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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 15:29

Vous est-il déjà arrivé de ne pas pouvoir quitter le théâtre, de chercher où et comment en sortir? Vous est-il déjà arrivé de ne pas comprendre ce que vous avez vu, mais d'avoir l'intime conviction que l'œuvre est majeure parce que, quelques jours après, des images reviennent sans cesse? Vous est-il déjà arrivé d'avoir peur d'écrire, car le sens est affaire de sens? À Lyon, le chorégraphe florentin Virgilio Sieni a créé la rencontre avec «Tristes Tropiques», librement inspiré de l'œuvre de Claude Lévi-Strauss. C'est une pièce pour cinq danseurs et une assemblée de spectateurs!

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À peine entré dans la salle, l'atmosphère est déjà brumeuse comme une caresse.
À peine la lumière s'éteint, le miracle se produit: il faut se déshabiller. Changer de peau. Libérer les voiles qui masquent le regard à mesure qu'une musique de cris et chuchotements amplifie notre lâcher-prise. À quelques minutes d'intervalle, deux rideaux de scène tombent et accueillent pour contempler ce poème dansé autour de la rencontre, d'un espace temps qu'il nous faut protéger des barbaries contemporaines qui uniformisent tout. Nous ne sommes pas loin d'une forme d'hypnose alors que nous devons tout à la fois nous immerger dans la scène de la rencontre et nous en extraire pour observer des symboles derrière un fond de scène transparent.  La rencontre avec « l'autre différent » serait là: au point de convergence du symbole et du lien, du rituel et de la tendresse, du jumeau et du frère, du corps animal et de la danse animale.
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Virgilio Sieni vient vers nous pour rencontrer sa danse: il ne multiplie pas les symboles chargés, mais se charge de nous guider sur sa terre où une danseuse âgée de soixante-douze-ans accueille des enfants parés d'animaux autour du cou. Ensemble, ils constituent notre code génétique sensoriel né des cavernes et des tribues aujourd'hui probablement disparues. Puis une apparition, comme une évidence : les escaliers à gauche des gradins s’éclairent. Il nous faut aller au-delà de la scène : sur notre droite, arrive une danseuse non voyante guidée par une enfant. L'humain s'explore avec délicatesse. Notre regard bienveillant sur la vieillesse et le handicap préserve l’humanité. Nos ancêtres le jouaient ainsi: l'enfant guide aussi le vieux. Ce moment-là est prodigieux.

Plus tard, lorsqu'elles dansent la bouche ensanglantée, la rage de vivre au coin des lèvres, je ressens les stigmates de la guerre, le corps désarticulé échappé de tous les camps de la mort. Je suis de ce sang-là.

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Deux grands oiseaux peuvent maintenant s’approcher d’elle : ils n’ont plus peur. « Humanité, relève-toi. Nos sorts sont liés » semblent-ils dire. Le bal des «hommes oiseaux» peut commencer. Ainsi renaît la danse…
Pascal Bély-www.festivalier.net.

"Tristes tropiques" de Virgilio Sieni à la Biennale de la Danse de Lyon les 29 et 30 septembre 2010.

Crédit photo: Christian Ganet.

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30 septembre 2010 4 30 /09 /septembre /2010 14:00

Chers  lecteurs, prenez le temps de regarder cette vidéo…

 

 

C’est impressionnant, non ? J’avais déjà écrit sur Hofesh Shechter lors de sa venue à la Biennale de la Danse de Lyon. Elsa Gomis nous propose une autre lecture. Cela m’impressionne aussi.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

A quoi reconnaît-on un chef d'oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans "Political Mother" d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans " Mefisto for ever". Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries "End of de world", dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans "The Show must go on",  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de "Riverdance".

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C'est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu'un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans "la crise de la culture" : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de "Political Mother" avec la certitude d’avoir vu un chef d’œuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec "Potical Mother" ça fait froid dans le dos.

 

Elsa Gomis - www.festivalier.net

Le regard de Pascal Bély: À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

 Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

 

 

 

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 16:23

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’œillets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses œuvres mythiques.
Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope…Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses œuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle »…

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle est bien en Europe…

C’est un parterre d’œillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’œillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps "piétiné" (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens…
C’est un parterre d’œillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse…
C’est un parterre d’œillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir…
C’est un parterre d’œillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde…
C’est un parterre d’œillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu… pina.jpg

C’est un parterre d’œillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères…
C’est un parterre d’œillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’œillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »...
C’est un parterre d’œillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles…
C’est un parterre d’œillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d'amour de Raimund et Pippo...

C'est un parterre d'oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…


Pascal Bély - www.festivalier.net


"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope…Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.

Crédit photo: Ursula Kaufmann

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14 septembre 2010 2 14 /09 /septembre /2010 17:04
En juin dernier au festival « Montpellier Danse », William Forsythe proposait aux spectateurs une expérience chorégraphique particulièrement stimulante. Invité à entrer dans un château fort gonflable, le public a dansé et ressenti les possibilités que lui offrait un espace entièrement dédié aux mouvements, au désir d’interagir avec son voisin. La danse pour communiquer. Ce fut un moment jubilatoire (un article ici). Il me revient encore un propos de William Forsythe: «…la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble quasi impossible».
La Biennale de Lyon a son défilé, grand rassemblement populaire autour de la danse, vecteur du plaisir partagé et ode à la diversité. Dans le même esprit, elle propose de découvrir au Musée d’Art Contemporain les dessins de la chorégraphe Trisha Brown et quelques œuvres chorégraphiques (« Early Works »). La présence des danseurs dans ce lieu d’exposition crée un lien particulier à la danse: ce que je vois importe autant que le comment je le vois. Alors qu'ils jouent avec la matière (ici des longs bâtons en bois, là un mur percé de trous, plus loin des vêtements multicolores enfilés à des cordes tenues par des tubes métalliques), j’accueille la fragilité, j’entends le froissement, je ressens la suspension des corps. Je m’éloigne d’un désir de performance qui serait hors de moi pour m’approcher de ce qui me fait "danse" et m’inscrit dans un rapport déverticalisé à la création. Ce sentiment se prolonge alors que nous sommes emmenés au Parc de la Tête d’Or. Quand deux danseurs s’attachent à des cordes enroulées en spirale autour des troncs d’arbre pour descendre progressivement (« spiral »), j’ai un haut-le-cœur jubilatoire comme s’ils marchaient à l’horizontale pour m’enrôler. Lorsque plus tard, quatre danseuses interprètent sur leur radeau une chorégraphie sur le dos (« Raft Piece »), la peinture jaillit de l’eau et je vis un moment d’une intense poésie. Loin d’être seulement un hommage à Trisha Brown, ce parcours de deux heures donne du souffle pour penser l’avenir d’une danse démocratique.
En fin d’après midi, le retour au théâtre est brutal. « Tres Pontos… » du jeune chorégraphe Brésilien Alex Neoral est une succession de trois pièces (« Pathways », « Interpret », « Um a um ») pour quatre, cinq, sept danseurs accompagnés pour les deux dernières par des musiciens (piano et violoncelle). La technique est certes irréprochable, mais l’ensemble est d’un romantisme daté, d’un classicisme ennuyeux. Si la danse se veut «contemporaine», le rapport au public est immergé dans le formol. « Tres Pontos » me positionne tel un charmant qui chercherait sa cavalière. Mais faute d’être surpris et étonné, je me contente d’attendre patiemment la fin du bal, au bras d’une vieille dame un peu triste qu’il faut raccompagner par galanterie…
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Plus tard dans la soirée, la chorégraphe française Catherine Diverrès plonge le public dans l’expectative. «Encor», pièce pour cinq danseurs, est une tentative courageuse pour rendre hommage à la danse, mais qui se perd dans des tics de représentation (succession rapide de tableaux, bande sonore confuse, ..) et un propos compliqué à force de références. Ce spectacle postule que nous n’avons pas tous la même histoire de danse. Soit. Mais comment s’en parler? Pourquoi cela ne résonne-t-il pas? Serions-nous si différents? Pourquoi de tels marqueurs historiques (le tutu, les perruques, le corps jeté, le collectif en sang) s’ils ne procurent aucun frisson sur la peau du spectateur ? Je peux accepter qu’il n’y ait aucun chemin tracé, mais encore faut-il que je ressente une toile d’où je tirerais des fils. « Encor » accumule ce que je ne veux plus : une poésie qui me prend de haut, où le chorégraphe-plasticien propose deux œuvres en une sans que je puisse les relier. Cette danse sur la création d’une danse m'a littéralement noyé.
Étrange journée où le souvenir d’un château fort poursuit son œuvre, celle de mon histoire de danse, qui  m’éloigne peu à peu des chorégraphies sans histoires…
Pascal Bély - www.festivalier.net
« Early Works » de Trisha Brown au Mac de Lyon les 10, 11 et 12 septembre 2010.
« Tres pontos » d’Alex Neoral au Théâtre de la Croix Rousse du 11 au 14 septembre 2010.
« Encor » de Catherine Diverrès au Tobogan de Décines les 10 et 11 septembre 2010.
Crédit photo: Christian Ganet.
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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 23:20

 C'est mon premier rendez-vous avec la Biennale de la Danse de Lyon. J'ai le trac pour cette rencontre inédite avec le chorégraphe Israëlien Hofesh Shechter. À 20h30, il présentera «Political Mother». Mais à 19h, je suis inscrit à un «échauffement du spectateur» animé par Anne Décoret-Ahia, anthropologue de la danse et coach. En s’inspirant du propos et du langage d’Hofesh Shechter, elle propose différents jeux d’étirements, d’occupation de l’espace, de rencontre avec l’autre et d’écoute du corps. Elle souhaite un travail sur «la résonance» avec l’œuvre de ce chorégraphe. Ainsi, pendant une heure, je suis en interaction corporelle avec de parfaits inconnus qui semblent familiers  avec ce type d’exercice.

Aucun processus de socialisation n'est travaillé: pas de présentation (ni de l'intervenante, ni des spectateurs) et l’on nous met dans les bras de quelqu’un sans que nous contestions la brutalité du processus! Je me fonds dans le groupe anonyme à l’image de tant de salariés qui doivent fusionner et faire corps avec l’entreprise lors de séminaires pour produire des normes managériales efficaces. Je reconnaîtrais sur scène quelques mouvements expérimentés au cours de "l’échauffement". Mais «la résonance» a des ressorts psychologiques qui ne peuvent se réduire à  une «expérience» en atelier qui mobilise nos capacités d’apprentissage et de mémorisation. À 20h, plus qu’échauffé, je suis épuisé et je m’interroge : entre le temps de la scène et le contexte du spectateur, quel espace médian peut-on créer pour libérer une parole autour de la danse et la métamorphoser en acte créatif ? Comment articuler parole singulière et structure sociale normalisatrice? Je ne me doute pas encore que ce seront des sujets abordés par Hofesh Schechter...

La salle de l’Auditorium est enfumée comme après un séisme. «Political Mother» est un «spectacle» de danse au cœur de la société du divertissement : pour dénoncer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir, Hofesh Shechter crée une forme spectaculaire (dix danseurs, quatre bassistes à l’étage, quatre batteurs en bas) où il articule danse groupale, musiques rock, militaire et classique. Spectateur «conditionné», je dois accueillir cette œuvre qui utilise les ressorts du grand spectacle (et donc du pouvoir sur les masses), ceux-là mêmes qui nous empêchent de nous émanciper des formes abrutissantes, de nous recentrer sur le sens.

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Ce sont donc les faiblesses de «Political Mother» qui permettent de s’affranchir du «spectaculaire» : un langage chorégraphique plutôt minimaliste, mais sensible (succession de gestes incantatoires dansés sur la pointe des pieds pris dans le tourbillon de l’enrôlement groupal), des danseurs qui «théâtralisent» leur danse au lieu de la «performer», une mise en scène qui crée le vertige du pouvoir tout en humanisant ce qui par le bas le fragilise. Hofesh Shechter danse l’embrigadement sur scène, mais se garde bien de nous enrôler, tout juste mobilise-t-il notre imaginaire chorégraphique, musical et théâtral pour  repérer les formes utilisées par le pouvoir pour nous asservir.

Œuvre profondément pédagogique sur les processus de domination à l’intérieur d’un groupe, vis-à-vis du chef ou de toute autorité verticale, elle est aussi à l’égard de la danse contemporaine. Il nous démontre qu’elle est aujourd’hui au croisement des langages (musical, théâtral, plastique), qu’elle peut ouvrir les codes de la narration pour laisser place à nos interprétations, qu’elle peut créer du silence en transformant la lumière en poussière, en «nuit et brouillard». Mais surtout, il s’appuie sur le spectaculaire (et le langage publicitaire qui l’accompagne) pour y puiser l’énergie de la résistance, pour donner la force à l’art chorégraphique de s’émanciper des pouvoirs autoritaires.

Plus globalement, «Polical Mother» nous rappelle que le corps est politique : loin de le statufier sous le poids des contraintes d’une Histoire qui nous échapperait, il nous invite au rassemblement.
C’est ainsi que le spectateur s’échauffe, prêt à défiler.
Pascal Bély - www.festivalier.net
"Political Mother" par la Hofesh Shechter Company à la Biennale de la danse de Lyon les 10,11 et 12 septembre 2010.
Crédit photo : Ben Rudick.

 

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26 juillet 2010 1 26 /07 /juillet /2010 17:09

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Le danseur me regarde. C’est interminable. Je lui fais signe d’arrêter, que cela suffit. Il continue. Le combat est inégal. À ce moment précis, je lutte avec le chorégraphe Alain Platel pour que « Out of context (for Pina) » se termine. Je voudrais me lever, demander une suspension de séance, pour que les spectateurs qui rient m’expliquent les raisons pour lesquelles le propos a lâché. Je me tournerais alors vers les danseurs pour les questionner sur leur ressenti d’incarner des handicapés que Platel fait passer pour fous parce que ça l’arrange, parce qu’il y décèle de la «virtuosité». Je l'interrogerais ensuite…mais il serait peut-être déjà parti. On m’aurait ordonné de quitter les gradins bien avant, avec une camisole de force. Ce spectateur est fou, fatigué, excessif. Probablement du sud, car à Paris on sait se tenir…surtout au Théâtre de la Ville.
« Out of context » est une (trop) longue chorégraphie, car il faut du temps à Alain Platel pour travestir son propos. En observant les autistes, il n’a vu que des corps tordus.
Coup tordu.

Vous n’avez pas de chance, Monsieur Platel. Avant vous, il y a eu l’an dernier sur cette même scène du Lycée Saint-Joseph,  Pippo Delbono et Bobo. J’ai appris avec eux qu’entre le handicap et la folie, il y a tout un monde que vous avez préféré réduire à une esthétique séduisante. Mais manque de chance, le public rit. Il vous tend le miroir de vos erreurs et de vos égarements.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Christoph Marthaler qui, il y a seulement deux jours, nous a proposé de nous introspecter dans le regard du fou. Vous avez préféré créer la distance entre vos danseurs et le public pour faire du spectaculaire. Mais manque de discernement, cela se voit. Vous avez fait d'un handicapé un fou sans lui donner sa fonction politique. Vous avez choisi d'en faire le bouffon, jusqu’à convoquer des bébés sur scène et valider votre hypothèse. Vous penser qu’ils sont seuls capables de  regarder droit dans les yeux le «handicapé fou» (appelons-le ainsi, puisque vous mélangez tout), tandis que les spectateurs rient, non pas parce que cela les dérange, mais parce que c’est rigolo.
Mort de rire.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Angélica Liddell. Elle nous venait d’Espagne. C’était il y a dix jours, au Festival d’Avignon. Elle m’a bouleversé parce qu’avec elle, j’ai compris que le corps qui souffre relie l’intime et le politique, que danser autour d’une chanson pop pouvait rendre fou. Avec vous, la pop, la variété, ne servent qu’à séduire le public pour qu’il accepte la danse du « tordu ». Nuance. Vous osez même nous interpeller pour savoir si nous serions capables de danser avec eux. Certains spectateurs (castés) montent sur scène pour une danse de l’étreinte. Sauf que le danseur n’est ni handicapé, ni fou. Se seraient-ils risqués avec Bobo ? Sûrement pas, parce que Pippo Delbono ne l’aurait pas permit. Et puis parce qu’un fou, ça peut aussi déplaire et puer de la gueule.
Mensonge.
Ainsi, vous pensez à Pina Bausch. Moi aussi. Sa danse était virtuose.
La vôtre est en dehors du contexte.
Fin.

Pascal Bély - www.festivalier.net

"Out of context for Pina" d'Alain Platel au Festival d'Avignon du 22 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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22 juillet 2010 4 22 /07 /juillet /2010 15:18



Bouleversé. Transpercé. Bousculé. Avec "la danseuse malade",  Jeanne Balibar et Boris Charmatz démontrent ce que l'on omet trop souvent: la danse est un art difficile, engageant, qui déforme, tord, essore, décolle, plie. Distancié de deux rangs seulement, je suis ébloui au sens propre, comme au figuré : rarement la danse ne m'a été évoqué de cette façon, avec autant de sincérité, de fragilité, d'humilité. Sans faire scandale, «la danseuse malade» fait rupture dans le consensus mou actuel qui entoure certains spectacles chorégraphiques, où le "public consommateur" se questionne peu sur le processus oubliant que cet art se régénère à partir de sa transdisciplinarité.
Tout commence par une explosion sur la tête. Le corps disparaît presque dans la fumée.
Ça tousse dans la salle.
Déjà.
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu'ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d'une nouvelle représentation du butô, l'une des danses les plus caricaturées qu'il soit. J'y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C'est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.
Nous voilà partis pour une conférence, où les mots de Tatsumi Hijikata « co-père » du buto, loin du bavardage, traversent le corps de Jeanne, prêt à se briser contre la vitre. Le camion véhicule le corps, mais peut à tout moment l'écraser, nous foncer dessus. Je le suis des yeux alors qu'il arpente la scène, avance, recule, tourne sur lui-même. Il nous éblouit et se fait danse. Les mots buttent, déchirent et le corps se cogne, à se prendre la tête.
Le butô vient du dedans, comprenez-vous ? C'est la danse des mots qui se heurtent au corps. Voyez-vous?

Ce spectacle me ronge de l'intérieur : il me révèle des émotions nouvelles.
Mes mots butent.
Ces deux-là m'ont trimbalé dans le chaos.
Boris Charmatz a fait danser le théâtre.


Pascal Bély
www.festivalier.net


 
"La Danseuse malade", de et par Jeanne Balibar et Boris Charmatz, a été vu au Théâtre de la Ville du 12 au 15 novembre 2008. Actuellement, au Festival d'Avignon du 21 au 24 juillet 2010.

La blogosphére est inspirée: à lire deux regards sur "Un soir ou un autre" et sur "Images de danse"

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22 juillet 2010 4 22 /07 /juillet /2010 11:09

Il existe une danse démocratique, ouverte à tous, qui pousse délicatement les portes de l’imaginaire, sans brutaliser, mais avec la force du propos. Ce soir, au Festival d’Avignon, « Les corbeaux » du chorégraphe Joseph Nadj et du musicien Akosh Szelevényi ont ébloui, sans effraction, pour nous inviter à découvrir l’atelier du «peintre danseur» et du «musicien pinceau».

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Tout est en place pour que nous puissions suivre avec délicatesse, loin du brouhaha des crises, cette métamorphose de l’homme-oiseau. Tel un médiateur, Nadj accompagne. Derrière une toile défilante, il se cache pour dessiner ce qui lui passe par la tête au carré….Le papier déroule et je m’enroule dans cette carte de l’imaginaire, celle tracée par les oiseaux migrateurs qui volent au dessus de nos têtes alors que nous empruntons les chemins de traverse.

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Puis, il apparaît. Avec son costume noir, il est nuit et ses cheveux gris se font lune. Tandis qu’une poudre noire descend du ciel, Nadj et Akosh jouent une musique d’étoiles filantes à partir de cylindres. Est-ce des bombes déterrées ? Ce rituel funéraire prépare une renaissance. Ma vue se trouble.

Je le suis, j’ai confiance. La musique étonne, détonne, m’enveloppe. Joseph Nadj poursuit son voyage et le corbeau pointe le bout de son nez pour se faire pinceau. La danse remplume, le mouvement dessine le squelette de l’oiseau, et le corps vole. Le corbeau accueille le pinceau volatile de cet homme devenu le Michel Ange de nos parois nocturnes. La musique amplifie le battement d’ailes tandis qu’il plonge dans un liquide amniotique noir pour renaître de ses cendres.

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Nous y sommes. Il scintille comme si les étoiles s’étaient collées à lui pour l’éclairer. Il se pose sur la toile, sur le bord de nos fenêtres d’où nous contemplons son envolée qui provoque la tempête du sublime. Notre souffle coupé le fait fuir. Il ne crie pas et la musique silence. Cet oiseau de bel augure a rejoint les rapaces de nuit dans la forêt de Gisèle Vienne.

Je le suis, car le Festival est le territoire des humains migrateurs qui se perdent dans la forêt pour voler de leurs propres ailes.

Pascal Bély - www.festivalier.net

« Les corbeaux » de Joseph Nadj et Akosh Szelevényi. Au Festival d’Avignon du 18 au 26 juillet 2010.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 09:48

Le corps traverse quasiment toutes les œuvres du Festival d’Avignon. Si lors de l’édition de 2005 où Jan Fabre était l’artiste associé, il nous était imposé comme une provocation, cette année il crée un langage. Pour certains spectateurs, c’est une révélation. Pour moi, c’est un bonheur particulier de pouvoir appréhender le texte à partir de la danse comme me l’a permis  Maguy Marin. Mais tous les artistes n’intègrent pas cette complexité de la même façon.

Chez les allemands Falck Richter et Anouk van Dijk, «Trust», est joliment nommé «chorégraphie textuelle». Ici, « l’homme devient une sorte de dessin au crayon à papier aux contours incertains et perdus». Ce flou est incarné par dix acteurs (dont un musicien) qui opèrent un grand écart permanent entre l’intime et le mondial, l’individu et le groupe, l’amour du jeu et le jeu de l’amour. Les corps s’écroulent sur les canapés, forment des grappes le long des échafaudages, s’enroulent puis se perdent dans l’espace. Un couple se déchire parce qu’elle dépense, comme une banque mondiale, des milliards d’euros virtuels qu’il n’a pas. Elle croit avoir été avec lui trois semaines il y a quatorze ans, mais il s’entête à lui rappeler qu’ils sont ensemble depuis quatorze ans, mais qu’elle est partie il y a trois semaines…
Le texte est une logorrhée verbale sur le déclin de l’humain (et au passage de l’humanité). Le discours est connu. Est-il sincère, vrai ? Me bouleverse-t-il pour interroger, questionner, mettre en doute ? Tout sonne comme une évidence d’autant plus que la danse est convoquée, non pour créer un métalangage, mais pour servir, illustrer un texte vif, mais sans visée. Ici le corps n’est pas « politique » mais assujetti au politique, au texte de Richter. « Trust » glisse peu à peu vers le « produit » théâtral parfait. La danse donne de l’image, le texte un son entendable et le tout séduit. Mais surtout, le corps ne porte aucun stigmate de la souffrance parce que Richter s’en fout. C’est beau, mais vide.

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« Pour en finir avec Bérénice », tentative théâtrale du chorégraphe Faustin Linyekula pour évoquer la colonisation, emprunte le même chemin que « Trust ». En transposant Bérénice (reine de Palestine qui s’exila à Rome par amour pour Titus, son colonisateur) dans son pays (le Congo), Faustin Linyekula tente de démontrer qu’entre les mots et les corps, il y a le chaos produit par la colonisation. Sauf qu’il délimite en permanence sa chorégraphie (puisqu’il danse sur un côté de la scène et parfois en fond) du jeu des acteurs. Les langages se superposent, mais ne s’articulent pas comme s’il séparait ce que la colonisation savait si bien fusionner. En imposant une langue et son langage du corps, les colonisateurs ont réduit des pans entiers de la culture congolaise. Pour incarner ce processus, Faustin Linyekula danse pour illustrer et créer de l’image. Il « colonise » le texte par un corps qui danse, là où il aurait pu offrir une chorégraphie engagée sur les blessures du corps provoquée par une langue maltraitée. Il peut toujours nous effrayer quand les acteurs proposent de le faire disparaître comme acte de résistance. Trop tard…

 

Quelques jours auparavant, l’Espagnole Angelica Liddell avait bouleversé le public avec « La casa de la fuerza», puis avec « El ano de Ricardo ». Ici, le corps est politique parce qu’il fait texte. Dans « la casa », nul besoin d’une danse pour illustrer. Le corps est propos. Quand qu’elle est désespérée, Angélica se fait des scarifications sur scène. Tandis qu’elle sent son cœur saigner de tristesse, elle se fait faire une prise de sang pour immaculer ensuite son chemisier blanc. Avec elle, le corps est sexuel parce que textuel. C’est encore plus frappant avec «el ano de Ricardo» où elle incarne LE dictateur. Ses corps « politique » et biologique se fondent parce que tout est lié. « Comment aurait été Lénine s’il n’avait pas été malade » se plaît-elle à dire alors que son corps porte les stigmates de la dépression, qu’elle pisse, qu’elle boit, qu’elle fume,…A côté, son bouffon, muet aux cheveux blonds mal colorés, improvise quelques mouvements d’une grande grâce.

À sa logorrhée, son silence devient le nôtre. Avec Angelica Liddell, ce qui fait danse est un corps qui secrète, qui est traversé par la musique parce qu’elle a toujours accompagné nos métamorphoses. Avec Angelica, boire et manger sont des actes artistiques à l’image de « nourritures terrestres » qu’elle poétise à outrance, mais avec respect. Elle a fait exploser bien des codes établis de la représentation comme si son engagement physique sur scène était sa réponse aux menaces d’uniformisation qui pèsent sur le spectacle vivant. Elle nous déculpabilise en nous aidant à prendre conscience que notre corps est la meilleure voie pour comprendre la danse.

Par sa force, Angelica Liddell nous engage à résister contre ceux qui voudraient manipuler le corps comme «objet artistique ».
Vive la réévolution !
Pascal Bély - www.festivalier.net

"Pour en finir avec Bérénice" de Faustin Linyekula au Festival d'Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

"La casa de la fuerza" d'Angélica Liddell au Festival d'Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

"Trust" de Falk Richter et Anouk Van Dijk au Festival d'Avignon du 17 au 19 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 10:17


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Le Festival d'Avignon aurait-il de la suite dans les idées? Après une édition 2009 où la danse cherchait sa place et avant celle de 2011 où le chorégraphe Boris Charmatz sera l'artiste associé, 2010 est l'année charnière où se poursuit l'accompagnement du public vers l'idée qu'au-delà des classifications, tout est question de langage.
Cindy Van Acker nous propose son parcours comme s'il reposait sur ses épaules de tracer un chemin de danse entre les stars Anne Teresa de Keersmaeker , Alain Platel  et les formes plus radicales de Julie André T. et Angelica Liddell .

Débuté très timidement lors du « Sujet à vif » avec « Rosa, seulement» (sorte de work in progress avec de jeunes acteurs de théâtre immergés dans une série de mouvements sans surprise), Cindy Van Acker s'est déplacé au lycée Mistral pour quatre solos ("Lanx"/"Obvie"/"Nixe"/"Obtus") où le spectateur vit un moment d'écoute particulier, accompagné par une musique minimaliste et vrombissante! C'est dans ce paradoxe que je trouve le chemin pour mobiliser mes ressources, mon histoire de danse et vivre l'une des expériences les plus stimulantes qu'il m'est était donné de partager dans le cadre du festival.

 
« Lanx » est une entrée en « matière », interprété par Cindy Van Acker. Au sol, elle invite à lâcher prise, où la ligne du corps se fond, où la courbe contient, où un bras tendu prolonge au-delà des limites. Il devient inutile de vouloir appréhender une vision rationnelle du corps (la tête et les jambes!). Inutile. Mais un fléchage au sol aide à ne pas se perdre, tout en donnant une douce impression de démultiplication de l'espace; je le ressens comme un filet sécurisant entre elle et nous. Pourtant, Cindy Van Acker nous fait confiance: elle sait que nous sommes capables de nous appuyer sur ses gestes minimalistes pour comprendre qu'un mouvement c'est aussi la dynamique de notre regard. Et qu’avec quelques mouvements verticaux, elle vous perd dans sa matière pour vous reprendre alors que le corps roule au sol. Magnifique.

 

 

Le deuxième solo, « Obvie » dansé par Tamara Bacci, m’a englouti jusqu’à me faire perdre pied et provoquer un blanc, un  rêve éveillé. Alors que le volume de la musique atteint des sommets, que les murs du plateau de « Lanx » ont été abolis, le noir est le sol du vide, l’abîme. Je perds mes sens, mes perceptions sont embrouillées. Je tombe. Plus aucune image ne me vient. Seuls les applaudissements me ramènent au réel. Je quitte le lycée hagard en me trompant de direction.



Un jour plus tard, « Nixe » m’éclaire. Du « noir terre », je suis propulsé vers l’éblouissement. Perrine Valli s’approche d’une rangée de néons pour y fluidifier la lumière. Elle la traverse du bas vers le haut (à moins que cela ne soit le contraire…), la rend liquide tandis que le plus petit mouvement change radicalement la perception : ce n’est plus un corps qui danse, mais la danse qui fait corps!  À partir de mes sensations, j’investis pleinement l’espace horizontal  crée par Cindy Van Acker: l’important n’est pas ce que je vois, mais ce que je ressens pour voir. Bouleversant. Mais je n’ai encore rien vu.


Le quatrième solo est une apothéose. A la lumière matière du corps de « Nixe », « Obtus » fait du noir une matière où le corps se fond. Debout, Marthe Krummenacher apparaît puis disparaît. Ces apparitions fulgurantes me tétanisent par leur beauté. L’émotion me submerge quand deux bras deviennent deux jambes, qu’une tête fait le dos, lorsque le mouvement crée l’illusion d’un tableau de William Turner. Le noir ne s’oppose plus à la blancheur des néons posés au sol, mais forme avec elle une profondeur sans limites dans laquelle la danseuse se perd. Je transpire parce que le beau procure un bonheur physique, que la danse creuse des galeries dans l’imaginaire où apparaissent des tableaux qui vous précipitent dans un abyme de beauté.
Écrire sur la danse de Cindy Van Acker, c’est plonger au cœur d’une langue de quatre mots.

Lanx Obvie Nixe Obtus, le Nouveau Monde.

Pascal Bély - www.festivalier.net

"Lanx" "Obvie" "Nixe" "Obtus" de Cindy Van Acker au festival d'Avignon du 14 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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