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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 10:17

Depuis quelques années, je le vis comme un rituel. Partir à l’automne vers Toulouse et y retrouver la lumière de ma vie d’étudiant. Chaque année, «Le Printemps de Septembre», festival d’art contemporain, m’invite à parcourir la ville, ma ville. Cette année, le titre un peu racoleur («L’histoire est à moi»),  cache la profondeur et la délicatesse du projet du directeur artistique, Paul Ardenne, historien de l'art. Comment l’Histoire Universelle peut-elle croiser notre intimité ou comment notre intime peut-il évoquer un passé collectif?

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En ce dimanche matin, un ami m’accompagne. J’aime sa présence, toujours rassurante, souvent interpellante. Il habite le quartier où vivait Mohamed Merah. Je lui demande de faire un détour par la rue de l’événement. Je regarde à peine l’appartement, gêné, presque tremblant. Étrange hasard. À peine arrivés au Musée des Abattoirs, nous sommes plongés dans l’installation de Christophe Draeger sur la prise d’otages de sportifs israéliens lors des Jeux olympiques de Munich en 1972. Il a récréé la chambre où otages et terroristes se confinaient jusqu’à l’assaut final. Elle aurait pu être celle de Merah. La télé qu’ils regardaient est toujours là et nous suivons, comme eux, les informations diffusées en direct sur l’événement. Nous voici quasiment dans la même position que ce matin: une  reconstitution entre images télévisuelles mémorisées et un contexte de réalité…irréel. Ainsi, le terrorisme gagne une partie de la bataille: s’ancrer dans nos mémoires avec l’aide des médias…Troublant.

Plus loin, une autre «chambre» s’impose dans le hall du musée. J’y entre. Par séquence, un spot de lumière projette des images d’enfants délivrés par des adultes. Il s’agit de la prise d’otages de centaines d’écoliers et de professeurs par un commando tchétchène en 2005 à Beslan en Ossétie. Avec «Beslan is mine», l’anglais Mat Collishaw signe une installation profondément émouvante. Chaque posture projetée laisse une empreinte sur le mur, tandis qu’une autre image de délivrance nous illumine. Suis-je dans une chapelle dont les vitraux seraient une icône délivrée? À chaque fois, nous devons nous tourner, nous retourner. Pris dans un tourbillon, les visages se télescopent jusqu’à provoquer le tournis. Que nous reste-t-il de cette histoire traumatique, à la fois lointaine et si proche: une guerre sans arme où l’homme maltraite l’humanité. La force de cette œuvre est de nous remémorer pour ne pas oublier que nous sommes aussi mémoriels

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Autre enfermement. Autre délivrance grâce à l’artiste Jean-Michel Pancin. Il apprend que la prison d’Avignon va fermer. Avant que les travaux ne commencent, il récupère des pans de murs et une porte où les prisonniers avaient gravé et peint : Lascaux n’est pas si loin. Il a pris des photos où la lumière du soleil caressait clandestinement les murs. Il a exposé dans des armoires à pharmacie des chaussettes envoyées par les familles du jardin des Doms surplombant la prison. «Tout dépendait du temps…,» (le plus beau titre de ce Printemps de Septembre!) est une sublime exposition où l’art pictural, photographique et plastique nous relie à ces hommes invisibles et crée une mémoire collective. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le Mémorial du Camp des Milles, près d’Aix en Provence, où l’on peut voir les œuvres murales d’artistes prisonniers qui peignaient pour survivre à la barbarie nazie. Jean-Michel Pancin libère l’art de l’enfermement des hommes. C’est prodigieux. Sa démarche s’apparente au travail d’un archéologue. À l’Hôtel Dieu, vous serez peut-être surpris d’être happé par la vidéo d’Ali KazmaPast») qui filme avec une minutie incroyable des archéologues dans le Morvan. Sans paroles, la caméra déterre le geste, scrute les visages, fait le lien avec le paysage. Ces orfèvres délicats, tels des psychanalystes, creusent mon histoire.

De la terre au ciel, il n’y a qu’un pas…de géant. Renaud Auguste-Dormeuil expose d’étranges photos au Château d’Eau. «The Day Before_Star System» est une série de clichés de la voute céleste pris la veille d’un bombardement. Ainsi, les cieux du 11 septembre, de Dresde, de Guernica, de Nagasaki nous plongent dans un étrange imaginaire, celle de l’Histoire à reculons, où la beauté du ciel annonce l’horreur d’une terre déchirée. De retour sur terre, aux Abattoirs, je me suis pris à rêver de nouveau avec l’étrange film de Louis Henderson, «Logical Revolts». Il capte les trous dans l’histoire de l’Égypte de 1952 à 1972 à partir de son alter ego, personne absente dont il relate le parcours. La poésie accompagne son cheminement comme s’il fallait relier ce que l’histoire officielle et la mémoire des hommes escamotent, oublient, piétinent. Cette œuvre est troublante, car elle revisite le genre du film historique: la recherche de la vérité croise la quête poétique de l’historien lui-même englobé dans un projet cinématographique qui donne sens aux trous qui parsèment la linéarité des faits. C’est profondément beau.

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On est ainsi tenté de faire le lien avec l’installation de la Chilienne Voluspa JarpaBibliothèque de la non-histoire») qui expose des pans entiers de documents des services secrets de la CIA sur la période de la dictature chilienne. Mais de nombreux feuillets sont barbouillés de noir, censurés: la non-histoire est là, implacable. C’est alors que l’artiste demande aux visiteurs d’emprunter un de ces livres et d’expliquer ce qu’ils en feraient. Certaines réponses sont gravées en blancs et exposées: à la censure, le citoyen reprend la main pour réécrire l’histoire. Cette bibliothèque me touche: elle est dorénavant en moi…

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La démarche est peut-être similaire à celle de l’allemand Anselm Kieffer qui propose une série de  ses« saluts nazis » où la photo se fond dans l’acier de la toile. Il déterre ce symbole de son inconscient tout en veillant à ce que le visiteur fasse aussi ce travail d’introspection. À la vue de ses peintures, je ne peux m’empêcher de penser aux gestes qui font l’histoire, à ces dictateurs fous furieux qui ont chorégraphié les corps pour mettre en mouvement leur funeste scénario. De quels gestes terribles, de ceux qui structurent l’histoire,  suis-je donc fait ?

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C’est ainsi que ce Printemps de Septembre m’offre la plus belle traversée historique qu’il m’ait été donné de faire. Où le visiteur s’engage d’autant plus que la manifestation est parsemée de mises en scène comme autant de partis pris artistiques assumés. Celles photographiées par Gohar DashtiToday’s Life and War») sur le sort du peuple iranien qui, après la guerre contre l’ennemi extérieur, doit faire face aux délires de son dirigeant m’ont touché. Le dessin animé de l’Irakien Adel AbidinMémorial») voit une vache hésiter à traverser un pont coupé en deux par les bombardements américains et beugler dans le vide. Surgit alors une profonde émotion sur le sort des hommes plongés dans l’horreur.

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Puis, Pierre et Gilles, Angel Vergara, Gérard Rancinan et Samuel Fosso finissent par me convaincre : l’histoire, mise en scène par les artistes, est un art majeur. Parce qu’au-delà de comprendre les faits, nous nous approprions avec eux l’Histoire par le rêve, par l’imaginaire, par le corps pour qu’elle nous permette d'entendre notre présent et de penser notre futur. À ce jour, je ne connais aucun historien capable d’un tel processus.

Pour sa dernière édition à l’automne, «Le Printemps de Septembre» est une belle œuvre. Elle entre dans l’Histoire des spectateurs, amateurs d’Art Contemporain.

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Le Printemps de Septembre" à Toulouse du 28 septembre au 21 octobre 2012.

Crédit photographique des oeuvres de Christophe Draeger, Jean Michel Pancin, Voluspa Jarpa, Anselm Kieffer:  : Nicolas Brasseur, Le Printemps de Septembre 2012.

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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 14:00

Dés les premiers jours du Festival d'Avignon, la rumeur se susurrait à mes oreilles: Sophie Calle fait une exposition sur sa mère disparue...Une question me revenait: comment recevoir ce deuil? Comment Sophie Calle à la réputation "d'impudique", d'artiste égocentrique pour les uns, allait-elle nous étonner? J’étais aussi à l'écoute des inconditionnels de ses propositions, qui parlaient d'intelligence, de finesse...Il y a quelques mois, j'avais feuilleté un magnifique ouvrage, qu'elle avait adressé au regard des aveugles. Cette oeuvre m'avait déjà beaucoup troublée. Je décide de m’y rendre. J'ai peur...C'est avec deux hommes que je vais y pénétrer, peut-être pas tant par hasard.

J’ai découvert l'Église des Célestins en 2011, lors de l'exposition de William Forsythe. Cet espace m'est donc familier. C'est un lieu dépouillé, aux proportions hautes et étroites, sans rénovation récente, restée dans son "jus", avec une belle lumière de par la taille des ouvertures, qui crée une atmosphère de respiration et d'authenticité. Quelques ruines éparses appuient le contexte de recueillement.

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De lourds rideaux de velours verts s'ouvrent à l'entrée, tel un écrin. Nous sommes accueillis par une magnifique photo de Monique Rachel, la mère de Sophie Calle, décédée il y a quelques années d’un cancer. Assise sur une tombe, jambes croisées, naturelles et libertines, elle semble nous dire: "Elle ne passera pas par moi!". Elle pose sur cette dalle de pierre, toute sa force de séduction et de présence...La clarté directe de son regard s'attache à mes épaules pour me soutenir. Toutes les parties de mon corps vont faire cette traversée.

Des galets sont disposés à différents endroits, comme pour nous accompagner. Je me sens "Petite Poucette", dans un mouvement de bien-être, proche de cette mère charnelle et de la mer. Je ressens le même plaisir que dans les cimetières marins de croix sculptées de pierre ou de fer forgés, où l'étendue bleue devient notre lit éternel, où les bouées fleuries des marins disparus sont nos bijoux de famille...Pas à pas, lentement, j'avance. Le blanc du «souci» (dernier mot prononcé sur son lit de mort, «Ne vous faites pas de souci») m'éblouit comme une étendue de neige et brûle mes doigts. Le froid les engourdit. Je plonge dans ce sentiment de fond intérieur et le mot glisse entre mes cheveux à chaque inspiration.

Une icône m'arrête et je souris devant cette image de Joconde minérale. Mon bas ventre frémit en repensant au lieu de ce premier émoi. Ma pupille s'élargit pour distinguer plus nettement  la nuit de mon intime. Des photos, illustrées d'un journal, suivent. Un voyage à Lourdes, une voyante...Ma langue goûte ce souvenir de l'imaginaire de l'enfant, qui dans ces derniers vœux pieux se tourne vers l'irrationnel. On veut y croire, tout en sachant que c'est désespéré. Mais on s'accroche. Ma tête immergée sous l'eau, cherche à sortir, mais l'appel du fond est plus fort et je continue ma nage intérieure.

Le sol rougi de Forsythe est encore là. Il rend éclatant le nouveau Souci; le rythme mensuel de la femme coule; j'aperçois une perspective par la meurtrière ouverte sur le tumulte de la rue. Une chaleur m'envahit. Nous sommes protégés dans ce contenant utérin.

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Bruisse au dessus de ma tête, la légèreté de ces duvets doux. Les soucis m'enveloppent, mais ne m'empêchent pas de dormir comme cette petite sculpture, qui magnifie la sérénité du grand sommeil. Mon nerf optique force, pour traduire le texte blanc sur blanc et la lecture en devient plus lisible. Comme une aveugle lisant le braille. Dans le chœur de l'église, mon estomac se tord devant les dalles grises de marbre. "MoTher!", "mAman!", ma grand-mère, ma mère, mes enfants...Je ressens dans mes narines l'odeur de ma chair.

Les petits rideaux de dentelle font danser le Souci brodé. La fatigue plombante se loge dans mes mollets, tout en excitant mes nerfs autour de cet objet du passé, des fenêtres de mes grands-parents. Le tic tac coloré d'un cercueil nous rappelle à l'heure. À qui le tour? La mort devient plus prégnante. Le film sur le corps de cette femme allongée ne ressemble plus à celle de l'entrée. Elle est vaincue. Je l'embrasse de lèvres humides et me souviens de la froideur de ces joues effleurées. Froid comme un bois sec, au sentiment si tendre.

La loge de Sophie Calle est vide de sa présence (elle vient quelques heures dans la journée, lire les journaux intimes de sa mère), mais habitée de ses objets usuels: robe sur un cintre, cigarettes, verre à pied, carnet...Je respire un univers qui me ressemble. Les papillons du Souci volettent au dessus de nous, près de l'œil frondeur d’une grande girafe, échappée de l’atelier de Sophie Calle. La douceur de l'enfance resurgie. Sur ma main, une larme mélancolique s'écrase.

Je distingue l'autre rive. Celle de l'Antarctique, à travers le hublot de ce brise-glace...Les bijoux, la photo, le recueillement, tout est là pour ce dernier voyage. Pour l'éternité, la banquise va figer cette vie. La conserver pendant des millénaires, des générations et ressurgir un jour, grâce à des explorateurs inconnus. 

La mer et ses fragments de glace ont raison de moi. Mon visage est ruiné de larmes, mon souffle est coupé. Ma glotte étouffe un sanglot. La traversée de Sophie est aussi la mienne. Je reverrai encore longtemps un mausolée comme celui-ci...Je refais un tour dans cet espace, puis un autre. Je reprends peu à peu vie, mais mon corps restera tatoué.

En sortant, je me retourne et me retrouve rassurée, car, devant ce tas de pierres, objet de chaos, magnifié également cette année par McBurney, mon regard porte au loin de mes pensées, et apaise mes souvenirs.

Mon iris devient bleu, inondé par cette immensité arctique du grand monde.

Je retrouve la lumière extérieure, apaisée...et grandie entre mes deux amis, accompagnateurs respectueux.

Sylvie Lefrere de Vent d’art vers le Tadorne.

« Rachel, Monique » de Sophie Calle à l’Église des Célestins jusqu’au 28 juillet 2012.

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17 juin 2012 7 17 /06 /juin /2012 11:25

Je n’ai qu’une journée pour parcourir la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne. À 10h, les principales salles sont fermées. Le Président allemand Joachim Gauck fait sa visite. La ville est quasiment quadrillée par la police. Nous sommes loin d’une conception «normale» de la Présidence de la République! Il me faut donc trouver un point de chute. Ce sera le grand parc Karlsaue. Pour la précédente édition en 2007, la dOCUMENTA y avait installé un gigantesque hall d’exposition provisoire. En 2012, les œuvres sont réparties dans cet immense poumon vert. C’est peut-être la marque la plus visible de la commissaire américaine Carolyn Christov-Bakargiev: l’art se niche au cœur des interactions de l’homme avec la nature.

 

 

«Ma documenta» commence donc au vert tandis que je m’approche de l’œuvre de Massimo Bartolini. A l’image d’un battement d’ailes de papillon, l’eau est une vague potentiellement submersible prête à dévaster le petit champ de blé qui l’encercle. Je divague...et j'ai peur.

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Mais ce n’est rien à côté de ce qui pourrait nous tomber sur la tête: un énorme caillou git sur un arbre sans feuille. Ici, pierre qui roule n’amasse plus mousse. Les enfants s’amusent autour de l’œuvre de Giuseppe Penone, inconscient du danger qui nous menace. Cette météorite serait-elle une «élaboration» artistique de l’industrie nucléaire comme le laisserait penser quelques heures plus tard le film de Mika Taanila, projetté à l’Orangerie? On y voit sur trois grands écrans, trois films qui s’enchevêtrent (construction d’une centrale, les paysages de Finlande, la vie des habitants). La force de cette proposition est l’absence de visibilité démocratique sur ces chantiers dont la vision accélérée finit par faire un film d’animation tout à fait charmant…

 

Pendant ce temps, la pierre se prépare à nous rouler dessus pour tout dévaster sur son passage, à l’image du terrain défoncé du français Pierre Huyghe. Des barres de béton posées à terre, des arbres déracinés, un chien errant squelettique à la patte rose chair forment un étrange paysage d’après-guerre écologique. Alors que l’on répète à l'envi que l’homme n’est pas un animal, ici l’animal est humain: notre survie passe par celle des abeilles dont la ruche recouvre le visage de l’humanité. Percutant. Cette statue est emblématique de la dOCUMENTA 2012.

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L’ignorance des enjeux complexes, la difficulté à articuler une pensée «écologique» avec nos systèmes politiques et démocratiques trouvent sa traduction dans la bibliothèque de Mark Dion: les livres sont en bois. Il va nous falloir protéger nos arbres comme nos livres. La force de la dOCUMENTA est de nous inclure dans cette interaction art-nature pour penser autrement notre «sensibilité» politique.

 

 

Rien de surprenant qu’au hasard d’un chemin, je sois invité par Janet Cardiff et Georges  Bures Miller (découverts au Printemps de Septembre à Toulouse) à m’asseoir sur un tronc d’arbre pour écouter des chants et des cris qui émergent de la profondeur de la forêt. Cette installation renoue avec la tribalité. J’aurais pu y rester des heures tant le chant des oiseaux et le bruit du vent donnaient le tempo à cette symphonie en bois majeur.

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Plus loin dans le parc, je tombe sur l’édifice en bois de Sam Durant. Entre camp de concentration et nouvel habitat écologique...Un seul escalier pour monter et bien d’autres pour descendre. Mais leurs marches ne touchent plus le sol. La vue est magnifique comme si le paysage se dévoilait différemment : ces escaliers vers le vide m’invitent à repenser le rapport terre-ciel à partir de mon corps, centre de gravité. Puissant.

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Au Fridericianum, les œuvres de Charlotte Salomon m’ont bouleversé. Cette artiste peintre vécut dans l’Allemagne Nazie avant de fuir pour le sud de la France où elle sera déportée à Auschwitz. Elle laissa nombre  d’œuvres troublantes où le texte côtoie le pictural, à l’image d’un documentaire d’aujourd’hui. À partir de trois couleurs (rouge, bleu, jaune), elle «dépeint» le contexte de l’époque. Une œuvre me sidère : celle d’un rassemblement nazi. Ils semblent marcher vers moi. C’est inéluctable. L’art n’y peut rien. En me retournant, git à terre un arbre sans feuille. Il ne renaîtra jamais. Il pleuvra toujours sur nos forêts les cendres de l’innommable.

Que penser du choix de dépouiller l’entrée du Fridericianum? Vous serez surpris de ressentir le vent s’y engouffrer (nouvelle référence à la nature?) et de terminer votre errance dans une pièce où une voix douce chante un refrain à l’infini. Ceal Floyer me propose de lâcher bien des repères: il n’y a rien à voir. Juste à écouter cette boucle et plonger dans une spirale ascendante où je m’élève peu à peu. La répétition fait son œuvre pour y puiser le plaisir du familier et l’angoisse d'un jeu sans fin. À l’image d’un questionnement permanent: que viens-je faire ici ?

(Suite de « ma dOCUMENTA » dans un prochain article).

Pascal Bély – Le Tadorne

dOCUMENTA à Kassel (Allemagne) jusqu’au 16 septembre 2012.

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 07:40

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«Danser sa vie»…Le titre de l’exposition est une invitation pour tout spectateur engagé à promouvoir cet art majeur. C’est au Centre Georges Pompidou à Paris…pour 13 euros. On pourrait ne pas dépasser l’entrée tant le premier tableau vivant est somptueux. Sous la protection des femmes de MatisseLa danse de Paris»), un danseur à terre nous accueille. Tantôt fœtus, tantôt enfant, il crée une série de mouvements et reproduit nos gestes primitifs. Il danse déjà ma vie ! Comme au dernier Festival d’Avignon avec « This situation», l’artiste inclassable Tino Sehgal laisse une empreinte: le sens de toute œuvre de danse est à rechercher en nous. Nous (im)portons les traces de tant de chorégraphies! Cet engagement artistique est si fort qu’il me sera bien difficile d’apprécier la suite de l’exposition.

Différentes thématiques («danses de soi», «abstraction des corps», «danse et performance») proposent des mises en résonnance (sic) entre vidéo, dessins et peintures. Je m’étonne très rapidement que l’on m’explique si longuement le rôle de l’abstraction dans l’origine de la danse moderne. Je ne comprends pas très bien l’espace dédié à Pina Bausch où les visiteurs serrés et par terre, se ruent devant une vidéo mal filmée du "Sacre du Printemps". Pina, réduite à une attraction de foire…Comment est-il possible d'enfermer Anne Teresa de Keersmaeker dans une vidéo où des danseurs vagabondent dans la nature, alors qu’elle est surtout une artiste de l’ombre, de la lumière du jour et des corps musicaux ?

Je conteste que l’on puisse résumer les recherches de William Forsythe à la kinésphère alors qu’il avait proposé au Festival Montpellier Danse différentes installations majestueuses au croisement de la performance, des arts plastiques et de la danse (voir la vidéo ci-dessus et mon article).  Je m'étrangle de voir l’œuvre de Jan Fabre «Quando l’uomo principale è una donna» (epoustouflante Lisbeth Gruwez couverte d’huile d’olive, mi-femme, mi-animal) côtoyer Yves Klein, Nicolas Floc’h, Jackson Pollock et Ana Alprin. Cherchez l’intrus!  J’ai compris depuis longtemps que le corps pouvait être pinceau parce qu’il puise les ressorts de sa métamorphose dans un espace où la chair se libère des contraintes psychologiques et sociales. Mais que vient faire Jan Fabre (débilement réduit à un film alors qu’il est précisément un artiste de chair et de sang !), dans le même espace que la vidéo brouillonne de Nicolas Floc’h ?

Peu à peu, l’exposition finit par me statufier. «Danser sa vie» est une lecture fastidieuse d’une histoire académique de la danse résumée à une éternelle recherche esthétique, hors de tout propos politique (le seul repère en la matière est un mur dédié aux défilés nazis!). Comment puis-je accepter l’omission de toute référence au Sida, qui a décimé tant d’artistes! Danser sa vie fut aussi un amour à mort…Comment puis-je valider l’absence de Dominique Bagouet et de tant de chorégraphes français scandaleusement gommés (mais paradoxalement présent en tête de gondole dans la librairie attenante. De qui se moque-t-on?). Pour quoi retracer l’histoire, si c’est pour la revisiter et ne servir que sa seule vision, à savoir celle des arts picturaux et plastiques ? C’est faire insulte à la danse (art qui accueille tant de disciplines) que de l’enfermer ainsi.

Comme une invitation à entrer dans la danse,  la vidéo de «The show must go on» de Jérôme Bel clôture ce parcours si linéaire. Les deux curatrices (Christine Macel et Emma Lavigne) peuvent ainsi légitimer le titre racoleur de l’exposition, quitte à donner l’impression d’instrumentaliser le propos d’un artiste pour sauver ce qui peut l’être. Ont-elles seulement vu le spectacle et perçu ses enjeux ?
Je propose de sortir la danse de cet espace poussiéreux. J’invite les directeurs de théâtre et de festivals à imaginer un nouveau musée à partir de rétrospectives pour que nous puissions vivre le mouvement de l’histoire. Et je fais un rêve. Un festival «Danser sa vie» qui débuterait par « «Pudique Acide / Extasis» de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure puis par  «Parades And changes» d'Anna Halprin, pour se poursuivre avec «Les 20 ans de la compagnie Grenade» de Josette Baïz
The show must go on. À vous de compléter  la liste de vos désirs de danse.
Pascal Bély- Le Tadorne
"Danser sa vie" au Centre Georges Pompidou de Paris jusqu'au 2 avril 2012.
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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 09:01

Il n’y a rien de spectaculaire. Les murs des différents lieux d’exposition du Printemps de Septembre de Toulouse sont aérés, presque poreux. Le spectateur n’est pas assiégé par une offre pléthorique. Cette année, le projet est à l’économie, pour amplifier le sens. Et c’est plutôt réussi. "Le Printemps" de la Biennale de Lyon se prolonge à Toulouse.

Léger, je parcours les salles : je ne ressens aucune pression. J’ai le temps d’entrer en relation  avec chaque artiste dans un espace protégé où l’on ne me demande rien. Les médiateurs peuvent toujours tenter une approche, c’est peine perdue. Je ne suis pas le bon client (mais en existe-t-il ?)

C’est aux Jacobins où ce processus est le plus puissant. Deux masques et un miroir de Simon Strarling vous accueillent pour jouer à cache-cache avec les symboles du théâtre traditionnel japonais. Plus loin, l’espace est consacré au chorégraphe Tatsumi Hijikata où deux spectacles sont diffusés (dont l’extraordinaire Hosotan, crée en 1972). Tandis que je m’assois à terre pour ressentir cet univers qui m’est inconnu, les ombres des spectateurs entrant et sortant aux Jacobins se projettent dans le film à partir d’un astucieux décor de théâtre (celui de Hijitaka) reconstitué pour la circonstance. Par un étrange hasard, nos corps sont acteurs et amplifient le contraste : la danse n’a jamais été aussi contemporaine.

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À l’espace EDF-Bazacle,  les dessins et peintures de Josh Smith créent une atmosphère d’écoute impressionnante. Ses poissons font symboles et captivent, car notre imaginaire provoque les mouvements. Ils nous glissent dans les yeux, explorent l’univers sous-marin, s’en extirpent pour nous restituer sa magie. Peu à peu, le spectateur est un poisson qui se faufile entre les dessins posés sous verre sur des tables et les tableaux. L’exposition jubilatoire de Josh Smith illumine ce Printemps.

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Tout comme celle proposée aux Abattoirs où je plonge également dans un océan de couleurs. Les œuvres de Joe Bradley sidèrent parce que ses traits chaotiques font émerger des formes à l’infini. C’est beau car le sensible est le signe d’une exigence artistique exceptionnelle.

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Au bouillonnement de Joe Bradley, répond l’explosion maîtrisée de Chris Johanson : ici, le feu d’artifice implore la vie et j’y crois. Même lorsqu’une salle plus loin, la terre lunaire de Karla Black en refroidit plus d’un. Le sol semble irradié, où ne subsistent que quelques traces d’une architecture enfouie. Cette œuvre est lumineuse parce qu’elle questionne le rapport au vide. Elle n’est pas sans me rappeler le territoire de l’inconscient où la parole peut dévoiler les marques indélébiles de l’enfance.

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Est-ce un hasard si  quelques salles plus loin, de petites chaises font face à de petits tableaux ? Paul Thek m’intrigue, car je dois me mettre à hauteur d’enfant pour contempler ses peintures à l’aspect naïf. La poésie surgit de cette posture et m’emporte. Le norvégien Fredrik Vaerslev a plutôt choisi d’enfouir ses œuvres dans la neige et nous rend témoins de la découverte de ce territoire artistique. Le résultat est assez surprenant : on scrute ce qui est du peintre et du temps sans qu’il soit possible de les différencier (l’un répondant à l’autre ?). J’y vois la métaphore d’un travail sur soi où le temps d’acquisition des processus fait son œuvre…

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Les peintures d’Alex Hubbard semblent s’inscrire dans ce temps si particulier, proche de la contemplation. Des bulles d’air parsèment ses tableaux et nous offrent la respiration nécessaire pour oser s’y aventurer. La profondeur des couleurs est hypnotique et s’y dessine ici aussi, nos territoires imaginaires. Splendide.


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La force de ce Printemps est de mettre en dialogue les œuvres avec le lieu qui les accueille. Au sous-sol de l’Espace Écureuil, les couleurs de Jim Drain contrastent avec l’obscurité du lieu. De la vaisselle cassée prisonnière d’un grillage, des mannequins pris dans les (grosses) ficelles du consumérisme, métaphorisent ce qu’en sous terrain nous préparons : une révolution. Au sous-sol du Château D’eau, Ei Arakawa propose une série d’œuvres sur les matières où le plastique se fige dans une gelée, à moins qu’elle ne rende friable le sol de verre. Troublant. À la Direction Régionale des Affaires Culturelles, le totem de Thomas Houseago vous prend de haut, défie l’espace et vous invite à interroger vos interprétations symboliques. Plaisant.

Plus loin, dans un hall, une série de vidéos est projetée dans le cadre du Festival International des Ecoles d’Art. Vous aurez peut-être la chance de voir celle de Mohamed Bourouissa. C’est un dialogue entre l’auteur et un ami en prison. L’un envoie des recharges de batterie pour le portable, l’autre filme son quotidien de prisonnier (à partir de 2'50). L’un donne quelques consignes de tournage, l’autre les suit puis s’en émancipe pour nous restituer ses œuvres d’art. Le dialogue par langage SMS est une série de petits poèmes, comme en sous-titres pour apprivoiser l’univers carcéral. La mauvaise qualité technique s’efface à mesure que le propos tend vers l’Oeuvre.

Le téléphone portable... pour rêver d’un printemps des poètes.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Le Printemps de Septembre de Toulouse, jusqu’au 16 octobre 2011.

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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 21:09

La Biennale de Lyon est une collection d’écrins. Ils sont en général de petite taille, très proches d’œuvres monumentales, comme pour nous ralentir, nous remettre de nos émotions et s’inviter durablement dans notre imaginaire.

Quelques écrins qui colonisent pendant longtemps une mémoire pourtant saturée de tant d’œuvres exceptionnelles.

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À la Sucrière, entre l’imposante vidéo de la Sud-Africaine Tracey Rose (assez peu convaincante) et l’impressionnante citadelle de Robert Kusmirowski (le chef d’œuvre de la Biennale), vous croiserez deux visages peints par Marlene Dumas. Stupéfaction. Sidération. Elle vous regarde et vous plongez dans ses yeux effrayés. Cet effroi a été le vôtre. C’est chair.

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Au Musée d’Art Contemporain, les portraits d’Hannah Van Bart vous invitent à la contemplation. Ces personnages dégagent un mystère qui force mon écoute, mon attention. Leur fragilité est un mouvement. Ce sont mes artistes...Ils me...

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Les dessins de Virginia Chihota (“Fruit of the Dark Womb”) chiffonnent. Au-delà de symboliser les souffrances de l’enfance, une de ses poupées pourrait peut-être se rappeler à votre bon  souvenir. Poupée de son… poupée démon.

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Est-elle une poupée de cire ? Guillaume Bijl (le même qui nous avait époustouflés lors du Sculpture Projects à Münster où il faisait émerger de terre, le clocher d’une église) nous présente à la Sucrière «The Nun of Bruges». Cette Sœur est cachée sous sa capuche, tête penchée.  Les visiteurs se baissent pour découvrir son visage et partent furtivement. Voyeur, que cherchons-nous ? Sa part de mystère est–elle notre quête de vérité ?

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Les dessins de Kemang Wa Lehulere s’apprivoisent. Papier bulle, morceaux de tissus et toile forment des patchworks fragiles qui dessinent des figures métamorphosées en objet pour des visages déchirés, absents, enfermées dans des contextes où le lien semble rompu. Il y a de la discontinuité, de la perte, des souvenirs enfouis, des fragments impossibles à recoller. Je vais d’un dessin, d’un tableau à l’autre. Kemang Wa Lehulere me perd. Je me souviens.

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Elle perd peu à peu la mémoire. Elle a 96 ans et vit dans une clinique pour patients atteints d’Alzheimer. À chacune de ses visites, Alexander Schellow a recomposé dans son atelier tous les mouvements de son visage. Cela donne une vidéo exceptionnelle : des milliers de points bougent et les traits s’animent pour reconstituer la mémoire de leur relation. C’est hypnotique et l’ensemble finit par m’émouvoir : la vieillesse rajeunit les souvenirs et vitalise la communication…

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Hiroshima –Fukushima : comment ne pas se souvenir et faire le lien en contemplant la peluche de Michel Huisman blotti avec un boitier nucléaire. Le contraste est saisissant et démontre notre inconsistance face à cette menace. Les visiteurs ne peuvent s’empêcher d’appuyer sur un bouton placé dessous qui envoie une décharge sonore désagréable. L’art peut-il encore nous alerter ?

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Plus loin, avec "The secret garden», Michel Huisman nous fragilise et nous renforce. Un petit meuble, un seau, un drap et une invitation à nous y glisser. J’ignore ce que les visiteurs ont perçu de mon corps (un dernier soupir, ma sépulture ?) mais je me souviens encore de ce que j’ai ressenti à la vue de ce petit oiseau mécanique qui me regardait de haut. Un sentiment profond d’humilité.

Humilité aussi à l’écoute de la proposition sonore de Dominique Petitgand, “A la merci (At the mercy)». Une petite fille apprend à un adulte des phrases alambiquées sans queue ni tête. Les prémices sont inversées : le langage technocratique et rationalisant de nos sociétés de service est manipulé dans une relation éducative tout aussi alambiquée ! La drôlerie de l’enregistrement accentue la perte totale de sens d’une rhétorique incapable d’être transmise…

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Alors que je quitte la Biennale, les dessins de Christian Lhopital me rattrapent : ses figures fantomatiques m’enlèvent. Je vole, je plane. Les corps semblent liquéfiés, délestés du poids, de la pression du monde du travail et des contraintes politiques et sociales. Christian Lhopital poétise notre enfer sur terre.

Non, décidément, tu n’as rien vu à Lyon.

Je n’en reviens pas…

Pascal Bély – Le Tadorne.

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Toutes les oeuvres mentionnées dans cet article sont à voir à la Biennale d’Art Contemporain de Lyon jusqu'au 31 décembre 2011.

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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 15:35

C’est tout à la fois monumental et minimal. Cela surgit, vous serre à la gorge, vous donne le vertige, vous fait pencher la tête et tendre l’oreille, jusqu’à vous coucher à même le sol pour prendre de la hauteur. Décidément,  la Biennale de Lyon est une longue marche où votre corps pense. Le contraire de ce couple qui, dans la vidéo d’Aurélien Froment (“La tectonique des plaques”, présentée à la Sucrière), suit un parcours campagnard fléché par un office du tourisme, tout en adoptant les postures d’un visiteur d’exposition. Nous pourrions oser un rapprochement: «Dis-moi comment tu te promènes, je te dirais quelle exposition tu visites!». Aurélien Froment nous alerterait-il? Les lieux d’art n’auraient-ils pas la flèche un peu facile?! À Lyon, la commissaire argentine de la Biennale, Victoria Noorthoorn, donne peu d’indications, mais elle ouvre les espaces pour que l’équilibre et le déséquilibre créent une pensée en mouvement.

Robert Kusmirowski

J’ai perdu l’équilibre. Au sens propre, comme au figuré. Présentée à la Sucrière, l’œuvre monumentale de Robert KusmirowskiStronghold») vous accueille au rez-de-chaussée. Inutile de vouloir entrer. Tout est cadenassé. Il faut monter au premier et contempler un cratère encore en activité : une bibliothèque dévastée se consume tandis qu’un poêle crache une fumée qui enveloppe l’ensemble des œuvres de l’étage. Je vois la «Maison Terre» qui brûle par notre inconscience et nos ignorances. Je ressens la forteresse "Europe" qui ne pense plus son avenir et dénature son patrimoine en l’offrant au marché. Je songe à la Grèce, berceau de l’Humanité, qui va renaître de ses cendres et nous sauver. Je me penche et j’ai le vertige. Il faut stopper cet autodafé encouragé par les politiques ignorants et par une société du spectacle qui barre toute possibilité de créer le chemin en marchant. C’est en imaginant un modèle de civilisation que nous ouvrirons cette forteresse

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C’est au Musée d’Art Contemporain que je descends au sous-sol de l’œuvre de Robert Kusmirowski, là où la citadelle tremble sur ses bases ! L’Argentin Diego Bianchi occupe toute une salle où le sol de plastique noir finit par se répandre jusqu’au plafond, où une énorme pierre se fond dans un fauteuil. Ici, la matière se dématérialise ! Ici, des corps démembrés forment des sculptures qui célèbrent la légèreté. On entre dans l’œuvre, avec délicatesse, pour se faufiler entre des montages et des démolitions qui dessinent une jungle où rien n’est tracé. Comment, dans un si petit espace, Diego Bianchi réussit-il à créer de l’élasticité, des chemins improbables qui vous conduisent dans des coins et recoins? Là où les restes de notre civilisation participent à l’émergence de nouvelles formes corporelles tandis que les objets sont détournés de leur fonction première pour soutenir le sens. Ce bric-à-brac rend joyeux parce que ce chaos permet la réflexivité: «pour quoi?», «à quoi cela sert-il?» «je vois ceci, mais pourquoi le voir ainsi ?»…. “The ultimate Realities” est une œuvre complexe qui requiert du temps pour l’apprivoiser et se dégager d’un raisonnement binaire (chaos = bazar !). Pour cela, il nous faut divaguer et créer son espace relationnel. Loin d’être un visiteur passif, Diego Bianchi stimule mes pas et me perd…

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Si bien que quelques salles plus loin, le temps s’arrête : la pendule de Jorge Macchi calle sur  “10:51”.

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A quelques kilomètres (à l’Usine T.A.S.E),  je croise les drôles de volatiles de Laura LimaGala Chicken and Gala Coop »), qui semblent m’indiquer qu’il est temps de changer de plumage! 

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Après l’eau de Mélancholia dans l’œuvre d’Eduardo Basualdo (voir l’article du 16 septembre), la fumée de Robert Kusmirowski, le plastique de Diego Bianchi, c’est une autre matière qui nous fait trébucher. Pour cela, il faut imaginer le sol d’une salle du Musée couvert de 3000 kilomètres de fil ! Avec «La Bruja 1», le brésilien Cildo Meireles frappe fort. À l’origine, les fils proviennent d’un modeste balai posé dans un coin : impuissant, il ne contient plus rien et génère une matière qui empêche tout balayage. Pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis (!), le visiteur est obligé de marcher lentement comme s’il avait des ressorts sous les pieds. Quand le désordre produit le silence, du recueillement...

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Chacun contemple les œuvres et je m’attarde devant les dessins de Christian Lhopital : tandis que le sol m’emmêle, ses figures fantomatiques m’enlèvent. Je vole, je plane.

Je suis au paradis des artistes.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 14:09

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Nous sommes quelques-uns à trébucher : on ne pénètre pas dans un espace d’art comme dans un supermarché. À l’entrée de la Sucrière, les rideaux de théâtre colorés d’Ulla Von Brandenburg ("Kulissen») nous accueillent sur des planches légèrement surélevées. Il faut en soulever plusieurs pour découvrir la nouvelle scène de l’Art Contemporain imaginée par la commissaire argentine Victoria Noorthoorn. D’entrée de jeu, c’est un choc. Je butte sur la citadelle imprenable de Robert KusmirowskiStronghold»), seulement visible du premier étage (j’y reviendrai dans un prochain article). Sur ma droite, les 55 cercueils en bois du Camerounais Barthélémy ToguoThe Time») me font reculer. A quelques mètres, une vidéo de la performeuse sud-Africaine Tracey Rose fait entendre sa version déraillée de l’hymne israélien à la frontière avec la Palestine. Ce comité d’accueil me propose trois impasses: l’Europe citadelle, l’Afrique enterrée et Israël bunkerisé.

 

En quelques minutes, je ne suis déjà plus le même visiteur : le monde est un théâtre et il en va de ma posture, de mon regard, de ma capacité à ressentir tout en me distanciant pour en penser un autre. Il me faut changer de focale, relier l’intime et le global pour accueillir les propositions de cette  Biennale de Lyon qui célèbre le changement de civilisation (celle de la révolution écologique). Elle  me propose un itinéraire passionnant où mon lien à l’art est une métaphore de mon rapport à la complexité du monde: je ne sais rien dans la réduction, mais de mon étonnement peut surgir la pensée créative. Retour sur les nombreuses propositions de cette Biennale inoubliable. Mon Nouveau Monde.

 

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Combien de fois  suis-je revenu vers la performance de Laura Lima ("Puxador")? Je ne sais plus. Avec des sangles attachées aux piliers,un homme nu tente d’avancer. C’est le gladiateur des temps modernes. Sa force, sa danse ouvrent l’architecture. Il défie l’ordre établi. Je tourne autour de lui : il est mon centre de gravité. Notre relation est mon pilier. C’est elle qui me fait voir l’espace autrement. Les poèmes d’Augusto de Campos écrits sur le mur blanc l’enveloppent. Certains visiteurs le prennent frénétiquement en photo, comme s’ils avaient peur. Je l’affronte pour me confronter. L’art a du corps et je divague : les murs de la Sucrière sont élastiques…

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J’y vais. J’enlève mes chaussures pour découvrir l’installation d’Eduardo Basualdo (“El silencio de las sirenas”). Une eau rouge surgit d’un trou. Ici aussi, le centre de gravité est déplacé. Un monde à l’envers. Mes pieds ressentent la rugosité, la douceur, dessinent l’espace de cet univers lunaire qui porte les stigmates de la Terre malade.

Me reviennent les images du dernier film de Lars Von Trier (« Melancholia »). Je suis sur Melancholia, planète imaginée par le cinéaste qui entre en collision avec la Terre. D’autres visiteurs se déplacent et je sens que je ne sais plus avancer. Il me faut réapprendre à marcher, à voir autrement ce qui m’entoure, à oser m'approprier ce territoire inconnu. J’hésite, car je ne sais pas interpréter les sensations de mon corps. Il est «extra-terrestre» et ses messages me troublent. C’est terriblement beau, émouvant, captivant. Le nouvel ordre écologique est sur cette planète étrange où l’eau se retire et revient pour qu’entre temps, l’habitant se fasse à l’idée qu’il ne contrôle rien, mais que son corps peut lui apprendre à relier ce qui est dispersé.

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Ainsi troublé, je découvre interloqué les céramiques de Katinka Bock. Pourquoi y vois-je des corps piétinés? Pourquoi l’émotion me gagne-t-elle? Pourquoi ces sculptures font-elles chair ? Je me couche pour les approcher autrement : elles sont traces, démembrées. De leur énergie, nait ce désir de recoller les morceaux d’une humanité en miettes au moment même où certains visiteurs sont à deux centimètres de les piétiner. Leur force est d’être posées là, dans un couloir à peine éclairé, sur ce sol de béton. Immédiatement, une  relation intime avec l’artiste s’installe parce que la fragilité y est célébrée. Ici aussi, la matière provoque un corps à corps somptueux.

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Rien ne laisser présager un théâtre. Toutes les vingt minutes, Daniela Thomas propose une mise en scène de «Breath» de Samuel Beckett, sa pièce la plus courte (24 secondes). Des détritus à peine éclairés jonchent le sol tandis qu’un cri mi humain, mi-animal résonne comme un souffle vital. J’imagine alors l’homme nu et ses sangles marchant sur Mélancholia pour y laisser ses traces rupestres.

Rien le laisser présager que ce jour-là, mon imaginaire soit du voyage.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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Toutes les oeuvres mentionnées dans cet article sont à voir à la Sucrière dans le cadre de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon jusqu'au 31 décembre 2011.

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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 00:15

Vous trouverez aux Rencontres Photographiques d’Arles une belle critique de la photographie : «le désir de photographier est le contraire du désir de signifier à tout prix, de témoigner ou d’informer. Il est de l’ordre de la sidération et de l’illusion. De l’ordre de la disparition aussi, car si quelque chose veut devenir image, ce n’est pas pour durer, c’est pour mieux disparaître» (Jean BaudrillardSommes-nous ?»- 2006.). Nous pourrions inclure la danse dans cette citation…

Avec un tel propos en tête, Arles déçoit. Rien n’est venu me sidérer, «m’illusionner». Tout au plus, ais-je ressenti les bouleversements d’une profession qui semble ne plus savoir comment s’intégrer dans un espace aux frontières élargies par les amateurs internautes  de la photographie. Le site des Ateliers consacre toute une zone «grillagée» à la toile ("From Here On"), avec un stand d’accueil perché, tel un mirador. On sourit face à tant de créativité même si rien n’étonne : ces images font déjà partie de notre "culture" photographique de l'internet. Ici, la photo est mise en espace jusqu’à se métamorphoser en installation (Viktoria Binschtok) ou en performance. L’ouverture est là : aux amateurs de photographier leurs prouesses, aux artistes la mise en perspectives !

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Dans l’idée d’une photographie participative, notons dans un autre espace deux belles séries : celle de Dulce Pinzon qui transforme des émigrants pourvoyeurs de richesse des États-Unis vers leur pays d’origine en super héros. Ce recadrage est un joli travail d’économiste. Puis vient «Supermarché», de Jean-Luc Cramatte et Jacob Nzudie  où sont photographiés à Yaoundé des consommateurs fiers d’en être arrivé là : faire son marché loin de ceux à ciel ouvert réservé aux peu fortunés. La pose est une posture.

 


Toujours aux Ateliers, j’ai passé une heure dans l’espace «Tendance Floue» consacré à ce collectif de photographes basé à Montreuil qui autogèrent leur agence. L’installation immerge le visiteur dans ce groupe notamment à partir d’un film retraçant l’épopée d’un voyage en Chine. Cette « photo réalité» de l’envers du décor suggère que l’avenir des agences de photographie réside dans le collectif. Sacrée découverte…mais ne boudons pas notre plaisir: ces artistes sont drôles et talentueux.

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En dehors des Ateliers, j’ai erré d’espace en espace. On ne s’attardera pas sur les séries consacrées aux publications du New York Time Magazine, sorte de publi-reportage ennuyeux. Je n’ai pas été accueilli par les clichés de la Révolution Mexicaine : rarement un espace ne m’est apparu aussi mal agencé comme s’il était réservé à une approche didactique de la photographie.

Que penser de la fresque de Wang Qingsong, longue de 42 mètres de long, où 200 figurants restituent une vision sur les civilisations ? Le film retraçant la fabrication semble bien plus intéresser les visiteurs que l’œuvre elle-même…

Je n’ai pas bien compris la finalité du lieu dédié au directeur de la photographie mexicain Gabriel Figuerda. Une mise en espace majestueuse (et probablement coûteuse) dans l’Église des Frères Prêcheurs pour des extraits de films bien difficiles à appréhender dans leur globalité à moins de butiner…

Les propositions de Chris Marker ont aussi déçu : outre un accrochage indigne, ses œuvres sur les visages dans le métro parisien me laissent un peu indifférent. Sur ce registre, Vincent Debanne en 2006 avec «Station»nous avait présenté un travail bien plus puissant en associant la position d’attente des voyageurs en gare avec des paysages suburbains.

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À l’issue de cette journée, deux expositions m’ont surpris. Fernando Montiel Klint avec «Actes de foi» (photo de gauche) explore nos engagements par sa focale utopique. Graciela Iturbide immortalise portraits, objets et décor du Mexique comme si elle invitait Dali à la veille d’une fin du monde. Troublant.

Les Rencontres 2011 posent un espace vide entre le "bouillonnement" créatif  des Ateliers et une certaine photographie institutionnalisée ailleurs. Une frontière qui, loin d’être poreuse, fait barrage en délimitant des îlots là où nous aurions besoin d’archipels.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Les Rencontres Photographiques d’Arles jusqu’au 18 septembre 2011.

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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 14:00

En recentrant sa programmation autour de la performance, le Printemps de septembre (festival de création contemporaine), a pris le risque d'accumuler des démonstrations et des tentatives, positionnant le spectateur comme observateur-évaluateur pour finalement l'ennuyer. À l'image de cette exposition au Château d'Eau sur l'histoire de la performance où, faute d'une approche interactive (et donc performative), on se lasse de lire des panneaux didactiques supportés par une curieuse ossature en bois malodorante...
Première performance avec « Kimindi Gotiga » par le Kit collectif. C'est une tentative désespérée d'articuler la magie, avec une esthétique et un travail d'acteurs. Trois femmes, un magicien (étrange Romain Lalire), des décors qui se déplacent, un public qui applaudit à chaque numéro (par réflexe comme dans une émission de télévision) pour finalement s'abstenir lors du salut final. Ce spectacle est une illusion dans lequel un magicien ne peut faire disparaître cette étrange impression d'amateurisme. Où est donc la performance?
Une heure plus tard, c'est au tour de Virginie Le Touze de s'engluer avec « Who's afraid of the boy from Ipanema? ». Derrière une vitrine, nous l'écoutons chanter des chansons d'amour en différentes langues, dont le français. Quel est le projet artistique? Pourquoi ne correspond-il pas à ce qui était annoncé? Où est donc la performance?

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Trois heures après, au Théâtre National de Toulouse, un attachant duo (Pascale Murtin et François Hiffler) crée la surprise. Avec « les rois du suspense », Grand Magasin nous offre la performance tant attendue. Ici le théâtre n'est qu'illusion où les acteurs jouent sans jouer tout en nous promettant que l'un se mettra nu tandis que l'autre fera des claquettes. Imaginez alors un dialogue dicté par une mystérieuse mécanique, où les acteurs disent ce qu'ils font pour ne pas faire ce qu'ils disent tout en reconnaissant qu'ils devraient le faire puisqu'ils sont sensés s'exhiber (vous suivez?!). Ils dialoguent tout en manipulant des objets (torchons, cruches, chaussures de basket, poutrelles, carton, écran projecteur, armoire, …) qui, à partir d'injonctions paradoxales, perdent leur fonction pour faire liant entre le réel et le fantasmé, à l'image de l'huile avec l'œuf! À moins que ce matériel ne soit leur grammaire commune, leur ponctuation, leur vision artistique. Allez savoir! Tout semble si ouvert en ce royaume de l'imaginaire! L'ensemble est jubilatoire: comment ne pas y voir la métaphore de l'abrutissante rationalité tout en y décelant la créativité dont nous sommes tous capables dans un cadre contraignant. En jouant sur le jeu d'acteurs (un jeu sur le jeu en quelque sorte),Grand Magasin s'amuse avec le spectateur: à partir d'une promesse non tenue, il s’agit de faire durer le suspense pour amplifier la frustration. Que venons-nous chercher au théâtre ? Suffit-il de voir un gorille traverser la scène pour affirmer l’avoir vu ?!
Cette écriture stimule parce qu’avec Grand Magasin, les mots perdent leur sens, mais trouvent leur poésie dans les chemins de traverse que nous créons pour eux.
Pascal Bély - www.festivalier.net

Un deuxième article sur le Printemps de Septembre: À Toulouse, des traces de Printemps.

"Le Printemps de Septembre" du 24 septembre au 17 octobre 2010.

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