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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

7 juillet 2011 4 07 /07 /juillet /2011 11:10

Étrange journée…Le festival Montpellier Danse peut nous réserver une belle surprise en fin d’après-midi et nous propulser plus tard dans une ambiance plombée d’une petite fête entre amis chez Monsieur l’Ambassadeur.

À 17h, Phia Ménard se prépare. Tout autour, le public prend place sur des coussins ou dans les gradins. Je m’assois près d’elle, comme une évidence. Tel un artisan pêcheur avec son bonnet sur la tête et son manteau pour tous les temps, elle découpe des sacs plastiques. Ont-ils été pêchés en Méditerrannée, là où ils prolifèrent jusqu’à menacer durablement la faune et la flore marine ? À moins qu’elle ne les ait attrapés au vol dans la rade de Marseille par temps de mistral. Je n’ai jamais imaginé  retrouver sur la scène d’un festival de danse, ces compagnons d’infortune croisés lors de mes randonnées. «L’après-midi d’un Foehn (version 1)» dure trente minutes. Précieuses secondes où votre corps se laisse porter par les émotions de l’enfance tandis que votre regard balaye l’assistance à la recherche du complice. Délicieux.
À peine entendons-nous la musique de Debussy…à peine percevons-nous le souffle propulsé par les ventilateurs. La délicatesse et une précision millimétrique provoquent une chorégraphie pour que s’envolent ces sacs, métamorphosés en corps humains. L’air est musique. La musique est dans l’air.  Ominprésent dans nos vies (jusqu’à coller à notre intimité…), le plastique devient la matière du mouvement. Il ne porte plus, mais il transporte. Phia Menard convoque  tout un ballet: la danse recycle, régénère et nous libère de la pollution. Elle n’hésite pas en entrer dans le mouvement, à jongler avec eux. C’est un ballet avec nos rêves de danse. 

Elle est sur la frontière entre scène protégée et ciel pollué, entre  fragilité et force, entre ordre et désordre. Elle est au cœur d’une cellule régénératrice, celle dont l’énergie métamorphose tout un système. Tel un chorégraphe de l’utopie, Phia Menard est un souffleur de bulles de savon qui viennent se fondre sur notre peau.

Avec elle, l’éphémère est durable jusqu’à tout faire exploser : plus que jamais, les briseurs d’utopie sont à l’œuvre…

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Quelques heures plus tard, le chorégraphe allemand Raimund Hoghe nous donne rendez-vous pour une création unique. Artiste associé du festival, il a tissé depuis de nombreuses années un lien de confiance avec des spectateurs fidèles. Pour ma part, notre relation a débuté en 2004, ce qui en fait l'artiste le plus chroniqué sur ce blog : « "Young People, Old Voices"(2004), "Cartes Postales" (film ; Arte) ;  «36, Avenue Georges Mandel» , «Meinwärts» (2007) ; « Boléro Variations» et "L'après-midi" (2008), « Sans titre » (2009), «Si je meurs laissez le balcon ouvert»(2010). Raimund Hoghe sait ritualiser mes douleurs et mes deuils. Il orchestre toutes mes cérémonies impossibles. Mais ce soir, je ne suis pas son invité pour «Montpellier, 4 juillet 2011». Le public, composé d’officiels et de VIP, n’est pas celui avec lequel j’ai vibré pendant tant d’années. Dans l’immense cour de l’Agora, (la Cour des grands?), Raimund Hoghe se célèbre face à une assistance hiérarchisée: les artistes devant sur des coussins, les VIP aux premiers rangs (Jean-Paul Montanari, directeur du festival, trônant dans son fauteuil) puis derrière, vous et moi. De ma place, la visibilité est si réduite que je dois me lever.  En reprenant les moments forts de ses œuvres, Raimund Hoghe nous offre toute l’étendue de son talent. Hors du propos artistique de l’époque, ces extraits me sont  volés le temps d’une soirée.
Ce soir, le corps de Raimund Hoghe est un mausolée institutionnalisé pour célébrer une danse d’État.
Ce soir, Raimund Hoghe est dans les pas de Raimund Hoghe. Pas un seul sac plastique sur scène pour m’accrocher à l’idée que je ne l’ai pas perdu.
Pascal Bély - Le Tadorne.
« L’après-midi d’un Foehn (version 1) » de Phia Menard et « Montpellier, 4 juillet 2011 » le 4 juillet 2011 dans le cadre de « Montpellier Danse ».

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 09:15

galvan.jpg 

C’est impressionnant. Sidérant. Captivant. Halletant. Où trouver les mots pour décrire l’enthousiasme général provoqué par le danseur de flamenco Israel Galván, accompagné de Fernando Terremoto au chant et d’Alfredo Lagos à la guitare? Avec "La edad de Oro", le public n’en revient pas d’assister à un spectacle d’une telle pureté et d’une telle grâce. Pour filer la métaphore, Israel Galván célèbre le Flamenco comme Anne Teresa de Keersmaeker épure la danse contemporaine. C’est pour dire. Il nous avait déjà époustouflé en 2009 avec "El final de este estado de cosas, redux" œuvre scénarisée entre le Liban et l’Espagne pour une lecture très personnelle d'un texte biblique de l'Apocalypse.

Ce soir, à Montpellier Danse, point d’histoire. Juste le Flamenco. Israel Galván est en symbiose : avec les instruments, avec ses acolytes, avec le sol et la lumière. Son corps est une terre humide qui capte l’énergie pour nous la restituer. C’est ce mouvement perpétuel qui nous rend si joyeux, si perméable à sa danse. Il entre en nous pour abattre toutes nos barrières de défense. Sa féminité est une rose qu’il nous tend tout en se piquant les doigts. Il saigne, mais sa rage d’en découdre est son pansement. On le croirait trembler de la tête aux pieds, mais ce n’est que le bruit de ses ailes d’ange, comme un claquement de dents. La musique est une onde qu’il attrape au vol pour se laisser traverser et terrasser. Il se relève : l’art n’abdique jamais. Sa danse est un rapport de force pour imposer la paix des braves ; la musique et le chant, un hymne à la terrible beauté.

Israel Galván m’impressionne : sa féminité virile m’évoque une danseuse qui lancerait sa barre verticale pour créer un mouvement libératoire. Il peut tout oser : droit comme un chêne, souple comme un roseau, il accueille les feuilles qu’il ramasse à la pelle et nous offre un feu d’artifice végétal. Il réveille notre désir animal pour l’apprivoiser tendrement : de sa langue mouvementée aux doigts envolés, cet homme peut tout tant que l’art lui donne. Il épure son geste artistique tout en le tressant de violence et d’amour. Il chorégraphie l’altérité pour nous enrôler dans la complexité du Flamenco.

Alors que son corps ruisselle, la lumière des coulisses l’appelle. Il me plaît d’imaginer qu’il est au paradis pour y célébrer l’énergie créative de l’enfer.

Israel Galván est un immense artiste. 

Pascal Bély – Le Tadorne

« La edad de Oro » d’Israel Galván à Montpellier Danse les 24 et 25 juin 2011.

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12 juin 2011 7 12 /06 /juin /2011 14:50

Dans le cadre des "Lundis au soleil", rendez-vous mensuel organisé parles Hivernales d’Avignon, nous rencontrons la chorégraphe Régine Chopinot à la veille de sa création «nDa» (nouvelle Danseuse aveugle), pour le Festival Uzès Danse. Ses mots sincères ont agi comme un levier pour nous affranchir de notre condition de spectateur et nous emmener dans son sillage.

Elle a connu l’éclatement de la danse contemporaine dans les années 80, a été la directrice du Centre Chorégraphique National de Poitou-Charentes. Elle est aujourd’hui libérée des institutions, un électron libre guidé par ses envies. Elle part à la recherche de nos racines, aux quatre coins du monde, comme des excursions chorégraphiques. Telle une aventurière, avec « la prétention de se glisser dans l’interstice qui nous lie au tout ». Le tout est nature, objet, l’autre, l’humain (les Maoris, le peuple de Bamako, les aborigènes…).  Autant de confrontations, pour faire vivre un projet humaniste qui nous positionne dans l'ici et l'ailleurs.

« nDa » trouve sa force dans ces propos. Second volet d’une recherche chorégraphique qu’elle souhaite prolonger sur sept années (au minimum), Régine Chopinot partagera le plateau avec sa sœur Michou. Ce partage est un bonheur retrouvé, une relation fraternelle mise à jour avec respect, avec amour. L’intime devient alors force créatrice et s’imbrique dans les liens au monde comme un contrepoids aux visions égocentrées.

 

Vient l’instant où le théâtre des Hivernales s’ouvre, laisse tomber ses murs pour projeter le synopsis de nDa. Des images de Bamako colorent notre regard d’Européen, des enfants dansent au rythme du ukulélé ; Michou et Régine dansent, chantent, des chiens s’essaient à un duo, la nature nous accueille. Des images vivantes, heureuses, poétiques qui réveillent notre émerveillement. Mais nous voilà rattrapés par un certain formatage lorsqu’un spectateur demande :
«Avez-vous écrit quelque chose ou bien ce sera improvisé ?»
«Tout est excessivement écrit, tout est excessivement fait dans le présent, dans le rapport au public».
La danse a sa raison d’être. Si elle cesse parfois de faire battre les cœurs, elle réanime aujourd’hui notre souffle et s’apprête à créer le mouvement des corps à l’unisson.
À nous de nous laisser guider.
Laurent Bourbousson - www.festivalier.net
Rencontre dans le cadre des Lundis au soleil au CDC Les Hivernales d’Avignon, le lundi 6 juin 2011.
"nDa" sera présenté au festival Uzès Danse du 17 au 22 juillet 2011.
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4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 09:50

Igor Stravinsky écrivait : «J’ai dit quelque part qu’il ne suffisait pas d’entendre la musique, mais qu’il fallait encore la voir». Ce soir à Strasbourg, je l’ai vu. Plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Au-delà, de l’entendable, jusqu’au dernier tableau, à couper le souffle. Inspiré d’un conte d’Andersen, il créa la musique du ballet «Le baiser de la fée», aujourd’hui chorégraphiée par Michel Kelemenis pour le Ballet du Rhin. On savait comment il explorait la musique (inoubliables «Aphorismes Géométriques», « Viiiiite » et « Aléa »), racontait d’étranges histoires aux enfants (« L’amoureuse de Monsieur Muscle », « Henriette et Matisse ») mais le connaissions-nous alchimiste ?  Il chorégraphie une musique pour une danse célébrant l’union de deux enfants liés d’amitié qui se retrouvent à l’âge adulte…amoureux.

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Bien au-delà du conte, Michel Kelemenis opère la rencontre entre le mouvement et la musique. Ce processus, qui pourrait paraître long au début (mais nous ne sommes pas ici sur le terrain du spectaculaire) se déploie dans un cadre pensé pour un tel dialogue : un chœur (celui qui ouvre l’étau entre la verticalité de Stravinsky et l’ampleur du geste dansé de Kelemenis), deux danseurs exceptionnels (Christelle Malard-Daujean et Renjie Ma) et un barman (troublant Grégoire Daujean). Ce dernier joue un rôle majeur : il leur fait traverser le cœur (métaphore d’un chemin que l’on ferait en marchant où rien ne semble tout tracé) et s’interpose quand la musique voudrait empêcher la respiration des mouvements. En permanence, le spectateur est sur la lisière : entre l’histoire et la marche de l’Histoire ; entre se laisser séduire par Stravinsky et accepter de ne plus l’entendre. Pour amplifier la  séparation entre les deux enfants, Michel Kelemenis nous offre de belles images : son décor de lamelles contient la respiration des corps et ouvre des voies de passages vers l’émancipation jusqu'à la boîte de nuit pour orchestrer leur libido! Il  pose un tapis roulant de chair pour percer les mystères du désir, joue avec des tabourets de bar pour tracer des chemins. Tout n’est qu’ouvertures…Le barman prépare chacun des deux amoureux à se séparer de l’enfance pour ne plus la quitter. Il ôte même ses vêtements, comme pour changer de peau, de rôles et s’effacer peu à peu. Sa modernité est là : soutenir pour mieux lâcher, leur confisquer la vue pour qu’ils entendent les fureurs et les douceurs de leur trajectoire incertaine, ne pas céder aux injonctions de Stravinski, mais accueillir son énergie…Ainsi va la vie : se nourrir du chaos pour créer son destin.

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"Le baiser de la fée" nous offre leur destinée. Le dernier tableau, véritable chorégraphie d’une sexualité transfigurée, voit les deux corps entrer en fusion dans un ébat amoureux où l’animalité se confond dans un transgenre. Le féminin dans le masculin. Le masculin pour la féminité.

Et notre vue s’embrume parce qu’à ce moment précis, la musique se révèle : le corps est symphonique.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Le baiser de la fée » par Michel Kelemenis avec le Ballet de l’Opéra du Rhin a été joué du 1er juin au 7 juin 2011 dans le cadre de la soirée, « Trilogie Russe »

Crédit photo : JL Tanghe.

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 18:24

Avez-vous déjà écouté un public crier de joie lors d’un spectacle de danse contemporaine ? Qu’est-ce qu’il peut bien se jouer pour que, peu à peu, femmes, hommes et jeunes enfants se lâchent à ce point, jusqu’à faire entendre un cri presque primal? Ce soir, à Gap, ils sont tous là (belle diversité du public) pour «Asphalte», chorégraphie de Pierre Rigal. Sa dernière création au Festival d’Avignon  («Micro») avait fait vibrer la Chapelle des Pénitents Blancs lors d’un concert rock chorégraphié. Ce soir, il provoque à nouveau une forme de transe où les applaudissements se fondent progressivement à la musique grésillante, alarmiste et envoûtante de Julien Lepreux.

Imaginez un bloc posé sur scène, qui en fonction des enjeux et de l’énergie du groupe, génère une lumière qui métamorphose les corps. Accueillez cinq danseurs dont une jeune femme : ils forment la jeunesse colorée de France, où à la petite taille de l’un répond la haute stature pliable de l’autre, où la présence féminine, «objet» de désir, finit par sculpter la sensibilité du groupe. Ils courent autour de ce bloc, construit sans eux, métaphore d’un pays jadis glorieux qui affichait sa puissance et sa gloire, mais où sa beauté s’est depuis fondue dans la crise. Ils composent une partition chorégraphique d’une telle précision qu’elle s’approche de la rigueur de Merce Cunningham. Ils apparaissent pour communiquer et disparaissent pour fuir toute tentative d’uniformisation quand ce n’est pas sous la menace d’un terrorisme culturel armé qui ne dirait pas son nom. Ils tournent autour de ce bloc et provoquent l’énergie qui alimente le lien entre la salle et le public : nous  sommes en permanence connectés. L’électricité a sa danse.
Cette bande de danseurs hip-hop semble avoir confié son art des rues à un artiste du mouvement. Pierre Rigal a pris le soin de décortiquer chaque fait et geste pour leur donner une forme qui traverserait l’histoire de l’art. Ce qui défile devant nous, n’est rien d’autre qu’une humanité qui parlerait hip-hop. Tout son travail est là: à partir d’une pratique collective (le football dans «Arrêts de jeu», le rock dans « Micro »), d’un état (la position debout dans « Érection » ou pressurisée dans « Press »), Pierre Rigal  crée le métalangage capable de résonner en chacun de nous, en ralentissant le geste (le factuel) pour composer le mouvement (la communication) et nous restituer notre code génétique de danse. C’est ainsi que bouger les doigts est une danse hip-hop qui électrise les corps sensibles et leur rend leur chair originelle.
Chaque tableau émerveille et sidère, car Pierre Rigal libère le hip-hop des clichés pour nous en émanciper. Plus que n’importe quel autre chorégraphe siglé,  il inclut cette danse dans un mouvement «historique» jusqu’à remonter au temps des fresques préhistoriques après la bataille du feu. Il «hippopise» les corps fluorescents d’Alwin Nikolais, métaphore de nos folies actuelles (on va finir par perdre la tête de tant d’uniformités). Il chorégraphie l’apparition et la disparition à l’image du travail de Michel Kelemenis qui « évanescence » le geste. En déformant les corps, il accueille toute l’humanité des défilés de Pippo Delbono dans « Questo Buio Feroce ». La danse contemporaine entre alors dans des zones de turbulence à l’articulation de la peinture, du cinéma et de la bande dessinée. Elle provoque nos cris comme quand le bébé découvre «son» théâtre. Pierre Rigal nous restitue le nôtre.
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La dernière scène reproduit le célèbre tableau de l’évolution de l’homme. Mais voilà que s’introduit  celui qui n’est pas prévu. Ce schéma binaire qui laisse penser que l’homme moderne est une finalité de l’évolution explose. Si nous ne voulons pas disparaître, il nous faut remettre le progrès en mouvement à partir de nos différences et d'une autre approche du changement. C’est à ce moment que le public crie  plus fort et concurrence la musique.
Ce soir, à Gap, nous avons célébré notre réévolution.
Pascal Bély – Le Tadorne
A lire un autre bel article sur Ventdart.
« Asphalte » de Pierre Rigal à la Passerelle, Scène nationale des Alpes du Sud, à Gap les 27 et 28 mai 2011.
Les prochaines dates:
10 > 11 janv Villefranche sur Saône Théâtre de Villefranche
20 janv  Elancourt Le Prisme
14-févr  Soissons Le Mail
17-févr  Dunkerque Le Bateau Feu
29-févr  Millau Théâtre du Peuple
5 > 9 mars  St Mars La Jaille Danse en Loire Atlantique /  Machecoul Danse en Loire Atlantique
13 > 15 mars  Sénart La Coupole
19-avr Thouars Théâtre de Thouars
3 > 4 mai 2 Blagnac Odyssud
Pierre Rigal sur le Tadorne:
"Press"
"Micro"
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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 11:36

Quatre femmes, assises là, face à vous, viennent subtilement vous chercher pour revisiter la danse contemporaine. Vous voilà presque nu, sans aucune référence sauf celle où tout aurait commencé. Une heure a suffi pour retrouver le lien originel avec l'art le plus fragile qui soit. C'est la renaissance du spectateur tout comme celle de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui ose écrire : « je refais l'apprentissage de la danse : je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre alors qu'à côté de moi d'autres femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté ».  Ces trois femmes qui l'entourent sur scène sont des Aïta, écoutées auprès des hommes de pouvoir, pour leur  poésie, il y a plus d'un siècle. Elles sont aujourd'hui des courtisanes dont les chants et la danse font d'elles des artistes du peuple. Fatima Aït Ben Hmad, Fatima El Hanna et Naïma Sahmoud nous ont littéralement nourries. Le temps d'une représentation et bien au delà, elles sont des artistes...populaires.

Avec trois matelas, elles refont le chemin. Du lit où l'on naît, où l'on se cache, au banc où l'on contemple avec sagesse, où l'on se serre les uns contre les autres, car  à plusieurs on est toujours plus fort. Du mur où l'on est cloîtré à celui que l'on abat pour se libérer.

Trois matelas pour accueillir le corps statufié par les codes moraux, religieux et sociaux.
Trois matelas pour éponger la sueur de l'effort que réclame la libéralisation du corps.
Trois matelas pour amortir le choc. Car tout vibre. À commencer par nos barrières de défense qui font un vacarme intérieur parce que l'on n' a plus l'habitude d'être « touché » ainsi. Tout vibre parce que le don est une danse. Tout vibre parce que leur chant est une caisse de résonance où l'on se lâche avec confiance.
Dans leur jardin des délices, le chant est un corps qui danse.  Dans leur regard, il y a le sein que l'on cherchait, le cri que l'on poussait, le pli dans la peau où l'on se perdait. C'est ainsi que la danse d'aujourd'hui renaît. Une danse où l'on n'a plus peur de l'humain pour lui faire la fête, où l'on puise dans la force de l'art pour se libérer des contraintes morales et esthétiques et non pour en rajouter. Où l'on apprivoise le corps différent pour voir le monde autrement.

« Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen est une danse qui accueille l'homme maladroit. Avec empathie.

La fraternité a dorénavant sa danse.

Pascal Bély - www.festivalier.net

Cet article a été écrit lors de la présentation de "Madame Plaza" au Festival Montpellier Danse 2009.

A écouter sur le site de la  Revue Radiophonique A Bout de Souffle , un entretien avec Bouchra Ouizguen.

"Madame Plaza" de Bouchra Ouizguen du 22 au 24 mai 2011 au KunstenFestivalDesArts.

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 16:30
Du 25 au 29 mai, le chorégraphe Dave St Pierre sera prochainement au Théâtre de la Ville à Paris avec «Un peu de tendresse, bordel de merde». Retour sur une œuvre qui a fait l’événement en 2009 lors du Festival d’Avignon et dont l’extrait vidéo devrait vous ravir…

Il est assis sur sa chaise. Nu. Avec une perruque de longs cheveux blonds et bouclés. Il salue un à un les spectateurs entrants avec un geste frénétique de la main, accompagné d'un cri animal. Nous sommes quelques-uns à lui répondre. Nous rions de son culot. On le prendrait presque dans nos bras. Dans trente minutes, «Un peu de tendresse, bordel de merde !» du chorégraphe canadien Dave St Pierre va débuter, mais nous y sommes déjà. Dans ce titre, un paradoxe, une injonction, une définition arbitraire de la relation décortiquée pendant une heure cinquante.
Ils sont dix-huit : neuf hommes, neuf femmes. Parité parfaite. Une se distingue du lot : habillée de noir, elle est la maîtresse de cérémonie, un big brother de la communication amoureuse, n'omettant jamais de parler en anglais traduit en français googolisé. Hilarant. Mais le sujet est grave : hommes et femmes seraient dans l'impossibilité de communiquer. Dès les premiers tableaux, le message, dansé par différents couples, est sans appel : nous sommes allés trop loin dans la marchandisation de l'intime, trop vite à étaler nos secrets sur Facebook. La démonstration n'est pas suffisante ? 

Neuf anges bouclés, nus, échappés de Bacchus, débarquent sans ménagement pour monter dans les gradins. Ils hurlent, chantent, provoquent. Le public, hilare, ne sait plus où donner de la tête. Pendant qu'une orgie s'organise, les femmes, habillées, se disputent sur scène, s'insultent tout en imitant des actes sexuels. Tout n'est que sauvagerie. Le chahut dure dix minutes. Un bordel. Le nôtre. Comment s'y retrouver ? Chacun se perd dans un cadre qui explose. Pendant ce temps, Big Brother enlève sa culotte et la lèche. Elle se régale. D'autres démonstrations suivront : tout aussi savoureuses et explicites. Nous voulons l'acte d'amour, mais pas la relation qui va avec à moins qu'elle soit un « objet consommable » que nous réclamons, à corps et à cris. Big Brother ne se prive pas de faire le lien avec la relation que nous entretenons avec les artistes: du spectacle, du sang et de la sueur, mais surtout que cela ne nous éclabousse pas.

Dave St Pierre assume son propos, sans fard, ni démagogie : les femmes ne veulent plus jouer à ce jeu-là et quitte à goûter au gâteau de l'amour, autant se vautrer dans un vrai ! Les hommes, englués dans un imaginaire où la femme serait à la fois autoritaire et absente, se perdent dans des jeux puérils où la sexualité est une performance, un langage.

L'ouverture serait-elle à chercher dans une absence de sexe ? Pouvons-nous recréer la relation dans le tendre ? Les dernières scènes éloignent nos anges blonds et chacun, à nouveau civilisé, joue le jeu d'une tendresse ici célébrée. Elle requiert de s'immerger dans un nouveau liquide, celui d'une relation circulaire, où le corps imprégné retrouverait la souplesse du fœtus.

Dave St Pierre, a compris que la danse est l'art de l'intranquille, un espace d'interpellation et qu'elle requiert de la part des danseurs un engagement dans un corps torturant et généreux. Il est un des enfants de Pina Bausch, à qui il semble rendre hommage par cette rangée de chaises, symbole si fort de « Café Müller ».

Et l'on imagine ces dix-huit danseurs fraterniser avec Dominique Mercy, magnifique complice de Pina Bausch, et poursuivre la révolution des œillets. 

Pascal Bély - Le Tadorne 

"Un peu de tendresse bordel de merde!" de Dave St Pierre du 21 au 26 juillet 2009 au Festival d'Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

 

Pour prolonger, le regard de Francis Braun, spectateur éclairé...

 

On se souvient du célèbre "Pina m'a demandé" au Palais des Papes lorsque ses comédiens racontaient des bribes de leur vie intime ....c'était il ya plus de vingt ans, c'était dans le raffinement, le pudique.

Ce soir , aux Célestins , ses « Enfants » se sont fait l'écho de son passé, comme pour mieux la faire renaître.....ils n'ont pas fait pareil, c'était plus "dit",  ils ont montré ce qu'ils savaient faire, ils ont dansé comme des fous, ils ont montré leurs sexes, leurs perruques et leurs fesses, ils ont montré leurs poils, ont joui, ont aimé, ont détesté, dans le calme, la violence et  l'orgie, sans scrupules, libérés, outranciers, jamais grossiers...toujours dignes et maîtres d'eux-mêmes.

Ils ont escaladé les gradins, enjambé les spectateurs en deux fois. La première, habillés année 50 avec des vêtements de tous les jours, la seconde fois complètement nus, en prise directe avec nous, joues contre fesses, sexe contre nez, trou du cul contre tête....l'un d'eux a même mis mes lunettes sur sa bite (soyons crus, on emploie les mots qu'il faut...ils vont bien avec ce genre de "show").

Un show en traduction simultanée, dans un français traduit au premier degré...très rigolo, grinçant et terriblement incisif.

Les Enfants de Pina Bausch, Dave Saint Pierre et sa troupe nous ont raconté.....ils s'en sont tirés à merveille, ils nous ont nous emmener là où l'ont voulait secrètement aller sous les ordres ironiquement sarcastiques d'une Maîtresse Femme, qui a force de menaces et de manipulations,  vient s'effondrer  à la fin, gracieusement, mais épuisée.

Ce que ceux de Pina ne disaient pas, ses enfants l'ont dit....l'on montré avec joie et violence, se sont bien amusé. Ils ont dansé, ils sont passé sans complaisance du tragique au dérisoire, du rire aux sanglots.....

Merci a eux que l'on aurait aimé serrer dans nos bras, même trempés qu'ils étaient...ils auraient dû saluer parmi nous, dans les gradins......au milieu de nous.....bonjour la suite!!!!!! 
Francis Braun.

 

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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 16:45

 

Tandis qu’un collectif de chanteurs rend hommage à Alain Bashung, le chorégraphe Jean-Claude Gallotta poursuit sa tournée avec son spectacle «l’homme à tête de chou» qui met en scène le chanteur avec Serge Gainsbourg. Retour sur cette œuvre vue lors de sa générale le 11novembre 2009 à Grenoble.


 

À l’issue de ces soixante-dix minutes, la rencontre entre Alain Bashung et Serge Gainsbourg ne s’est pas opérée. Ni entre les deux artistes, encore moins entre le rock, son utopie, sa fantasmagorique et la danse. Avec ces quatorze danseurs, on est vite saturé. Gainsbourg et Bashung incarnent un rapport extrêmement minutieux au temps : avec eux, il perd sa chronométrie pour s’étirer dans nos imaginaires et nos fantasmes. Ici, quasiment aucun moment mort. On danse beaucoup. Trop. C’est tourbillonnant, avec des grandes envolées de ballets classiques. Il y a peu d’espaces pour respirer comme si le temps du « spectacle » imposait sa loi à cette rencontre particulière entre ces deux artistes, dont finalement nous ne saurons rien. D’autant plus que la bande sonore, chantée par Bashung (à partir de l’album de Gainsbourg « l’homme à  tête de chou »), co-réalisée, orchestrée par Denis Clavaizolle pour prolonger de trente-deux minutes et faire le lien entre les tableaux, agace vite. Trop acidulée, trop souvent lisse où la profondeur du rock de Bashung et les textes d’un « amour à mort » de Gainsbourg se perdent souvent dans un mixage mielleux pour ne pas bouleverser les corps et les oreilles. On peine à reconnaître le génie de Bashung alors qu’il enregistrait à l’époque son dernier opus  « Bleu pétrole ». S’est-il lui aussi égaré dans l’univers de Gainsbourg ? L’élégance de Bashung est une voix qui résonne, mais se noie dans ce collectif bien trop imposant pour lui. D’ailleurs, est-il besoin d’incarner son absence par cette chaise de bureau que les danseurs s’approprient difficilement malgré leur insistance à s’y prosterner comme devant une pierre tombale qui ne dirait pas son nom ?

 

Sur le fond, on doute tout au long du spectacle de la lecture que fait Jean-Claude Gallotta de l’album de Gainsbourg. Marilou, jeune shampouineuse dont s’éprend un quadragénaire, est symbolisée par la « pin-up ». N'est-ce pas un peu réducteur? Quant à l’amant obsessionnel et jaloux, ses sentiments se perdent le plus souvent dans des mouvements trop fluides. Où sont les cassures, les corps brisés ? La danse colle à une relation érotique où les jeux masturbatoires chantés par Gainsbourg sont pris en main (sic) par Gallotta qui en fait des tonnes. Depuis quand la fonction de la danse est-elle d’illustrer ? Alors que l’homme était profondément subversif, Gallotta normalise trop, jusqu’à l’outrance. La scène où Marilou tient son amant par la braguette est d’une telle vulgarité qu’on peine à reconnaître le poète. L’artiste qui défiait les « bonnes mœurs » imposées par la société gaullienne et pompidolienne, est ici désincarné par des corps longilignes, trop droits, trop élancés à l’image d’une danse moralisatrice, qui institutionnalise ce qui provoquait naguère les logiques instituées.

Il y a pourtant quelques moments d’une belle grâce où les trois hommes se rencontrent: Marylou, nue, poursuivie par son amant, danse le fragile. On entendrait presque son corps pleurer. Plus tard, elle vient face à nous, culotte baissée, guitare en bandoulière : instant somptueux où le rock électrise et symbolise la désespérance d’un amour impossible. Nous n’oublierons pas de sitôt cette scène où les danseurs recouvrent de leur chemise blanche, leur « Marie » assassinée, qu’ils tiennent dans leurs bras. Moments gainsbouriens où la grâce profonde et énigmatique de Bashung se perd enfin dans la poésie des corps.

« L’homme à tête de chou » va donc parcourir la France et peut-être l’Europe. Bashung et Gainsbourg, maintenant entrés au Panthéon de la danse, n’ont plus qu’à attendre que des « Marilou rock’ and râleuses » subvertissent ce ballet moderne.  

« Madame rêve ».

Pascal Bély – Le Tadorne

« L’homme à tête de chou » de Jean-Claude Gallotta au MC2 de Grenoble jusqu’au 14 novembre 2009. Les dates de la tournée ici.

 

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 12:30

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Il est assis à côté de moi. Costume noir. Impeccable. Il bouge à peine. Raide comme un bâton. Étrange posture avant un spectacle de danse. Je remue sans arrêt. Tendu. Puis un homme arrive sur scène. Tel un chef d’orchestre, il fait lever huit personnes dans le public qui à tour de rôle clament "je me souviens", en hommage à Georges Perec. Les souvenirs fusent comme des tirs de feu d’artifice. J’ai envie de participer ("je me souviens de mon premier spectacle de danse»). L’homme à côté décline sa poésie en espagnol. Il parle fort. Il faut que ça sorte. La mémoire vive se met en mouvement.

Spectacle vivant.

Spectateur déjà presque debout comme si nous devions nous mettre en jeu : ne rien en attendre, mais entrer dans la danse !

Montpellier Danse nous fait là un beau cadeau : programmer l’œuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée par la chorégraphe Anne Collod. Une pièce matrice de la danse contemporaine à l’image de cet échafaudage dans lequel dix danseurs se glissent pour transformer la structure métallique en espace quasi végétal. Une œuvre majeure pour ceux qui se questionnent sur la réforme de notre société et nos façons de penser l’évolution pour sortir d’une vision monolithique du progrès. La chorégraphie d’Anna Halprin résonne particulièrement avec notre contexte : nous sommes saturés de murs, de cités imprenables, d’ossatures en béton, aux mains des techniciens experts qui supportent les parties sans mettre en mouvement le tout. Le peuple n’a plus qu’à taper des pieds et faire entendre le vacarme de sa plainte. Il y en aura toujours pour leur donner l’estrade.
Mais l’enjeu est ailleurs : il nous faut réhumaniser ce que le progrès a compartimenté. C’est ainsi que les danseurs se délestent peu à peu de leur costume (l’habit ne fait-il que le moine?) pour quitter leur petite scène d’un jour, leur posture et créer le mouvement à partir d’une pose poétique. Cela pourrait durer indéfiniment parce que l’accueil, la rencontre se dansent. Ma joie monte crescendo alors qu’un défilé se met en place avec au sol, des objets de notre société consumériste. Les corps s’en saisissent et la métamorphose s’opère : l’humain supporte le poids. L’Oeuvre est en jeu. L’Art, au-delà de tout.
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«Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus» affirmait Pina Bausch dans le film de Wim Wenders, «For Pina». Anna Halprin l’a précédé. Alors, ils dansent et s’emparent de toute la machinerie théâtrale pour faire vibrer les pores des murs à partir de «niches» de résistance qui nourrissent le solide par le liquide de la pluridisciplinarité (le cirque s’entremêle à la danse). Ici, la technique (échelle, projecteurs, passerelle) est au service d’une chorégraphie groupale dont le mot d’ordre serait : «mouvementons, mouvementons, sinon nous sommes exclus».  Peu à peu la tension monte parce que ces humains défient la matérialité pour préférer le processus qui crée l’interdépendance. Ils réinventent le «comment» pour sortir de notre hystérie de l’attachement au «quoi». Tout s’articule, tout s’amplifie pourvu que cela soit au profit du vivant : ils peuvent à nouveau revenir vers nous, sans bruit, en rang et se déshabiller sans nous quitter du regard. Le temps de l’humain prend son temps. La nudité spectaculaire et honteuse laisse la place au tableau : je le ressens comme une victoire contre l’oppression du vertical et de la morale, du faire à tout prix, du mot qui dirait tout.
C’est ainsi, qu’en 1965, Anna Halprin (re)définissait la modernité à partir du geste, du positionnement créatif. La dernière scène emporte tout : tandis que le bruit crée le mouvement, les corps font du bruit.
Peu à peu, je me réveille, m’éveille, m’émerveille : la danse est un art total qui nous déshabille pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.
Pascal Bély - Le Tadorne.
A lire aussi le regard de Guy Degeorges d'Un soir ou un autre.
Les photos sont de Jérôme Delatour. A lire son regard sur Images de Danse.
« Parades and changes, replay in expansion » d’Anna Halprin et Morton Subotnick réinterprété par Anne Collod avec Nuno Bizarro, Anne Collod , Yoann Demichelis, Ghyslaine Gau , Ignacio Herrero Lopez, Saskia Hölbling , Chloé Moura, Laurent Pichaud, Fabrice Ramalingom, joué au Théâtre de Grammont dans le cadre de Montpellier Danse le 20 avril 2011.
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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 08:26

Pendant tout le spectacle, je n’ai pas réussi à m’asseoir convenablement. À plusieurs reprises, je me suis même mis de biais pour voir autrement. Vers la fin, j’ai fini par me lever croyant prendre de la hauteur pour ressentir cette humanité en mouvement.
Curieux, mais jamais touché.
L’œuvre chorégraphique de la Brésilienne Lia Rodrigues ne m’a pas atteint. Tout juste réussit-elle à interpeller sur la manière dont cette «bombe humaine» se déplace, sans exploser.
Pétard mouillé.
Au Théâtre de la Ville à Paris, la pièce avait fait grand bruit chez les spectateurs. Ici, à Cavaillon, rien. La salle paraît dans l’expectative. Certains se retiennent probablement de siffler, mais la direction du Festival et de la Scène Nationale de Cavaillon avait pris soin de célébrer le talent de la chorégraphe lors de leur numéro de duettiste sans micro.
Sans sonorisation, un groupe de dix danseurs s’agite pendant une heure, s’accordant quelques pauses pour avaler un quartier d’orange comme des sportifs à la mi-temps. Reconnaissons qu’ils s’engagent physiquement à dessiner la vie sociale d’une favela où les murs seraient leurs corps ; les rues leurs liens ; la misère, leur richesse intérieure ; la libido, leur bestialité…La liste pourrait s’allonger à l’infini. Mais sans distance, nous pourrions très bien imaginer une orgie tant l’acte sexuel est suggéré à chaque mouvement. Malgré tout, leur cul, leurs seins, son sexe, me laissent de marbre…
Arrive le moment où ils osent nous regarder, peuple d’Europe, riche et rassasié. Ils finissent par en rire tandis que des spectateurs, gênés, applaudissent. À cet instant précis, je pressens la suite : le groupe remonte l’escalier au milieu du public, à contre-courant. Chez certains metteurs en scène, ce procédé vise à amplifier la dramaturgie au cœur d’une «assemblée populaire». Mais ici, je ne saisis pas le sens de cette traversée en solitaire.


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Pourtant, deux tableaux se révèlent majestueux. Celui, où, par un jeu très subtil de lumières, les corps inertes se relient dans une fosse commune. Les bras n’ont plus que la peau sur les os. Il y a cet autre instant où, pieds et mains à terre, ils dessinent avec leur ventre la «terre patrie » si chère à Edgar Morin.
Mais à l’agitation sur la scène, rien ne répond. Un mur invisible s’est peu à peu dressé avec la salle. Cette danse véhicule une esthétique de la misère, mais ne «précarise» pas le spectateur. "Pororoca" est une démonstration. On montre un pouvoir créatif comme on gonflerait ses muscles. Pour impressionner. Mais leur union ne fait même pas leur force ; leur férocité n’est qu’un jeu de rôles, la favela, qu’un «concept» de plus dans un paysage chorégraphique français saturé d’œuvres distantes.
Un court instant, j’ai pensé à la place Tahir ; cela m’a rassuré. Des corps en mouvement peuvent m’éloigner de mes rivages.
Permettez que je prenne le large pendant quelque temps.
Pascal Bély - Le Tadorne.
« Pororoca » de Lia Rodrigues - Scène Nationale de Cavaillon - Le 28 février 2011 dans le cadre du festival des Hivernales.

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