Je m’interroge: pourquoi nous proposer une création dont on sait probablement qu’elle n’est pas la meilleure? Sauf qu’auréolé du mythe de la chorégraphe, «Ten Chi» fait un triomphe.

 


Il y a ce décor, impressionnant, qui vous happe à peine assis. Cette queue de baleine, animal mythique, m’invite au grand plongeon. Les danseuses et danseurs ne cessent de lui tourner autour, mais le célèbrent-ils pour autant ? Pourtant, tout débute par un solo époustouflant. Avec sa longue robe, elle est eau, poisson, vent, mer, soleil. Elle danse le fluide pour nous inviter dans cet environnement aquatique, là d’où nous venons, vers là où nous irons peut-être. Puis, cet univers onirique s’effondre peu à peu. Se succèdent des solos de cabaret où l’on entre et sort à la recherche d’une inspiration pour métaphoriser le contexte du pays. C’est parfois drôle, souvent lourd.
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Pendant 2h40, le procédé fatigue : solo, cabaret, duo, solo, cabaret, duo….C’est interminable. Le propos se répète sans que je ne sois invité au dépassement: tout s’additionne sans se relier. «Ten Chi» emprunte le cheminement classique du spectacle du divertissement: on rit, puis l’on est saisi par une danse virtuose, avant de plonger dans la beauté du décor (notamment quand des pétales de cerisiers tombent sur le plateau à la vitesse de l’intensité dramaturgique). Puis l’on recommence: on rit, …Peu à peu, la troupe réussit à produire l’illusion d’une œuvre majeure accentuée par de beaux écrins relationnels avec le public. Quand Dominique Mercy nous interpelle sur  la meilleure façon de ronfler, il salue notre  corps sifflotant et se veut complice de nos empêchements de dormir en rond. Quand elle s’avance du bord de scène pour compter sur ses doigts à partir des mains de spectateurs du premier rang, la danse est une poésie pour travaux manuels. Quand Dominique Mercy se fait déshabiller par un danseur, ses multiples peaux tombent à terre et la chenille devient papillon du soleil levant. 
Pour le reste, je subis une bande-son dépassée, illustrative, sans profondeur. Je tremble lorsque Dominique Mercy danse en solo et semble au bord de l’épuisement. Je soupire de n’avoir pas saisit la beauté et la complexité du Japon, réduit à quelques scènes où la caricature l’emporte sur la compréhension d’une culture (moment pathétique lorsqu’est énuméré toutes les possibles onomatopées : kikikiki-momomo-nononono...,).
Je fulmine de voir s’éclater le groupe lors d’un final où l’on se croise sans jamais s’entrechoquer. J’attends un lien, une rencontre entre danseurs. Peine perdue: les hommes sont ridicules et les femmes sont égocentriques.
Je refuse d’aimer cette pièce parce que mes ressentis ne sont jamais factices, même s’il s’agit de Pina Bausch.
Je ne vais jamais au théâtre pour entrer dans un mausolée. Encore moins pour m’incliner.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ten Chi » de Pina Bausch au Théâtre de Nîmes du 6 au 9 décembre 2012.
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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 07:41

Dans quelques semaines, Marseille et sa «métropole» seront le territoire d’une capitale européenne de la culture. Peu d’habitants ont conscience de l’enjeu, d’autant plus qu’aucune proposition ne nous a permis de nous rassembler. Pourtant ce soir, à Klap, Maison pour la Danse, un événement a fait date: des gradins, le public a dansé! Oui, nous avons dansé : joyeux et émus d’être ensemble! Depuis quand cette sensation ne m’a-t-elle pas traversé dans cette ville, en proie aux pires démons? D’où nous vient ce petit miracle ?

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Il vit à Paris. Mais ne nous y trompons pas. L’homme est avant tout méditerranéen (par ses origines corses et son long exil à Barcelone d’où il créa en 2006 «Méli-Mélo», objet chorégraphique hilarant, toujours en tournée !). Philippe Lafeuille est à Marseille dans le cadre de «Question de Danse», festival de création proposé par Michel Kelemenis, où les chorégraphes présentent une étape de leur projet. Ce soir, je suis particulièrement touché: Président de sa compagnie depuis deux ans, Philippe Lafeuille est sur mes terres où le public marseillais est le premier à vivre l’expérience. Son univers décalé, onirique, un brin provocateur, mais toujours à l’écoute, va-t-il rencontrer un public peu habitué à ressentir la danse par le plaisir partagé?

«Le bal des Princesses (et des princes !)» ravive les souvenirs de l’enfance qui se projettent sur la scène de nos désirs dans un aller-retour incessant. Car si Philippe Lafeuille ose endosser la robe dès l’ouverture, c’est pour m’inviter à lâcher la mienne, tressée par des fils de muraille. Avec trois interprètes, il va créer sur la scène les conditions pour qu’elle se prolonge vers nous, dans nous. Un petit miracle, vous dis-je, rendu possible par trois visiteurs du soir, invité à peupler nos imaginaires…Question de danse

Marie Barthélémy incarne princesse utopie: sa robe, c’est notre seconde peau, celle qui se déchire par la force du désir d’en découdre… 

Thomas Caspar est criant de vérité à courir autour de lui-même, à créer le tourbillon de sa valse à mille temps, celle qui le métamorphose en prince éternel de nos fragilités trop souvent réprimées.  

Corinne Barbara est impressionnante en princesse triste: robe à la main, elle s’accroche à quelques spectateurs invités sur le plateau. C’est un moment foudroyant vers nos rêves d’enfance perdus dans la fureur de nos modernités abusives.  Tandis que Philippe Lafeuille, en maître de bal, nous propose de le suivre, me voilà prince et princesse, renvoyé au genre humain. Reviennent alors les mouvements des jeux d’enfants où mes draps se faisaient château, où mon arbre-cheval m’offrait des chevauchées fantastiques, où sous la table de la cuisine, je me proclamais prince du royaume du réconfort. Alors qu’il m’invite à enfiler ma bague, je me souviens des fêtes entre amis, où jeunes, nous revendiquions nos différences à l’heure où le Sida nous faisait croire que nous étions punis, au piquet.

Ce soir, Marseille a eu son bal. Celui de la libération.

Un bal pour faire valser nos péchés culturels capitaux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Le bal des Princesses (mais aussi des Princes" à Klap, Maison pour la Danse les 9 et 10 novembre 2012. A voir au Centre National de La Danse à Pantin le 14 juin 2013.

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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 15:58

Mon cheminement de spectateur est jalonné de rencontres. «Question de Danse», festival proposé par le chorégraphe Michel Kelemenis à Marseille, est un rendez-vous annuel où des artistes présentent une étape de création et acceptent de la mettre en dialogue avec le public. C’est probablement l’une des rares manifestations à poser la rencontre comme un enjeu dans une programmation.

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Alexandre de la Caffinière présente «Sens fiction». Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Ce soir, toute son équipe est là pour signifier une création en co-construction. Cela se voit et s’entend dans un propos qui m’embarque dans une aventure audacieuse et fragile, comme toute prise de risque. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d'une relation duelle. Dès le premier tableau, des pixels multicolores se projettent sur des corps en position fœtale: l’imaginaire numérique les sculpte et évite de les transformer en concept futile et terrifiant! Cet instant offert est beau, sensible, mais trop vite disparu. Chacun se relève et ouvre la perspective pour entrer dans une profondeur de mouvements. C’est ainsi que se déploie sous nos yeux un paysage sensoriel en plusieurs dimensions pour qu’une relation sensuelle englobe le spectateur, auteur de son désir! Chaque danseur creuse le sol à la recherche des racines pour s’élever et s’inscrire dans des liens rhizomiques. Tout un environnement minéral accompagne cette transformation d’autant plus que chaque tableau est ponctué d’un étrange jeu de lumières qui amplifie l’apparition et la disparition. Ces mouvements parfois néo-classiques s’ouvrent pour relier les visions créatives de ce collectif d’artistes dans un tout, une terre du vivant qu’il me tarde de contempler, une fois l’œuvre achevée (en février 2013). La danse permet aux corps d’être de chair et de sens et célèbre le vivant, emporté par une musique et des images vidéos qui ne prennent jamais le pouvoir. "Sens fiction" est une chorégraphie de la puissance qui multiplie l’espace scénique pour y accueillir l’imaginaire du spectateur! 

Pour février 2013, je perçois déjà une fresque, où des faunes se perdraient lors d’une après-midi nocturne pour s’éveiller dans une nuit éclairée par nos imaginaires pixélisés…

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Sens fiction » d’Alexandre de la Caffinière ; étape de création présentée à « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille, le 26 octobre 2012. A voir les 16 et 17 février 2013 à la Maison des Pratiques Amateurs à Paris.

Crédit photo : (c) C. Bailly / Cosmos

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21 octobre 2012 7 21 /10 /octobre /2012 11:21

À l’attention des spectateurs parisiens.

Je publie à nouveau la critique du spectacle de Xavier Leroy « Low Pieces » vue au Festival d’Avignon en 2011 et actuellement programmée au Festival d'Automne de Paris. D’après les retours que j’en ai, il semblerait que le dialogue entre danseurs et spectateurs ne se soit pas bien déroulé. Preuve il en est que cette œuvre est sensible au contexte dans lequel elle se joue. A moins que vous ne formuliez d'autres hypothèses en commentaire de cet article.

 

«La danse, je n’y comprends rien».  C’est une condamnation. De soi.

Que répondre ?

«La danse se ressent». C’est une injonction. Vers vous.

Que proposer pour fluidifier l’échange entre un art considéré comme abstrait et des spectateurs en quête de mouvement?

Il y a le festival «Questions de Danse» à Marseille où le chorégraphe Michel Kelemenis crée un dialogue subtil  et respectueux entre artistes et public.

Il y a des tribunes critiques lors du Festival Montpellier Danse où des journalistes engagés  analysent la programmation face à une assemblée silencieuse et très attentive.

Il y a le Musée de la Danse à Rennes où Boris Charmatz invente un lieu original pour un dialogue ouvert.

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Et puis au Festival d’Avignon, il y a Xavier Le Roy dans «Low Pieces» qui inclut dans sa dramaturgie le lien entre spectateurs et danseurs. Si bien qu’à la sortie, le public adopte la posture calme et déterminée du philosophe marcheur. Les échanges s’éloignent des anathèmes pour interroger ce qui vient de se jouer.  

C’est ainsi que la danse se mêle de ce qui ne la regarde pas : questionner l’espace théâtral, remettre en cause la linéarité de la représentation (attente dans la lumière, spectacle dans le noir, applaudissements). Mais ce soir, tout est différent.

«Dansez !», nous ordonnons. «Conversons !» répondent-ils !

L'intention de Xavier Le Roy n'est pas de débattre sur la danse, mais de l’inscrire dans un dispositif qui nous permette de dialoguer avec elle. Un cadre où, tout en nous interrogeant sur la communication, nous créons l’interaction avec les danseurs. Une relation pour un contenu complexe, loin des simplifications dont fait l’objet la danse quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements…

C’est ainsi que Xavier Le Roy et ses dix danseurs proposent un espace contraignant d’où surgit, tel un geste, notre créativité.  Ensemble, nous jouons  sur  différentes temporalités : le premier temps de la surprise et du créatif; le deuxième celui où nous contemplons cinq tableaux chorégraphiques d’une précision exceptionnelle; le troisième celui du flou et de l’incertitude. Ainsi, en différenciant les temps, nous appréhendons la profondeur des mouvements. Ils nous permettent d’accueillir la danse par un dialogue permanent avec notre système de représentation. À la nudité des danseurs dans la deuxième partie, répond ma nudité dans la troisième. À leur prise de risque dans la première, réplique mon écoute dans la deuxième.

 

C’est ainsi que leurs cinq tableaux forment une œuvre d’une étrange musicalité : le mouvement se niche dans la dynamique d’un groupe statufié; la danse prend forme dans les déplacements aléatoires et calculés d’un collectif métamorphosé en troupeau de lions; le sens émerge d’une partie de jambes en l’air d’où surgit subitement un champ de blé soumis au vent; le souffle vital se fait mouvement alors qu’ils ne bougent plus. Pour entendre le tout, il y a une séquence de cris de mouettes dans le noir, où les sons forment un ballet enivrant dans lequel je suis emporté.

Ce soir, Xavier Le Roy, ose désacraliser son art en nous légitimant comme être dansant. En mobilisant notre sensibilité pour communiquer, il nous permet d’entrer dans la danse à partir de notre corps de spectateur.  Cet acte artistique innovant est dans la lignée du théâtre de Jean Vilar.

Et c’est de la danse…

Pascal Bély – Le Tadorne

« Low Pieces » de Xavier Le Roy au Festival d’Avignon du 19 au 25 juillet 2011.

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10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 18:41

Il me plait d’aller sur des territoires inconnus, à la rencontre d’artistes qui ne bénéficient pas toujours d’un réseau de diffusion élargi. Il y a dix jours, j’ai assisté à cinq représentations  proposées par «le Off» de la Biennale de la Danse de Lyon. Elles furent d’une belle vitalité, d’un engagement communicatif qui démontre, une fois de plus, que la danse contemporaine française sait accueillir le spectateur même si elle peine parfois à  révolutionner ses propres codes de la représentation.

Avec «E Tango», la compagnie Moebius impressionne par sa qualité d’écriture dramaturgique enchevêtrée dans un propos chorégraphique plutôt vivifiant. Articulant jeu théâtral et mouvements dansés, ces quatre interprètes interrogent la communication postmoderne de l’internet à partir de la relation codifiée du tango. Le propos est intelligent, car ouvert: ici, point de culpabilisation inutile sur nos comportements d’internautes, mais une lucidité bienfaitrice! La danse résiste aux nouvelles technologies (quitte à s’amuser avec!), voire s’en inspire pour enrichir ses esthétiques. «E Tango» est beau à voir d’autant plus que la musique est une recherche, entre tradition et modernité. Le jeu d’ombres et de lumières est particulièrement réussi (moment délicieux qui voit un couple se dédoubler derrière un rideau ou comment un plus un est égal à quatre !). L’alternance d’un tango plus classique avec une danse décomplexée des convenances démontre comment la communication créative peut se déployer dans une société hyper connectée. Le numérique, s’il influence la danse, n’est après tout qu’un outil: il n’est pas «la» communication. Juste un espace où l’on s’amuse à créer. Certes, il y a quelques longueurs, mais l’ensemble se tient, car le quatuor ne lâche jamais son propos: le tango est une danse du lien, un territoire infini de possibles où le geste éphémère s’emmêle dans le désir.

«Thirst» de David Hernandez est un très beau duo dansé par deux excellents interprètes (Stanislas Dobak et Colas Lucot). Avec la création sonore de Philippe Cap (où les voix émergent des ténèbres du corps), ils s’explorent chacun à partir d’une danse qui capte l’énergie de l’introspection. Dans un premier temps à terre, ils occupent tout l’espace par la force de déplacements désirés quand d’autres semblent plus inconscients. Ils sont différents donc interdépendants ! Ils glissent sur l’eau, fluide de leur danse. Rien ne déborde, bien au contraire: ici l’art est maître des corps. Ils s’offrent quelques instants de pause où l’un jauge l’autre dans cette recherche au croisement du spirituel et d’une quête intérieure de bien-être. Puis ils repartent, corps debout, mouvements plus amples sur un sol nourricier. Les quelques longueurs parfois ressenties sont peut-être utiles pour lâcher son regard de spectateur et tomber avec eux dans leur territoire où la danse est le langage de la complexité. La compagnie «DH+» est à suivre. Le rendez-vous est pris.

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«Après-minuit» de Luis Gomes est une étrange proposition. Invité à prendre place dans un grand studio, je m’assois près des techniciens. Cette proximité et le lieu sont propices à entrer dans la confidence, à s’immiscer dans la relation entre les deux interprètes (Luis Gomes et Anne Guéguiner). Je suis rapidement troublé par l’énergie du premier, par ses mouvements «cubistes», électrisés, qui célèbrent sa métamorphose jusqu’à la sculpture. Pourquoi l’image de Dominique Bagouet m’a-t-elle traversé ? À côté, Anne Guéguiner est plongée dans une recherche fondamentale où le trouble, le désir, le corps aimant seraient ses champs d’exploration.  C’est souvent profond, parfois éloigné de ma propre quête. La musique sophistiquée accompagne cette relation énigmatique (à ce stade, peut-il en être autrement ?!). Il faut attendre la dernière minute pour qu’un «déshabillez-moi» suggéré m’invite à faire tous les liens possibles et inimaginables…

La dernière proposition de Corinne Lanselle, «des poissons dans les arbres» serait presque une articulation entre les trois précédentes tant j’y trouve une théâtralisation, une recherche de la danse par la relation (du duo au trio puis au quatuor). Si le duo de départ me séduit par sa fraîcheur et par leur engagement à créer un univers de recherches et de tâtonnements, je suis beaucoup plus réservé quand arrive la troisième danseuse. Son jeu incarné dans un rôle trop voyant de perturbatrice du désordre établi me gêne, comme si ce souci de clarté cachait un désir de maîtrise des émotions du spectateur. L’arrivée de la chanteuse lors du dernier tableau confirme mon pressentiment : chanter n’est pas danser, mais contribue à calmer cette chorégraphie débordante d’énergie qui, avec le temps, trouvera son bon tempo. Parce ce que ces quatre artistes sont généreux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« E Tango » par la Compagnie Moebius - «Thirst» de David Hernandez - «Après-minuit» de Luis Gomes - «Des poissons dans les arbres» de Corinne Lanselle – Au Croiseur à Lyon dans le cadre de la Biennale Off de la Danse.

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29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 08:30

 

Si Halory Goerger et Antoine Defoort sont comme ils se plaisent à dire «des analphabètes du théâtre», cela ne les empêche pas de créer leur propre langage scénique entre arts plastiques, performance, conférence, danse…et théâtre. Depuis «Métrage variable», «Cheval» et «&&&&& & &&&», ces deux-là contaminent la scène dans un geste tout à la fois ludique, savant et critique des usages de notre époque, de notre rapport à la technologie et au langage: d’ailleurs, le sous-titre de l’une de leurs créations n’était-il pas «un spectacle de câble et d’épée». Tout un programme!

"Germinal se présente comme une pièce (qui) met en scène des individus qui envisagent le plateau comme un espace vierge et fécond dans lequel tout est à faire. […] à faire émerger un système, en étant candide on dirait : un monde.» En effet, Germinal est une odyssée à rebours, un laboratoire utopique sans but s’appuyant sur l’aptitude des êtres à former leur pensée par le biais du langage, et se construisant au fur et à mesure sur l’idée que du groupe naît la contradiction et la conscience de sa propre identité. Peut-être est-ce cela le «minimum ontologique légal» qui permet de démarrer une nouvelle civilisation? Car c’est bien ce qui est mis en branle et mis en question dans cette création: comme sur une page blanche (mais pas vierge) ou comme au début d’un jeu vidéo dont le fonctionnement et les possibilités sont encore à découvrir, Germinal se doit de tout inventer.

Au commencement la lumière fut, discrète tout d’abord, s’essayant à plus d’intensité, à disparaître, puis à prendre plus de place. Cela dure un certain temps –un monde ça n’est pas si simple à éclairer– et petit à petit, l’on distingue quatre silhouettes assises sur ce plateau vide, qui apparaissent tranquillement. Une femme et trois hommes - mais cela a-t-il une quelconque importance ?– sont posés là, attendent la suite. L’un d’entre eux se lève, c’est lui qui maîtrise depuis le début tous ces jeux d’éclairage. C’est un monde en vase clos dans lequel tout est à inventer. À ré-inventer plutôt, car l’on se rendra vite compte que ces quatre êtres humains –qui n’ont rien à voir avec une peuplade dite «première»- possèdent un langage très développé, malgré le fait qu’ils ne maîtrisent pas tout de suite leur appareil phonatoire, et s’avèreront être très perspicaces lorsqu’il s’agira d’éviter de retomber dans certains travers à l’œuvre dans notre société, pas dans la leur!

La germination est en marche, tout d’abord le langage comme forme de pensée, la communication, la contradiction, la voix, le chant, la musique…l’individu qui déjà manipule les idées des autres pour son propre compte. Tout cela s’accomplit dans une douce nonchalance et une fausse naïveté qui rend cette «création du monde» à la fois hilarante, ludique, subtile et nécessairement poétique et politique.

Comme dans les précédentes pièces d’Halory Goerger et d’Antoine Defoort, le rire prend sa source au cœur même des données et des contraintes du langage, de son déploiement. À l’instar de Tiqqun dans la Théorie du Bloom, ils cherchent à «aller jusqu’au bout des possibles que contient leur situation». Situations limites dans lesquels nos quatre interprètes se confrontent à la nécessité d’apprendre comment s’organise un échange de pensée par sous-titres interposés? Comment produire du son avec sa glotte, sa gorge et son larynx? Comment un seul micro pour s’exprimer pose-t-il la question du porte-parole, et donc du mode de gouvernement en devenir? Autant d’approches ludiques et dialectiques d’un questionnement sur la constitution et le fonctionnement d’un groupe, d’un peuple, d’une civilisation, d’une galaxie.

Une fois le langage et la parole mises au point vient le temps de se mesurer à l’espace, aux éléments qui constituent cet espace, qui le circonscrivent et forment les bases d’un vocabulaire plus élargi, du rapport au matériel et à l’immatériel. Il y a ce qui fait pocpoc quand on le frappe avec le micro et ce qui ne fait pas pocpoc. La catégorisation est en route. Mais tiens d’ailleurs, est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc ou pas? Et à un moment, se rendre compte qu’il y a des choses qui font pocpoc dans le cœur…

germinal_01.jpg

Germinal se déploie dans une «variation continue» pour reprendre l’expression deleuzienne. Il faut détruire pour construire semble être l’un des leitmotivs du spectacle. Chaque élément découvert devient l’occasion pour chaque interprète de mesurer son rapport au monde en train de se créer. Micro, guitare, amplificateur, ordinateur sont autant d’éléments poussiéreux, enfouis sous des gravats tels des restes archéologiques d’une époque révolue, des résidus, et qui aujourd’hui servent à la reconstruction du monde, ou du moins à la construction du spectacle. L’objet occupe dans cette création une place importante d’élément permettant d’établir une critique de nos propres comportements à partir de l’usage que nous en avons, voire même de l’usage qui nous en est imposé.

Dans une approche aussi bien plasticienne que théâtrale et performative à souhait, Halory Goerger et Antoine Defoort parviennent à élaborer un monde en vase clos aux multiples résonnances vers l’extérieur. Une installation théâtrale sous forme de laboratoire tout à la fois farfelu et tellement nécessaire. Ce ne sont pas des personnages qui jouent la comédie, ce sont des êtres en devenir dont les buts sont très incertains. On peut jouer avec le monde, le décortiquer, en défaire une à une chaque brique, faire tomber les murs, ne pas les reconstruire, ré-agencer des ensembles nouveaux. Cependant, les bases restent là: des individus face aux autres et face à eux-mêmes, aux prises avec un langage à redéfinir, à dé-catégoriser, à réinventer. Lorsque l’on sort de la salle, on se sent plus intelligents (pour une fois!), petits face à l’ampleur de la tâche qui nous attend, grandis par la dimension ludique et critique de cette création, et surtout joyeux que quatre trublions rebattent les cartes de nos représentations individuelles et collectives.

Si ce n’est pas du Zola, on en rêverait presque ! Merci.

Nicolas Lehnebach pour, vers le Tadorne.

Germinal, aux Subsistances, du 18 au 21 septembre 2012 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.

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28 septembre 2012 5 28 /09 /septembre /2012 11:17

Dans un festival, il y a un petit plaisir que je ne me refuse jamais: faire dialoguer les œuvres. En ce dimanche après-midi, la Biennale de la Danse de Lyon a l’excellente idée de programmer deux spectacles qui, en apparence, non aucun lien entre eux. En apparence…

Philippe Decouflé revient avec «Panorama», un best off de son parcours de plus de trente années de création. L’amphithéâtre de la Cité Internationale est une salle imposante avec ses 3000 places. Le rapport scène-salle est totalement détestable, mais amusant: le plateau parait si petit face à l’immensité de ce mur de spectateurs. Nous sommes accueillis par des majorettes siglées aux insignes de la compagnie: l’ambiance est bon enfant et le restera tout au long du spectacle. En trente ans, le style Decouflé s’est fondu dans le langage publicitaire et les différentes esthétiques de la société du spectacle. La transmission vers ces jeunes danseurs semble très opérationnelle: s'il y a vingt ans, Decouflé transgressait, sa danse parait aujourd’hui un brin décalé avec l’époque, sans énergie subversive. C’est d’autant plus vrai avec certaines scènes où le «noir» fait le show, où la femme potiche et hystérique fait marrer. En sommes-nous encore là? Ces ressorts humoristiques, tant répandus dans la sphère médiatique, me lassent très vite. Les quelques moments de virtuosité sont si empruntés que l’ennui ne tarde pas à s’inviter. Ce «best off» ne tisse aucun lien entre les différentes époques. Troublant. C’est un voyage dans le temps sans résonance particulière, à l’image d’un parc d’attractions posé là.

 

 

 

Deux heures plus tard, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin débarque avec la compagnie Moving Into Danse Mophatong pour «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position …». Le début du spectacle est dans la continuité de «Panorama»!  On danse pour créer de l’image, de l’effet. Mais «où est la beauté ?» s’exclame une des danseuses. Le microbe aguicheur de chez Decouflé revient sous la forme d’un serpent très laid. Nous sommes invités à le chasser de la scène pour que la beauté puisse occuper le plateau! Robyn Orlin pense à juste titre que nous avons une vision misérabiliste de l’Afrique qu’il convient de changer. Mais n’avons-nous pas aussi une approche esthétique de la beauté qu’il faut «humaniser» pour la replacer dans l’interaction? Elle s’y emploie avec l’humour qu’on lui connait, avec cette troupe de sept danseurs qui prennent plaisir à être là, à venir nous chatouiller sous les orteils, à nous déplumer pour remplumer leur danse, à convoquer Dieu pour le rendre témoin de notre triste destin à chercher ce qu’il nous avait pourtant donné contre quelques concessions! Il y a dans cette pièce une énergie incontestable, dans la lignée du travail de  Philippe Decouflé, le désir d’en découdre en plus (ah, la scène de l'orgasme collectif! Inoubliable!). Le plastique joue ici un rôle majeur: matière à rêves, il recycle notre société du déchet pour créer de nouveaux territoires, celui de nos imaginaires enfin reliés, protégés par une déesse de la beauté bienveillante. Je suis troublé de reconnaître à plusieurs reprises des éléments du spectacle de Philippe LafeuilleCendrillon, ballet recyclable»), présenté l’an dernier à la Maison de la Danse de Lyon et qui avait si joliment célébré la puissance d’imagination du spectateur. La beauté plastique se transmet donc entre chorégraphes pour faire voler nos dernières certitudes sur un lien présupposé entre le beau et le neuf (voir aussi le spectacle de Phia Menard, programmé cette année à la Biennale).

Mais Robyn Orlin peine à totalement m’embarquer. Elle met en scène la recherche de la beauté sans pour autant inclure les danseurs dans un processus qui ferait une œuvre. Le spectacle se fait avec nous, devant nous, sans que je n’aie eu la sensation d’assister à une proposition chorégraphique. Il faut attendre le générique de fin pour visionner une vidéo où l’une des interprètes danse la, sa beauté. À peine l’image se fige-t-elle qu’elle nous interpelle pour évoquer sa fierté de se voir aussi belle. Interloqué, je m’interroge: et si nous étions passés à côté de l’essentiel, à savoir que la beauté est dans l'art? A moins qu'elle ne soit dans le regard qu'on lui porte...

Pascal Bély – Le Tadorne

« Panorama » de Philippe Decouflé et «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position …» de Robyn Orlin à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.

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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 18:08

Au fur et à mesure des œuvres qu’il programme, le spectateur est pétri d’influences qui peu à peu, construisent son «propos». Il lui arrive également de s’inclure dans une démarche de création partagée avec des artistes. Ainsi, progressivement,l’image du spectateur actif émerge dans notre société où la représentation de son positionnement est le plus souvent noyée dans la masse uniforme de la jauge ou de l’appellation générique de «public».

À quelques heures de partir pour la Biennale de la Danse de Lyon, une vidéo postée sur mon mur Facebook attire mon attention. On y entend deux metteurs en scène (Claude Régy et Luc Bondy) échanger avec Fréderic Taddeï sur le plateau de «Ce soir ou jamais». La pensée de Claude Régy est lumineuse quand il évoque le positionnement du spectateur. «Il faut supprimer la représentation…la vraie représentation est complètement imaginaire…l’écriture trouve son prolongement dans l’imaginaire du spectateur, qui imagine le spectacle à partir de ce qui lui est suggéré…la liberté est totale…aux  spectateurs d’inventer leur spectacle, d’être libre d’imagination, d’être créateur, pas spectateur passif». Il poursuit en pointant les théâtres où la «scène est une coupure». Il évoque «le besoin d’une salle unique pour relier l’univers  mental du spectateur et celui de l’artiste…où le spectateur est dans le même lieu que le spectacle…». Il soutient que «le réalisme est une fausse posture. Il n’y pas de réel. Au nom de quoi peut-on faire du réalisme ? Il faut faire des choses qui déconstruisent l’idée de la certitude, qu’il y aurait un réel simple». Ses propos m’impressionnent: sa pensée complexe rencontre mon «travail».
Mais en ce samedi d’automne, le spectateur vu par Claude Régy est absent de la Biennale de la Danse de Lyon. Rendez-vous m’est donc donné à Vaulx-en-Velin pour «Murmures» de la Compagnie Malka. Cette œuvre du chorégraphe et danseur Bouba Landrille Tchouda évoque le milieu carcéral. Vaulx-en-Velin – prison…étrange association. Probablement le «réel» s’est-il invité dans la représentation que se font les programmateurs de cette ville…Je suis d’emblée surpris par le rapport scène-salle qui reproduit la distance entre la prison et la société. Le réalisme est décidément partout quitte à brutaliser la rencontre entre des artistes et des spectateurs.
Le décor est une cellule où le chorégraphe et le danseur Nicolas Majou évoluent au gré de leur relation. Tout est suggéré: la chambre colle aux mouvements et réduit la danse à un message explicite (qu’aurait-il chorégraphié sans la présence du lit, du lavabo?). Elle me «parle» beaucoup trop pour que je puisse imaginer, me projeter dans un processus d’enfermement (sur ce registre, on préférera de loin «Press» de Pierre Rigal). Bouba Landrille Tchouda m’isole dans son «réalisme» jusqu’à effleurer la relation homosexuelle entre les deux prisonniers, à jouer au «j’allume et j’éteins la scène» pour signifier une hypothétique mobilisation de mon imaginaire. Ce travail tout à fait respectable ne rencontre pas mon parcours de spectateur: bien au contraire, il le fait bifurquer vers une voie où le «réel » serait lisible. Vers une «danse réaliste» ?
Deux heures plus tard, Yuval Pick, tout jeune directeur du Centre Chorégraphique de Rillieux la Pape, nous propose au Théâtre de la Croix Rousse, «Folks», sa dernière création. Le dispositif scénique est superbe. Comme avec Claude Régy, j’ai rapidement la sensation qu’il n’y a qu’un seul espace «mental» entre artistes et spectateurs. Six danseurs surgissent et font la ronde: l’enfance s’invite là où les mains créent le fil tendu, détendu qui électrise les corps. Leur inconscient groupal «se prolonge dans mon imaginaire». Cela m’émeut. Peu à peu, la ronde bascule vers le folklore, la joie d’y être et les premiers conflits. Du linéaire, Yuval Pick propose, à partir de différents tableaux, une vision complexe du groupe, souvent abordé en danse contemporaine (dernièrement chez Mathilde Monnier, Emanuel Gat, Radhouane El Meddeb, Hofesh Shechter,…): le collectif uniforme, l’exclusion, le couple homme-femme, homme-homme, l’inclusion. Il y a chez Yuval Pick une énergie rarement rencontrée ailleurs: en mêlant le mouvement folklorique, les langages (le rire, l’applaudissement, …), l’imaginaire de West Side Story, il parvient à créer le groupe garant d’une culture, celui qui dépasse le stade infantilisant de l’unisson.
Mais…au bout de quarante minutes, tout s’émiette. Sans que l’on comprenne pourquoi, chacun installe des plantes sur scène qui finissent par signifier une forêt tropicale. Les danseurs semblent  livrés à eux-mêmes, perdant tout sens de l’espace et de la relation groupale. Rarement je n’ai approché un tel désastre artistique où pour sauver ce qui peut l’être, un chorégraphe décide de noyer son propos dans un décor. Je suis désemparé, presque abandonné en rase campagne!
«Folks» s’effondre. Cette création n’est pas du niveau d’un Centre Chorégraphique National. Faut-il voir dans le geste de ce créateur une incapacité (provisoire?) à articuler  le groupe et le projet institutionnel? Ce décor serait-il métaphorique d’un paysage chorégraphique réduit à une jungle institutionnelle où se perdent un chorégraphe et des danseurs?
J’hallucine? Peut-être, mais c’est ma seule façon d’exister comme spectateur créateur….
Pascal Bély – Le Tadorne.
«Murmures» par la Compagnie Malka et « Folks » de Yuval Pick à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.
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