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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 16:44

«Cedric Andrieux» par Jérôme Bel est au Théâtre de la Cité Internationale de Paris du 8 au 23 décembre 2011. Nous avions été touchés par ce solo, totalement atypique, tant sur le fond que sur la forme. Pour Bernard Gaurier, c’était en décembre 2009 à Saint-Nazaire lors de la première . Pour Pascal Bély, six mois plus tard au Festival de Marseille en 2010. Regards croisés.

 

 Bernard : L’homme arrive sur scène, pose son sac, une bouteille d’eau et se positionne face au public. Il regarde en silence un moment avant de nous adresser un « Bonjour » d’une voix douce, presque intimidée.  « Je m’appelle Cédric Andrieux. Je suis né à Brest. J’ai trente-deux ans. Je suis danseur...". C’est alors que sur ce grand plateau nu, vide de tout artifice et sans autre support qu’une voix et un corps, commence l’ébauche d’un portrait et d’un parcours de Brest à Paris, à Lyon, avec New York en point culte. De l’enfant frêle qui se rêve en artiste, à qui l’on dit qu’il n’est pas fortiche, mais que ça ne peut pas être mauvais pour son développement personnel, à l’homme artiste, objet de toutes les admirations. La voix est posée, toute douce, presque trop parfois, pour nous faire voyager dans la confidence et  partager ce qu’il y a derrière les sunlights.

 

Pascal : la douceur de la voix et son arrivée ne sont pas sans me rappeler les apparitions du chorégraphe allemand Raimund Hoghe  sur les scènes du festival Montpellier Danse. Avec son survêtement, Cédric me fait penser à un footballeur du dimanche, tandis qu’avec sa bosse dans le dos, Raimund interpelle notre représentation du corps qui danse.  Ce soir, je sens le dialogue possible entre spectateurs et le danseur. D’autant plus que nous en sommes privés à Marseille depuis un certain temps…

 cedric_andrieux-c--Herman-Sorgeloos-6.jpg

Bernard : L’homme est beau, il se montre dans son fragile, le pouce caresse l’index, le regard bleu s’embrume par instants. Il raconte Brest, l’enfant cabotin volontaire déjà tendu vers le dépassement; Paris, le Conservatoire, le jeune homme du solo gagnant… il nous dit ses doutes, ses envies, ses désirs, ses amours… et puis… New York… Merce Cunningham… le désir fou du meilleur… Le studio, les répétitions, les voyages de l’amour, le corps qui souffre pour aller au bord de l’abîme, au bout de ses possibles… D’un doigt, il pointe un angle de la scène vide…  Merce, 80 ans, là au coin du studio devant l’ordinateur qui supplée à son corps et guidant de la voix le mouvement imaginé… le corps du danseur, le corps encore et encore, qui donne tout pour arriver à faire vie de ce qui n’est que vision sur logiciel et que le corps du maître ne peut plus montrer. Le corps toujours…, Trisha Brown qui fait moins mal à danser… Le corps, cet  «outil » que l’homme nous dit trouver souvent pas assez comme… pas assez grand…, la taille pas assez fine… et entre ses mots l’homme danse, il montre comme il a fait ici et là… le danseur est… magnifique.

Pascal : Ce moment du spectacle est douloureux.  Ma voisine rit. Elle ne cesse de rire. C’est une danseuse. Elle rit pour se libérer peut-être d’une souffrance trop contenue. Je suis donc entre elle et Cédric. Il danse Merce, elle rit.  À cet instant précis, je comprends pourquoi je n’aime pas la danse de Merce Cunningham. Elle pousse le danseur jusqu’aux limites du supportable or ce n’est pas la représentation que j’ai de la danse contemporaine. Comme la mère de Cédric, je la conçois démocratique. Au service de l’émancipation, de la libération du corps. Et non prisonnière de son « objet ». D’ailleurs, il faudra attendre qu’il danse Trisha Brown pour que ma voisine soit plus calme.

Bernard : Tout est là, l’homme est là, le danseur est là, les mots sont là, mais… l’émotion ne parvient pas à moi… les images ne viennent pas… Je n’arrive pas à m’approcher de l’homme, il reste des mots…

Pascal: pour l’instant, en apparence, nos histoires ne se croisent pas. Mais qu’importe. J’apprends de lui ; son « book » fait histoire de la danse. Ce soir à Marseille, quelqu’un vient parler aux spectateurs abandonnés par les chorégraphes. Cette vision ne me quitte pas, car sa venue est tout un symbole : alors que Marseille Provence 2013 avance, allons-nous retrouver un lien « affectif » à la danse ? Cédric, c’est un cadeau tombé du ciel. Ce sont nos retrouvailles.

Bernard : Sauf…  quand, dans le récit, Jérôme Bel prend place dans le parcours avec sa pièce « The show must go on » dans laquelle participa Cédric alors qu'il était au Ballet National de Lyon à son retour de New York: « Là je vous montre, j’ai fait ça »… Et là… la force de ce moment m’emporte… Ça y est, il est là l’homme… avec le danseur, sans les mots, avec le regard, ici le corps presque immobile et pourtant… tout danse en lui…

cedric_andrieux-c--Jaime-Roque-de-la-Cruz.jpg

 

Pascal: Oui, Bernard. Alors que les projecteurs se braquent sur nous, Cédric nous regarde, nous sourit sur un air de Police (« Every Breath You Tak »), flanqué de son short et de ses baskets. Un frisson parcourt la salle. Me revoilà revenu en 2005 où Jérôme Bel présenta « The show must go on » aux Salins à Martigues. Même scène. Alors que les cris fusaient du public (« ce n’est pas de la danse », « c’est quoi ce machin »), je décidais d’écrire sur la danse, de prendre la parole (quelques mois plus tard, le Tadorne fut crée).

Ce soir,  cinq ans apès, Cédric me regarde, je lui souris. Son corps est libéré, je suis le spectateur émancipé. Pour arriver jusqu’à nous, il a fallu que Cédric croise Merce Cunningham. Car, de ne plus bouger pour nous contempler, est en soi un dépassement. 

Bernard : Voilà…, 32 années ont traversé la scène…, que va-t-il faire demain ? De quoi et de qui aura-t-il le désir ? « Show must go on » c’est ce qu’on souhaite à l’homme avec ou sans l’artiste. Et lui demander, pourquoi pas, de venir dans 10 ans, dans 20 ans, nous redire en corps vieillissant ce qui fait l’Histoire de la danse.

Pascal: qu’il revienne en 2013 ! Pour la Capitale.

Bernard Gaurier- Pascal Bély - www.festivalier.net

« Cédric Andrieux» pièce de Jérôme BEL à été présenté en avant première française au LIFE à Saint Nazaire le 12 décembre 2009. Puis au Festival de Marseille le 1er juillet 2010.

Crédit photo: Herman-Sorgeloos.

 

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4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 11:33

Le Théâtre des Salins de Martigues est bondé. Adolescents, adultes et plus âgés, sont réunis pour et par la danse de l’Israélien Londonien Hofesh Shechter. Il nous présente ce soir deux propositions de trente minutes chacune. Je m’imagine dans une salle de concert tant elle est enfumée. Ce brouillard contribue à brouiller la vue pour mieux éclaircir notre vision sur cet espace où chacun pourra projeter une émotion, une image. Je suis tenté d’y percevoir l’atmosphère de guerre «larvée» qui mine tant de démocraties à l’heure des prémices d’un chaos planétaire.

Ce soir, tout semble reposer sur un équilibre précaire, à l'image de l’arrivée des sept danseurs, qui, face à nous, ne tiennent plus que sur une seule jambe. C’est par cette image saisissante qu’«Uprising» commence.

Je suis frappé par la profondeur de la scène : le contraste entre la fumée et l’espace la coupe en deux pour amplifier l’enchevêtrement entre l’ordre et le désordre, le climat de paix et la révolte urbaine, la conscience individuelle et l’inconscience groupale. Mais comment naissent ces groupes que nous voyons dans la rue? Comment émerge la révolte collective?  Sept jeunes hommes s’approprient le plateau pour l’obscurcir et nous éblouir. Hofesh Shechter nous offre sa lecture : la révolte est une danse. Elle se structure à partir d’apparitions et de disparitions où, telles des sauterelles, les corps furtifs véhiculent la vie et la mort, les valeurs du renouveau et le déclin mortifère. À première vue, rien ne change alors que tout se prépare…

Hofesh Shechter ne cesse de jouer sur le contraste entre la forme groupale et ce qui la structure (à savoir le processus d’individuation qui voit la personnalité individuelle se distinguer de la psychologie collective). L’énergie de sa danse est à chercher dans toutes les oppositions qu’il relie. Ainsi le tête-à-tête amical se conflictualise pour finalement se fondre dans le groupe à l’unisson porteur de valeurs. Le corps social se forme parce qu’il exclut ceux qui n’y trouvent pas leur place. Ici, pieds et mains sont liés pour créer la virtuosité d’un groupe qui puise ses mouvements dans un rapport au sol particulier: l’expression «ne pas toucher terre» trouve ici une illustration remarquable.

Puis vient le moment où l’espace s’élargit jusqu’aux coulisses du plateau: l’envers du décor est un désordre bien agencé. Il symbolise le cadre idéologique du groupe qui l’autorise à toutes les manœuvres, à toutes les stratégies pour enrôler, encercler, terrasser et finir en apothéose,  drapeau rouge sang dressé en étendard. À cet instant prévis, Hofesh Shechter nous offre une danse picturale que j'accroche sur tous les murs où tombèrent ceux qui n’en sont pas revenus.

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Après une pause réparatrice, débute «The Art of not looking back». L’œuvre réunit six danseuses. Le décor de couleur blanche est beaucoup plus neutre, plus resserré. Tout commence par un cri (celui de la naissance, de la douleur, de la tristesse, du dernier souffle) . L’image de «L’origine du monde» de Gustave Courbet me traverse. Pourquoi? Quel tour me joue l’inconscient? Précisément, cette chorégraphie est l’espace du vide créateur pour celui qui la regarde, un dialogue permanent entre  perception et projection, entre attente du spectateur et action du chorégraphe. Si bien que peu à peu, je vois parce que je ne vois plus.

Ces femmes me plongent dans un espace intrapsychique qui s’approche d’un état hypnotique où je retrouve les sensations du ventre maternel, où je projette mon expulsion lors de la naissance, où je ressens le deuil éprouvé, digéré, mais toujours en moi de celle qui n’est plus. Alors qu’elles désertent le plateau pendant quelques secondes interminables, je ne suis plus là. Ailleurs. Il faut le retour des danseurs d’Uprising pour me sentir à nouveau au théâtre.

Tel un cadeau offert au public, ces femmes et ces hommes donnent naissance à la danse du féminin dans le masculin pour une humanité en devenir.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Hofesh Shechter sur le Tadorne: À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

«Uprising»  et « The Art of not looking back » d’ Hofesh Shechter au Théatre des Salins de Martigues le 29 novembre 2011.

Tournée:

Du 7 au 10 février 2012 à Sète.

Du 14 au 29 février 2012 au Théâtre des Abesses à Paris.

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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 14:43

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Elles sont onze…, elles sont cent…, elles sont mille…, elles sont une…, pour faire gronder la terre depuis le tréfonds des ventres et faire advenir la musique. Il est un…et les invite à tonner. Elles se nomment Marie-Laure, Marianne, Karine, Carole, Capucine, Soleil, Isabelle, Clémentine, Aurélie, Stéphanie, Sandra… Elles portent, ensemble et seules, le nom de toutes les femmes qui ont traversé l’H/histoire et  fondent là, une à une, pour toutes, le chant d’une humanité en marche.

Sur une écriture au cordeau, Olivier Dubois magnifie la beauté «simple» du geste ; il emporte le cri frondeur d’une révolution au-delà de nos êtres océans pour l’ancrer au sol d’un être-ensemble, racine de nos singularités. Il joue, pour cela, de nos épidermes et de nos carcans ; si nous ne lâchons pas prise, cette révolution nous laisse sur le bord du chemin. Mais, si nous acceptons le sentier de cette humble «humanitude» en marche, tout est juste, au millimètre près, dans cette invitation à ne jamais lâcher nos utopies; même si ça nous "gratouille". Mille et une images alors s’éveillent, des flots de sensations s’ouvrent et, l’histoire, les histoires, de nos «héroïsmes» aimés et/ou oubliés, nous rattrape(nt) sur le parcours. Combien d’amour(s) avons-nous laissé, blessé, en «oubliant» de marcher ensemble quand bien même différents ?

Au début du chemin, ces onze femmes nous éblouissent par leur «professionnalisme»; tous les gestes sont parfaits, rien ne dépasse, une technique irréprochable. Mais…,une des grandes «beautés» de cette proposition réside…dans sa durée…deux heures. Les gestes, par l’épuisement, la tension, vont s’estomper, se troubler, se personnifier pour mieux se singulariser. Elles sont une et elles sont onze fois une, pour faire cet ensemble. Elles fondent chacune la force d’un advenir où toutes seront. Celle qui tombe trouve la fougue de se relever dans/avec/pour l’énergie des autres. Celle qui «s’estompe» réinvente la différence. Celle qui «trouble» un geste invente un concile d’amour.

Avec ce «Révolution», Olivier Dubois poursuit le son du cri d’être; il se fait à nouveau «Faune(s)(1)» de nos «en-droits» et beau trublion gratteur de nos «écorchitudes». Les pas ouverts à ces femmes de chemin grondent d’une humanité à emprunter, quoi que puissent en dire les épidermes bottés.

«Rêve-évolution» : Ils, Elles, Ils/Elles, Ils sous une aile ou Elles sur une île… «Pour tout l’or du monde»(2)…Marchons!

Et, «dé-balisés», nous ouvrirons, peut-être, les serrures de nos hier/aujourd’hui corsetés. 

Bernard Gaurier – Le Tadorne

(1) en référence au spectacle "Faunes" d'Olivier Dubois joué au Festival d'Avignon en 2008.

(2) en référence au spectacle "Pour tout l'or du monde" d'Olivier Dubois joué au Festival d'Avignon en 2006.

 

« Révolution » de Olivier Dubois – Festival Mettre en Scène à Rennes du 11 au 13 novembre

 

Tournée :

22 au 24 novembre : La rose des vents – Villeneuve d’Asq

14 et 15 décembre : MAC de Créteil

4 et 5 février : Le 104 – Paris

16 mars : Scène nationale de Mâcon

31 mai : Théâtre de Cornouaille – Quimper

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 10:00

Cela fait vingt ans qu’elle entraîne avec elle des minots et des plus âgés (amateurs et professionnels) dans ses aventures chorégraphiques. Installée à Aix en Provence, Josette Baïz parcourt la France et l’Europe et nous accompagne à nous projeter dans la danse, cet art qui  véhicule tant de fantasmes,  de mystère, de peurs, de désirs inavoués. Avec Josette Baïz, les enfants sur scène, sont les nôtres, sous la responsabilité de notre regard bienveillant. Parce qu’eux, c’était peut-être nous…

Ce soir, au Grand Théâtre de Provence à Aix, elle nous convie à fêter les vingt ans de sa compagnie. Philippe Découflé, Jean-Claude Gallotta, Michel Kelemenis, Jean-Christophe Maillot, Angelin Preljocaj et Jérôme Bel sont invités à transmettre un extrait d’une œuvre. Ce choix est pertinent: ils ont  positionné la transmission au centre de leur projet artistique.

 

 

 

Au final, une heure trente où la cohérence est une transe-en-danse : loin d’empiler des morceaux, Josette Baïz créée un fil conducteur pour ne plus différencier les esthétiques, mais pour les articuler. Une transmission sur la transmission, en quelque sorte ! Ce fil, c’est son projet, celui qu’elle tend depuis 20 ans. Seule une pause de quelques minutes me permet d’identifier les deux derniers moments de «The Show Must Go On» de Jérôme Bel, métaphore d’un final ouvert vers le public,  vers un nouveau projet. Ils sont si nombreux à danser «Let’s Dance» de David Bowie, «I Like to move it» de Reel to real ou encore «Every Breath You Take» de Police, que cela en devient étourdissant! Quel âge a le plus petit ? Le plus grand ? Je ne sais plus…Ils sont colorés, ensemble, ouverts pour que nous entrions dans la danse. Ils s’arrêtent puis reprennent le même geste; s’avancent vers nous pour nous fixer du regard, avec détermination, sans bouger. À ce moment, la salle est prête à danser (certains spectateurs, croyant à un final, se lèvent pour applaudir). Mais la force de leur regard est une danse: nous vous confions la puissance que Josette Baïz nous a transmise, afin que cette belle aventure se poursuive, contre vents et marées. Message reçu. La danse est bien une histoire de «fils» et de pelotes dont il faut sans cesse démêler le geste de l’ivresse…
Que retenir de ces transmissions? Malgré le temps qui passe, aucune œuvre n’a perdu de sa justesse. Ces jeunes enfants, ces adolescents s’en emparent pour s’en amuser jusqu’à moquer le processus dans le duo savoureux de «Mammame» de Jean-Claude Gallotta. «Tu tiens?» dit l’un,  avant de le bousculer pour le faire basculer: apprendre à danser déjoue bien des codes de la pédagogie! Puis vient le collectif où un danseur (incarnerait-il Josette Baïz ?) organise cette cour de ()création, apologie de la diversité des esthétiques où se tresse tant de modalités d’apprentissages que l’on finit par ne plus savoir qui apprend à qui! Dans un duo extrait de «Codex» de Philippe Decouflé, la casquette du rappeur du plus grand se fait coquille pour accueillir le plus petit. À moins que l’un et l’autre ne se transmettent l’énergie de la métamorphose de leurs corps, de celle qui les guidera vers ce faune, chorégraphié par Michel Kelemenis et interprété par Kader Mahammed. Ici, la question du corps dans l'espace lui est transmise, le tout dans une exploration de la musique par le geste. Kader me fait immédiatement penser à la grâce d’Olivier Dubois : ses rondeurs élargissent le cadre pour nous y perdre…
Plus matures, les voici débarquant pour apprivoiser la danse néo-classique de Jean-Christophe Maillot. De nouveau à deux puis en collectif, comme s’il fallait s’écouter dans la relation duelle avant de se fondre dans le groupe. Ici, le duo de Philippe Decouflé se transforme en apprentissage de l’asymétrie dans un interstice entre proximité et distance ("Miniatures"). Émergent alors de belles figures entre tableaux cubistes et mouvements plus attendus.
Ils sont prêts pour oser s’aventurer dans le «Marché noir» d’Angelin Preljocaj. Un adolescent à l’élégance fulgurante transmet une mécanique des fluides à deux jeunes filles, échappées d’une boîte à musique trop longtemps cachée. À trois, l’autonomie de chacun se déploie à partir de rapports interdépendants subtilement dosés. À cet instant précis, le projet global de Josette Baïz prend tout son sens : pour en arriver à une telle justesse et sincérité, ces jeunes gens se sont nourris de différentes esthétiques pour nous transmettre, le gout des autres, le gout de la danse.
Et que croyez-vous qu’un spectateur assis derrière moi eut dit à son voisin euphorique: "Tu vois, la danse c’est pour toi. Maintenant, tu prends un abonnement au Pavillon Noir et tu viens avec moi".
Pascal Bély – Le Tadorne

 

« Grenade, les 20 ans » par Josette Baïz au Grand Théâtre de Provence les 18 et 19 novembre 2011. Les dates de la tournée :ici.

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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 17:17

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C’est un «bon» Decouflé à la piscine Saint George (monument aquatique art déco du centre-ville de Rennes). Ce soir, la coiffe (bretonne ?) est de mise au bord du bassin…

Du clin d’œil des années Esther Williams, aux fantasmes éveillés par les piscines municipales, des cabines au bassin, d’un bord à l’autre, les genres se troublent et les délires explosent.

De l’accueil au final, un spectacle tiré au cordeau est offert aux heureux spectateurs du festival «Mettre en scène». L’impromptu est annoncé comme un «event», à l’américaine, qui pourra être différent d’un soir à l’autre…

En fait, c’est cinquante minutes de "plaisir(s)" qui nous sont proposées.

Les poules surnagent autant qu’elles nagent et les coqs volent à vue (ajustez vos lunettes de plongée).

Mais…qui est qui? L’impromptu secoue les questions de genre,… même s’il ne se glisse pas au-delà d’un «conventionnel».

 

 

 

Une jolie longue scène de naïades saphiques…mais qui ne trouve guère son pendant,

...bien que Christophe Salengro entame un demi «duel au soleil avec lui»,

...bien qu’un très beau black man trouble le genre, «empérruqué» de rouge ou revêtu/dévêtu des habits de noce rêvés par Barbie girl.

Aucune scène de vestiaire ne se joue au masculin, qu’il soit singulier ou pluriel…quelques mélanges peuvent paraître un peu troubles, mais restent dans tout ce qu’il y a de plus «acceptable» et «convenu», divertissement familial oblige.

Ce spectacle est un déluge d’idées et d’effets visuels. Les images poétiques côtoient les dérapages "loufoques". Nosfell avec Pierre Le Bourgeois accompagnent le tout de leurs très belles mélodies jouées en live.

Ne boudons pas le plaisir, Phillipe Decoufflé et sa bande ont crées cinquante minutes étoilées, et je vous invite à les vivre. Surveiller vos bassins de proximité.

"Swimming poules et flying coqs", inversement et réciproquement …

Piscine pour tout le monde !

Bernard Gaurier – Le Tadorne

«Swiming poules et flying coqs» Un tragique ballet nautique par des plongeurs inexpérimentés de Philippe Decouflé et collectif – Festival Mettre en Scène à Rennes du 8 au 12 octobre

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 08:38

 

C’est un rendez-vous, tant désiré, depuis tant d’années.

«Pudique Acide».

«Extasis».

Les titres sont en soi un poème. Reliées entre eux, ils forment un ensemble entre passé (ces oeuvres datent de 1984 et 1985), présent (Mathilde Monnier et Jean-François Duroure en proposent une recréation) et futur (les deux danseurs, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas im(ex)plosent par leur jeunesse).

Enchevêtrées, cet ensemble tisse entre nous et la danse, un lien qui traverse les générations de spectateurs et d’artistes. À n'en pas douter, vingt-sept après, il n’a rien perdu de sa pertinence, d’autant plus qu’entre temps, le duo s’est plutôt fait rare. Le solo domine les nombreuses propositions émergentes où l’on sonde le sens à partir de la profondeur d’un geste, à la frontière de l’inconscient.

Le duo est autre. C’est un espace où nous projetons le désir dans la relation à partir d’une infinité de configurations : le jumeau, le semblable, le couple, le différent car complémentaire, le masculin dans le féminin. Le duo est une dynamique qui emprunte tant de chemins chaotiques pour signifier que la cohérence est un processus. Le duo, c’est la communication, en boucle, du haut vers le bas, du haut d’en bas et surtout de travers. Le duo est vital.

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«Pudique acide» vitalise ma relation à la danse contemporaine, car elle est une recherche sur la communication. La dramaturgie fait émerger deux personnages de théâtre, qui m’habiteront tout au long de la soirée.

Comme un éternel (re)commencement, à la lisière de l’adolescence et de l’âge adulte, de la partition chorégraphique et du langage musical. Sur une musique de Kurt Weill, ils s’élancent avec leur kilt dont ils se débarrassent pour mieux se différencier, s’apprivoiser, se chercher et se rechercher. La langue allemande  projette de la nostalgie dans leur futur. Ils osent tels des affranchis. Probablement seraient-ils des indignés aujourd’hui…À ce jeu du chat et de la souris, il n’y a ni gagnant, ni perdant, mais une victoire: celle du désir de se métamorphoser ensemble.

«Pudique acide», c’est se délester de sa jupe pour célébrer la «pudeur des sentiments /maquillés outrageusement / rouge sang»1.

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Dans «Extasis», notre duo nous revient, plus grave. Le kilt provocant a disparu pour se muer en imperméable inquiétant d’où dépasse un tutu florissant. Ils hésitent entre peur et désir de libérer leur énergie créative. Dans ce décor tout blanc de cinéma où le scénario n’est pas encore écrit, ils jouent leur histoire d’amour à mort. Entre réel et fantasme, entre ombre et lumière, entre dedans et dehors, ils renoncent pour avancer, vers soi, vers l’autre. Leur désir est une tragédie. Leur jeunesse, un théâtre où les masques tombent. C’est beau à vous couper le souffle. C’est triste à vous laisser submerger par la joie de ressentir une danse d’une vitalité saisissante.

À la nuit tombée, «Extasis» est une danse de libellules  sensuellement transmissible.

Pascal Bély - Le Tadorne.

« Pudique Acide / Extasis » de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure au Théâtre de l’Olivier le 5 novembre 2011.

Les dates de tournée sont ici.

(1) "Les dessous chics" de Serge Gainsbourg.

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5 novembre 2011 6 05 /11 /novembre /2011 15:40

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Le final est saisissant. Plus aucun corps sur scène...et notre imagination prend corps.

Le commencement est inattendu. Un homme remballe une poubelle qui déborde. Le public rit puis applaudit: le temps est-il venu de jeter aux ordures les vieilles idées, les représentations usées jusqu’à la corde? Le chorégraphe Philippe Lafeuille nous y invite, avec délicatesse et humour.

Entre ces deux moments, «Cendrillon, ballet recyclable» pour sept danseurs masculins est une proposition politique: danser, c’est résister; résister c’est faire danser le corps créatif pour mettre en mouvement nos systèmes de pensée épuisés par la crise et les injonctions paradoxales. Ce soir, le mythe de Cendrillon se métamorphose pour nous embarquer dans un univers onirique, violent, sensuel, poétique, plastique et...caustique. À la Maison de la Danse de Lyon, le public ne s’y trompe pas: l’écoute ne faiblit jamais et chacun semble hésiter entre rires et gravité.

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Car Cendrillon est abimée. Nous l’avons maltraitée. Elle habite dans les bidons villes, dans les décharges à ciel ouvert. Après le passage du tsunami à Sendai en mars dernier, elle nous a même interpellés,questionnés («mais qu’avons-nous fait là»?).  Elle est aujourd’hui à Athènes, réduite à une serpillère où les grands de ce monde s’essuient les pieds. Elle vit dans un environnement où, à la terre des champs, s’est substitué des plaines de bouteilles et de sacs plastiques (futurs gisements dans cinquante ans ?). Son corps est  marchandisé à l’image d’une des scènes éblouissantes du début où nos princesses se débattent dans de l’emballage de produits formatés. Si le corps est marchand, alors il est aussi déchet. Avouez que le conte célébré par Disney en prend un sacré coup…

Philippe Lafeuille le fait entrer dans la postmodernité en convoquant un univers sublime et délirant : des sacs noirs emballent une danse de bal(les); des pluies de bouteilles fracassent l’émancipation du mouvement; un film plastique empêche de relier le corps et l'esprit (métaphore du désir démocratique); des costumes (magnifique travail de Corinne Petitpierre) transforment nos sacs Lidl en robe de soirée pour faire la fête (populaire); des masques composés de coupes de champagne créent du pétillant dans les têtes;  un carrosse fait de fontaines plastiques déboule sur scène et nous plonge dans la féérie d’une histoire d’amour.

C’est donc une société du déchet, du recyclable (à se demander si ce ne sont pas les vieilles idées que l’on recycle) qu’il faut remettre en mouvement  pour rêver à nouveau. Philippe Lafeuille la prend en scène et nous accompagne dans sa métamorphose tandis que le sublime travail de lumières de Dominique Mabileau  élargit les frontières du plateau jusqu’aux limites du rêve éveillé, au cœur de l’art visuel.

La danse est théâtralisée, assez éloignée des attentes d’un public qui a vu tant de Cendrillons chorégraphiées dans du formol. Ici, la musique jadis toute puissante de Prokofiev doit composer avec d’autres (dont l’énigmatique Ran Slavin et le mélancolique Arvo Part). C’est aussi cela le changement d’époque! L’énergie de Cendrillon est à chercher dans les situations où le corps est mis en jeu, où son rapport au plastique le métamorphose (matière symbole du consumérisme triomphant), où ses gestes plastiquent l’espace et ouvrent la voie des arts florissants.

 Le statut de l’artiste (incarné par un personnage habillé de blanc, oiseau bienveillant) et le rôle de la danse contemporaine sont ici interrogés : à force de convoquer la vidéo et les concepts, celle-ci nous éloigne, là où elle devrait stimuler nos imaginaires fatigués par une société où tout déborde. Avec Philippe Lafeuille, le beau n’est plus une question de moyens spectaculaires, de tours et de cathédrales. Le beau, c’est recycler,  c’est mettre en lien pour tresser des niveaux de sens, seuls capables de nous redonner notre puissance imaginative. Recycler, c’est résister contre un pouvoir qui rêve à notre place.

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Les sept danseurs, touchant dans leur diversité, sont pris dans le tourbillon de la métamorphose des arts de la scène proposé par Philippe Lafeuille. Leur fluidité dépend de notre capacité à lâcher. Comme si eux, c’était nous. Comme si  peu à peu enrôlés dans leur chrysalide, nous étions tous une Cendrillon parée pour s’envoler, tel un papillon aux ailes du désir.

Ce soir, j’ai une conviction. Notre plastique, prêt à  fondre, formera nos rêves affluents.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Cendrillon, Ballet Recyclable » de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon du 3 au 12 novembre 2011.

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 11:37

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d'Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante…

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires…

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, …). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014…Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse…

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges…

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis...Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Soirées d'inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.


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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 08:05

À quelques jours de l’ouverture officielle de «Klap, Maison pour la Danse» à Marseille, son directeur, Michel Kelemenis, présente «Henriette et Matisse» créée pour la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. À voir du 11 au 13 octobre, dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia.  Puis en tournée dans toute la France.

De la Biennale de la Danse de Lyon au Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe! Michel Kelemenis nous offre, avec « Henriette et Matisse » une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.

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À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que « le clair de lune » de Debussy éclaire « les Nus bleus » de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?
« Henriette et Matisse », sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette œuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l'italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.

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La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé.

Ainsi, « Henriette et Matisse » n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une œuvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély - www.festivalier.net

A lire le très bel article de Denis Bonneville dans La Marseillaise.

"Henriette et Matisse" de Michel Kelemenis àKlap du 11 au 13 octobre 2011.

Crédit photo: Manon Milley.

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6 octobre 2011 4 06 /10 /octobre /2011 06:46

can we 3

Stupéfait. Sidéré. Comment le Festival d’Automne a-t-il pu programmer une œuvre aussi ignoble ? «Can we talk about this» de la compagnie DV8 de Lloyd Newson est une proposition « artistique » déplacée, clivante, sans perspective, qui s’appuie sur la paresse des spectateurs pour distiller sa vision binaire de la société multiculturelle britannique.

«Multiculturelle» : le mot est lâché. Lloyd Newson et ses onze danseurs investissent un décor de salle des fêtes un peu vieillot pour y installer le conflit et toutes les cloisons qui l’accompagnent. Assis au premier rang, je dois dès la première minute lever les yeux pour lire les sous-titres d’une logorrhée de plus d’une heure trente. Je remercie chaleureusement l’éclairagiste pour y avoir braqué un projecteur…Mais qu’importe. Suis-je venu au théâtre pour assister à une œuvre structurée comme un documentaire télévisé ? Suis-je là pour écouter passivement une charge contre l’Islam (d’où le titre de la pièce, «Can we talk about this ?») ? Je subis une succession de témoignages (de l’affaire Rushdie, en passant par le cinéaste hollandais  Théo Van Gogh assassiné par les fondamentalistes, en faisant quelques détours par des femmes forcées au mariage, …), illustrés par une chorégraphie mécanique assujettie au texte. Le tout finit par donner la désagréable impression d’être soumis à un propos moralisateur et clivant. Les  figures de style visent à faire du corps un objet de propagande. En empilant les attaques répétées des fondamentalistes religieux contre la démocratie, Lloyd Newson assimile islamisme et musulmans.

Le plus scandaleux dans cette proposition est sa suffisance: elle sort les témoignages de leur contexte au profit d’une dénonciation linéaire sans que ne soit posée une problématique complexe. J’identifie ce même processus lorsque des metteurs en scène font jouer aux enfants des rôles d’adultes. «Can we talk about this» voudrait libérer la parole autour de l’Islam, mais l’enlève au spectateur : il n’y a rien à penser, tout à gober.

Ainsi, la rhétorique des médias de masse se déploie sans difficulté pour nous matraquer de faits qui, bout à bout, démontre l’impossible cohabitation de l’Islam avec nos démocraties. La danse s’efface peu à peu au profit d’une gestuelle caricaturale, enfermant Lloyd Newson dans ses certitudes. Dénoncer est une chose, énoncer en est une autre.

La danse est un art qui va au-delà du discours pour signifier qu’il n’y a pas de vérité. Seulement des constructions de la réalité.

«Can we talk about this ?» m'a insulté.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«Can we talk about this ? » de Lloyd Newson au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne de Paris. Du 28 septembre au 6 octobre 2011.

 

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