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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

20 juin 2010 7 20 /06 /juin /2010 10:35

 

la_vie_qui_bat-c-guy-borremans-3.jpg

C’est le premier rendez-vous de la 15ème édition du Festival des Arts Multiples de Marseille dans ce lieu symbolique, la Salle Vallier, si bien imagé par Apolline Quintrand , la directrice: “ Dédiée à la boxe, au sport, aux combats politiques, temple des grands concerts rock/pop et de la danse dans les années 80, la Salle Vallier affiche deux messages, l'un venu du ring: se relever très vite quand on tombe, le second inhérent à la scène : transformer en de nouvelles arborescences des contraintes à répétition”. Je découvre le cadre et l’ambiance plutôt conviviale, à l’image des théâtres bruxellois pendant le KunstenFestivalDesArts. Cette atmosphère n’est pas sans influence sur le spectateur, prêt à entrer en résonance avec la danse, en confiance, avec ces danseurs “fous” et ces chorégraphes qui jouent de nos imaginaires.

Ce soir, c’est la Canadienne Ginette Laurin qui, avec “La vie qui bat”, affronte sa première rencontre avec le public marseillais! Neuf danseurs et pas moins de douze chanteurs et musiciens de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée pour jouer en continu la partition répétitive et envoûtante de Steve Reich. La métaphore du ring s’avère alors passionnante: comment la musique se laisse-t-elle explorer pour vivre sa métamorphose tandis qu’un chef “orchestre” et qu’un chorégraphe “mouvemente”?

Les voilà qui arrivent pas à pas, de derrière de grandes lamelles en plastique (les coulisses seraient-elles l'entrepôt de notre société de consommation?) avec leurs cheveux rouges et roux qui créent la filiation, leurs vêtements gris et chauds qui les étouffent en ce mois de juin et leurs chaussures noires qui les plombent au sol. À première vue, ils ne paraissent pas très légers, alourdis par le poids d’une charge, en total décalage avec un tempo africain inspiré par l’expérience de Reich au Ghana.

Le combat peut commencer. Sans qu’elle n’épouse la musique, la danse va l’explorer en convoquant la poésie, omniprésente, pour créer tout à la fois le désordre et la précision. En détachant parfois un danseur du groupe, Ginette Laurin nous offre l’opportunité d’entrer seul dans la musique, pour isoler certaines notes et ressentir  autrement le mouvement dansé. Le groupe peut continuer en fond de scène, il ne nous perd pas. Entre Reich et Laurin, il y a  comme du coton afin que les corps ne se fracassent pas sur ce tempo endiablé et ensorcelant. Les chaussures amortissent les sons et évitent que les mouvements partent en “live”. Le temps de l’écoute s’installe peu à peu pour que le corps du spectateur soit en éveil permanent tout en lui offrant des espaces pour contempler sans scruter.

Progressivement, la danse nous aide à poser notre regard sur le mouvement là où il nous est imposé, tant de fois ailleurs. Elle s’ouvre même au langage des signes, à la danse classique, à des cadences du corps social qui amplifient le son (sens) de la poésie.  Ici, les duos explorent le lien sans tomber dans la fusion, le groupe danse le lâcher-prise sans se laisser aller. Ensemble, ils prolongent la musique: ça porte et ça vous déporte! On finit par être impressionné par cette danse de l’amorti alors que la musique intensifie le chaos, que la lumière accompagne plus qu’elle n’éclaire un espace profondément habité.

Alors que le groupe contient la musique pour nous la restituer moins répétitive, nous voilà emportés par cette danse de l’égarement. Tandis que la fin approche, je me sens plongé dans un liquide amniotique et rêve de les voir nus, débarrassés de leurs déguisements, pour que le corps musical me déplace. Au loin.

K.O couché.

Pascal Bélywww.festivalier.net

“La vie qui bat” de Ginette Laurin a été jouée les 17 et 18 juin 2010 dans le cadre du Festival de Danse et des Arts Multiples de Marseille.

Crédit photo: © Guy Borremans.

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15 juin 2010 2 15 /06 /juin /2010 08:10

 

bel.jpg

Trois blogueurs dialoguent suite à la pièce du chorégraphe Jérôme Bel,  « The Show Must go on ».  Jérôme Delatour d’Images de Danse et Guy Degeorges d’Un soir ou un Autre assistèrent à la représentation au Théâtre de la Ville à Paris en mai 2010, Pascal Bély du Tadorne au Théâtre des Salins de Martigues en février 2005. Avec un étrange dénouement pour ce dernier…


Jérôme Delatour
 : « The Show Must go on », de Jérôme Bel, est une pièce créée en 2001 que je devais avoir vue et qui, en effet, est importante. On l'associe à la "non-danse", un hypothétique courant de la danse contemporaine qui fait crier certains. Et encore plus quand la chose est interprétée, comme depuis 2007, par les danseurs du ballet de l'Opéra de Lyon !
Aucune importance.

Pascal Bély : C’était important. Le 4 février 2005, au Théâtre des Salins de Martigues, la salle est clairsemée. Dès les premières minutes du spectacle, la tension est palpable, alors que nous sommes plongés dans le noir, pour une attente interminable. A cette époque-là, je vais au spectacle pour me divertir et je ne saisis pas encore que la danse est un acte politique. Quand au courant de la « non-danse », j’en ignore son existence… 

Jérôme Delatour : Que voit-on ? Sur un plateau nu, 30 jeunes gens en habit de ville, dont seize garçons, debout face à nous, les bras ballants. Quand une chanson survient, ils dansent, quand elle s'arrête ils s'arrêtent. Les chansons se succèdent jusqu'à la fin, à la manière d'un jukebox.
Les spectateurs qui s'en tiennent à ce premier degré de lecture sont évidemment déçus. Ceux qui admettent qu'un spectacle puisse être politique y voient une métaphore ; une métaphore du totalitarisme moderne, du fascisme libéral planétaire. Voilà des individus sans volonté qui obéissent au doigt et à l'oeil. C'est glaçant, parce qu'ils nous ressemblent trait pour trait. Oh ! plus d'uniformes ni de canons, plus de morts ni de larmes ; plus que jamais, l'horreur se joue en coulisses, à l'insu de notre plein gré.

Guy Degeorges : Tu métaphorises, et c'est symptomatique. Tu réagis à ta façon. Tu n'as pas le choix.
Plutot que de manipulation, je parlerai ici de provocation. Dans une logique de performance. Tu interprètes à un niveau politique. D'autres spectateurs du théâtre réagissaient selon leurs moyen propres: à voix haute, en chantant, riant, en écrivant des sms, etc... L'intérêt de cette proposition  est de créer une relation inhabituelle entre spectacles et spectateurs. Comme l'on dit souvent "le spectacle était dans la salle". Puisque Jérôme Bel prenait le partie de ne pas présenter de danse "dansée", ni signifiante, que de l'absence d'action ou de la danse pauvre et de refusait de répondre à toutes nos habituelles attentes. Je ne vais pas jouer le rôle du râleur ou du reac de service. Il se passait des choses intéressantes. Une dame chantait très bien. Mais, à la vérité, je me suis ennuyé. Car la situation pouvait paraitre libératrice dans un première mouvement, mais devant au fond manipulatrice et enfermante: nous perdons la possibilité de critiquer car nous sommes devenus partie prenante du spectacle. Il devient impossible de se situer "à l'extérieur" 

Pascal Bély : Oui, pour la première fois, j’étais dedans. Et c’était là le plus extraordinaire. Pour la première fois, un chorégraphe m’interpellait : « tu fais partie du jeu ». Non que je puisse monter sur scène, mais que la danse était une interaction entre le spectateur et le danseur où circule …le désir. Quelle découverte ! Je me souviens encore de la salle : des sifflets, des hurlements, des cris de joie. Je  m’enfonçais dans mon fauteuil, intimidé, joyeux, apeuré, …Pour la première fois, je me sentais exister comme spectateur parce que j’étais TOUCHE et qu’un artiste venait chercher le « ça », le « surmoi » et tout le « tralala ».

Jérôme Delatour : Jérôme Bel se livre à un exercice de manipulation malicieux. Il opère un choix ouvertement tendancieux dans l'immense réservoir des tubes planétaires, les détourne avec ironie. Chaque refrain devient un slogan, une injonction à faire, à être, à rêver, pense à notre place, nous berce, nous tue. La pop héritière de la fanfare militaire, et nous bons petits soldats de la consommation, marionnettes marchant au doigt et à l'oeil, le doigt sur la couture d'un jeans Diesel. Et post musicam, animal triste.

Guy Degeorges  : C’est cet aspect qui est douteux, jusqu'à toucher au procédé. Je cite la feuille de salle (complaisante comme toutes les feuilles de salle) "Le DJ enchaine les rengaines des quinze dernière années qui soudain se répandent en effluves de souvenirs et picotent au coin du cœur" Autrement dit, l'effet "radio nostalgie"?

Pascal Bély : Il fallait ce procédé pour travailler la posture du spectateur. Qui n’a pas dansé sur ces tubes ? Qui n’a pas désiré en écoutant ces ritournelles ? Oui, cela picotait mais au-delà de cette sensation, il y a avait cette question : « que fais-tu là dans cette salle de spectacle ? ». C’est à partir de ce processus, que les spectateurs ont commencés à s’engueler dans la salle. « Mais ce n’est pas de la danse » me lance une femme furieuse ! Et moi, de lui répondre : « mais madame, la danse ce n’est pas que du mouvement ». Je me souviens encore de cette réponse ! Mais où étais-je allé chercher ça ?!

Jérôme Delatour : Evidemment, la musique n'est pas en cause. Ni John Lennon ni Céline Dion, dont le crime essentiel serait la mièvrerie ou le bon sentiment (et la compatibilité totale avec la société mercantile), ne sont des dictateurs en puissance, mais celui qui exploite, organise, systémise, transforme leurs fleurs en pilules et en munitions. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? C'est alors seulement qu'on le remarque, tapi dans la fosse d'orchestre. Une espèce d'Ubu de l'ombre qui passe les disques. Nous ne tenons qu'à un disque. Le DJ est un dieu, "Killing me softly with his song". Dieu est un DJ. A ce point de sa démonstration, Jérôme Bel lâche un peu les danseurs et se met à jouer insidieusement avec les nerfs du public.

Guy Degeorges  : CA faisait un bout de temps qu'il jouait avec les nerfs...dépuis le début.

Jérôme Delatour : Oui, c'est bien de nous dont il s'agit dans cette pièce, au cas où nous ne voudrions pas l'avoir remarqué. Dès le début, histoire de nous conditionner, il nous avait plongés dans le noir en nous distillant des chansons entraînantes ou niaises. Soudain, lumière rouge et Piaf. Puis retour au noir complet avec "The Sounds of Silence" ("Hello, darkness my old friend...").

Guy Degeorges  : Avoue que les ficelles sont un peu grosses, et les jeux de mots faciles! "let the sun-shine": et la lumière monte, "Yellow Submarine": les danseurs disparaissent dans les cintres sous une lumière jaune, tout à l'avenant. On serait plus sévère en écoutant ça sur une scène de café-théâtre. Mais une fois de plus, on se situe hors tout jugement esthétique possible, hors de l'esthétique.   

Pascal Bély : Oui, on est hors de l’esthétique. C’est au niveau du processus que l’on peut lire cette pièce, sinon c’est l’ennui assuré (quoique s’ennuyer est aussi un positionnement défensif). Bel ne vient chercher aucun savoir, mais intranquilise une posture, celle du spectateur, que bien des programmateurs ont confortablement installé dans un fauteuil moelleux. C’était la première fois que le public de Martigues vociférait de la sorte et ses cris étaient un acte politique. Je me souviens avoir fait le lien avec les protestations du public quand, en 2003 en Avignon, il n’avait pas eu ce qu’il voulait….

Jérôme Delatour : Et rebelote. Chanson. Lumière. Silence. Noir. Chanson. Silence. Lumière. Ces méthodes ne vous rappellent rien ? Le public est électrique, désarçonné. Il voudrait maîtriser la chose, mais il est pris au piège. Alors ça trépigne, ça crie des bêtises, ça pianote sur les portables, ça prend des photos... Le premier qui publie sur Facebook a un prix !

Guy Degeorges  : Je l'ai fait, je l'ai fait! J'ai posté 50 commentaire sur facebook en direct et qu'ai je gagné? Rien du tout. A part avoir faire rire Pascal peut-être. Et ça m'occupait les doigts. Cette tentative pour me situer hors du jeu et inventer une nouvelle réaction était vouée à l'échec. J'étais manipulé; Dans ce contexte, tout comportement inhabituel devient légitime, récupéré, partie intégrante du système spectaculaire. Sur le coup cela m'irrite; mon premier réflexe est de dire "on m'a déjà fait le coup" du non-spectacle. J'ai eu la même réaction face à certaines propositions performatives (cf. les gens d'Uterpan). Sans que cela n'explique les raisons de mon irritation car je peux réagir favorablement à la répétition d'autres procédés spectaculaires...  

Pascal Bély : En 2005, il n’y avait pas de Smartphone…

Guy Degeorges : En refléchissant à ta réaction, lorsque que tu étais un "jeune" spectateur, cela n'implique-t-il pas que cette proposition n'a d'intérêt que pour un public relativement vierge, habitué à des codes de représentation plus conventionnel? Pourrais tu revoir cette piece?

Pascal Bély : Encore aujourd’hui, en écrivant sur ce « show », l’émotion me submerge car c’est mon acte de naissance de « spect’acteur ». La revoir, serait de vivre un « dedans-dehors » jubilatoire.

Jérôme Delatour : Ca reprend les refrains en cœur, ça sa dandine un peu, ça agite son portable à défaut de briquet (jamais vu autant de portables allumés), histoire de ne pas perdre la face.
L'apprenti tortionnaire poursuit ses expérimentations. Que se passe-t-il si chacun emporte sa musique avec soi, casque aux oreilles ? Jérôme Bel a prévu le coup. Hé bien il ne se passe rien de plus.

Guy Degeorges  : Non il ne se passe jamais sur scène- c'est fait exprès, c'est le concept. Il se passe des choses dans le système salle-scène.

Jérôme Delatour : Les individus ne sont pas libérés, juste isolés, en prise directe avec des pensées préfabriquées, emmurés dans le paradis artificiel des égos hypertrophiés. "Should I stay or should I go? » "I'm bad". "Je ne suis pas un héro". "J'adore". "I'm gonna live forever". "I've got the power".
Entretemps, le DJ aura dansé lui aussi. Finalement, ce n'était qu'un sous-fifre. Mais alors, qui est le grand manipulateur ? Allons allons, nous nageons en pleine théorie du complot. Nous ne sommes manipulés que parce que nous le voulons bien. The Show must go on, sinon il nous faudrait regarder la réalité en face, avoir du courage, la volonté d'être et de faire quelque chose.
Et si on essayait ? Ne serait-il pas grand temps de nous secouer, plutôt que de bouger notre anatomie ? 

Guy Degeorges  : You've got to move it, move it? C’est le mot de la fin, façon dessin animé ?

Pascal Bély : « You’ve got to move it, move it ». En quittant le théâtre, je chante points serrés. « Mais pourquoi vas-tu au spectacle ? Pourquoi gueulaient-ils ? Je suis un spectateur. Je suis un spectateur ». Emancipé ? Le 22 mai 2005, je créais le Tadorne.

Jérôme Bel, sans rien savoir de mon histoire, fut le premier chorégraphe à mettre le lien du blog sur son site.

Guy Degeorges, Jérôme Delatour, Pascal Bély.

 

 

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10 juin 2010 4 10 /06 /juin /2010 21:18

Dans le climat délétère d’une région PACA boursouflée de tourisme et de spéculations, la culture gît entre les événements forcés et une publicité racoleuse. Les subventions chutent pour les structures les plus libres et les plus innovantes. Les artistes créent dans leur coin et partagent avec leurs amis. Pour Meredith Monk le samedi soir du 5 juin, la salle de la Cartonnerie est pourtant pleine à la Friche la Belle de Mai. On vient voir la grande dame du chant libre, par ouïe dire et par fidélité.

Meredith-Monk-Girlchild-rev

 

Quand le public marseillais s’installe, Meredith Monk est déjà assise, sur un piédestal, au loin, au milieu de la scène, avec une perruque lisse, comme saupoudrée de blanc. Elle est assise sur elle-même, ouverte et renfermée. A partir du marche-pied recouvert d’un tissu blanc, un long et large drap s’étale jusqu’à nous et tourne lentement vers la sortie de scène. On peut déjà deviner que cela sera son unique parcours.
Quand Meredith Monk relèvera la tête et commencera ses premières incantations, légères, minimales et ultra-précises, je perdrai tout notion de spectateur. L’effet des éléments blancs dans la salle noire, la lenteur de son rite, ces appels sonores hypnotiques et la concentration de sa pratique suffiront à m’entraîner au-delà de mon siège et de mes possibilités de jugement. La recherche apaisée, profonde, comme répétée inlassablement. Meredith Monk fait le deuil de sa jeunesse et de sa vie d’artiste, en opérant des codes physiques et religieux très personnels. Parfois l’amérindienne juive sort de sa méditation et nous entraîne dans une rotation astrale avec un simple basculement de hanches. Je laisse peu à peu toutes mes idées derrière, cette matière accumulée, je me quitte avec elle. J’accepte mon passé et la cruauté de ce temps de vie. Dans le visage blafard et rayonnant du pierrot lunaire, tranché par ce sourire énigmatique, je m’abandonne à l’incompétence de la critique occidentale et me rends tout entier au monde sensible, percepteur des cycles et de ses rondes, mort constante, vies éternelles. Girlchild revisited est une pièce de jeunesse faite par l’un de ces artistes dont l’Europe a besoin. C’est ce que Marseille Objectif Danse et, à sa tête pensante, Josette Pisani, ont compris depuis le début, en se tenant à leur ligne et en invitant, à l’encontre des modes, les figures les plus ouvertes et les plus révolutionnaires de la danse contemporaine, ou pas. Lisa Nelson, Deborah Hay, Steve Paxton, Julyen Hamilton, Mark Tompkins, Antonija Livingstone… et il y a un mois Yvonne Rainer, l’une des fondatrices de la Judson Church de New York.


Comme Meredith Monk, Yvonne Rainer revisitait elle aussi une pièce. Plus ancienne, moins intime, plus politique : Le sacre du printemps d’Igor Stravinski, qui avait été présenté au théâtre des champs Elysées à Paris, en 1913 et interprété par Vaslav Nijinski, fut maudit et hué par le public. Imaginez la difficulté de faire du neuf avec ce morceau, archi-réactivé même par les stars et les pompiers. Qu’à cela ne tienne, Yvonne rue dans les brancards, nos danseurs en short et jogging dansent si bien mal, avec des boîtes de kleenex au pied, des mots et des références qui leur tombent sur la tête, un public préparé qui descend lui-même sur la scène siffle et insulte à tout va, que nous sommes abasourdis de tellement de fraîcheur, de grâce et de moquerie. Tous nos corps sont beaux et ridicules à la fois, nous sommes tous ces danseurs qui arpentons la vie sans le vouloir.

Il y a dans cette chorégraphie d’une femme âgée la résistance exemplaire à cette machine de mots et de concepts opérationnels mise en place par les oligarchies qui pensent nous faire oublier l’infraternité et l’inégalité dans laquelle on vit. Vive elles et appel à leur relève !

Sylvain Pack

http://sylvainpack.blogspot.com



RoS Indexical – Yvonne Rainer
Spiraling Down – Yvonne Rainer
Vendredi 7 et Samedi 8 mai 2010 / Marseille Objectif Danse

Girldchild revisited (2 pièces) – Meredith Monk
Samedi 5 Juin et Dimanche 6 Juin 2010 / Marseille Objectif Danse

Photo : Girlchild revisited © V. Sladon

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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 15:06

À Bruxelles, le Musée Magritte  propose une déambulation poétique où les mots du peintre gravés dans les murs en bois résonnent avec les toiles. À parcourir les étages dans tous les sens, le visiteur passe d’une époque à l’autre : en traversant les courants, il change aussi son regard et se met en mouvement. Au même moment, le KunstenFestivalDesArts  présente «Zero», chorégraphie écrite par Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy. Par le fruit du hasard, «Panique au moyen âge » de Magritte opère le lien.

panique.jpg

Ici les têtes disparaissent et les corps s’enchevêtrent sans aucune logique. Tandis qu’une partie saute par la fenêtre, l’autre se transforme. Entre radicalité du geste et lente métamorphose, Magritte peint le corps comme témoin d’un changement de civilisation où à la panique générale répond le long travail des processus de transformation.

Avec ce trio originaire de Francfort, la « panique » se prolonge sur scène. Jouissif ! Ici, on ne danse pas le « corps objet » (paresse de tant de chorégraphes "tendance" qui, faute d’un propos, créent de l’emballage) mais un corps sans mémoire, sans passé et sans avenir, où chaque mouvement est une naissance. Alors qu’un se jette au dehors du plateau en s’enfouissant dans des objets (ici des « enceintes »), deux autres s’enchevêtrent pour nous offrir une danse profondément picturale qui nous laisse le temps de la contempler.

Leurs corps sans mémoire finissent par ne reposer sur rien, se nourrissent du déséquilibre et du toucher. Il s’en dégage une grande liberté d’explorer tout ce que le corps peut produire d’articulations insensées! On pense à l’espace de l’internet qui automatise notre mémoire par l’activation des réseaux d’information pour nous "stocker" sur des disques durs, où le corps biologique se prolonge dans le virtuel (l’oreille Bluetooth, le doigt sur l’Iphone, ..). Leur danse transforme le lien avec les spectateurs jusqu’à nous inclure dans la naissance des mouvements comme si nous en étions des accoucheurs. Ils n’hésitent pas à nous regarder droit dans les yeux, à éteindre les lumières pour nous faire entendre le bruit des déplacements, à faire vibrer les gradins en amplifiant le son d’un corps tombé à terre.
À ces corps sans mémoire, ils répondent en créant la mémoire du spectateur, car tout se joue dans un « ici et maintenant » qui mobilise nos ressentis. Est-ce pour cette raison que nous ne les quittons jamais, que nous apprenons avec eux ce langage chorégraphique (à l’image d’un didacticiel créatif !), ce vocabulaire du prolongement qui nous guide de la ligne à la courbe?
« Zero » est une danse de l’acte créateur dont nous serions des porteurs de mémoires. C’est une œuvre aussi rare qu’un lien entre un peintre et trois chorégraphes.
« Zero » de Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy a été joué au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 8 au 12 mai 2010.

 

 

 

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25 avril 2010 7 25 /04 /avril /2010 10:09

duboc.jpg 

La chorégraphe Odile Duboc n’est plus. Une de ses œuvres, “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau" m'avait bouleversé en 2008. Je me souviens des lumières de Françoise Michel et de l’état « liquide » dans lequel je me trouvais alors…Inoubliable…Cette danse sensible et éclaireuse va me  manquer…

Rarement la rédaction d’un article ne m’a autant impressionné. Intimidé, j’écris à partir de ma confusion, sans trop savoir où j’évolue. “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau”, d’Odile Duboc, chorégraphie créée en 2005, est un spectacle pétri d’incertitudes car il interroge nos certitudes. Où va-t-on avec elle, avec eux? Ce titre est une musique qui trotte dans la tête, un air fragile et engagé qui, après une journée de travail épuisante, donne la force de dépasser sa fatigue pour se rendre au Pavillon Noir d’Aix en Provence.
J’y entre, je m’assois et je ne bouge plus. Je reste figé pendant une heure. À leur arrivée, ces dix danseurs sont loin ; je perçois à peine leur visage, mais leur corps s’impose. La scène rouge, légèrement pentue, est l’espace d’une course individuelle où les habits tombent puis changent telle une combinaison de couleurs d’un dessin animé. Ils stoppent. Le groupe, éclaté, fait fusionner les corps avec le sol comme une matière organique qui se mélange à la terre. Mon regard se fond avec eux. Je résiste pour comprendre la mécanique de ce fluide qui se répand. Je contrôle pour figer, pour découper. Il faut lâcher l’intellect sinon rien n’entrera.

C’est alors qu’ils s’avancent, deux par deux. L’un soutient l'autre qui finit par se liquéfier pour tomber à terre. Le mouvement se répète. Je glisse. Mon regard fuit, fixe, balaye, malaxe comme cette matière qu’Odile Duboc réinvente, telle une plasticienne. Une légèreté m’envahit. C’est magnifique comme un tableau de la renaissance; sublime quand ils cheminent hésitants, habités d’une force collective, échappés d’une scène de “May B” de Maguy Marin. Progressivement, avec peu de mouvements, Odile Duboc transforme le corps en œuvre d’art, aidée par les jeux de lumière emprunts de religiosité de Françoise Michel. Elle multiplie les petits espaces où les couples sont statues, où le groupe se sculpte pour se mettre en dynamique. L’immobilité devient alors un fluide corporel qui se propage au collectif. Magnifique. C’est ainsi que je change de territoire, où la scène est le liquide amniotique de mon imaginaire, où les hommes dansent comme des centaures, où l’animalité et l’humanité fusionnent et finissent par fluidifier mon regard alors que je voulais conceptualiser. Avec cette œuvre, les affects sont à distance et me permet d’interroger mon rapport au corps.
Le talent d’Odile Duboc est de nous plonger dans les valeurs collectives du groupe comme espace du corps signifiant. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le propos, mais cette interpellation est une cure de jouvence. Au cas où nous aurions oublié que le corps n’est pas une marchandise.
Même si cela coule de source.

 

Pascal Bély
www.festivalier.net

"Rien ne laisse présager de l'état de l'eau" d'Odile Duboc a été joué le 28 février 2008 au Pavillon Noir d'Aix en Provence.

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13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 22:08

steven-cohenchandelier10.jpg

Le chorégraphe sud-africain Steven Cohen est de retour en France. Il est l’invité pour deux soirées, du Centre Chorégraphique National de Montpellier. Depuis sa dernière création « Golgotha » vue lors du dernier festival d’Automne de Paris,  il est mon « pédé papillon ». Juif, homo, blanc, il porte ce soir des chaussures à très hauts talons et une robe « arc en ciel ». Ses grands cils illuminent son visage orné d’un maquillage fait d’étoiles filantes. Il nous offre une « performance » et deux films.

En levant la tête, on l’entend arriver. Il danse sur la voûte de verre qui relie les ailes du bâtiment. Nous devons presque nous coucher dans le hall d'entrée, yeux rivés vers le ciel. Il est notre danseur étoile. Sur la pointe des pieds, il regarde la ville, mais il est emmuré, encerclé par l’Agora, future « cité internationale de la danse ». Montpellier n’est pas Vienne, capitale où il provoqua ses habitants en 2007 alors qu’il nettoyait le sol avec une énorme brosse à dents et un diamant dans le cul (en mémoire aux juifs humiliés par les Viennois qui pendant la seconde guerre mondiale devaient lustrer  les trottoirs et les rues avec cet outil minuscule). À Montpellier, Steven n’ira pas au-delà du Centre. À croire qu’une fois arrivée en France, sa danse n’est plus politique. Il est au cœur d’une institution qui, ce soir, le maintient en ses murs. Au cas où, sur la place de la Comédie, il…(Au CCN, la politique est dans le petit livret distribué à l’entrée où l’on peut y lire cinq lettres adressées à Brice Hortefeux, ministre à l’époque de l’immigration et de l’identité nationale.)

Il danse sur ce « plafond de verre » qui sclérose tant la société française. Son corps colle, se relève, s’élance puis retombe. Mon « pédé papillon » a du plomb dans l’aile. Il peut toujours brûler son tutu, il n’est guère plus allégé, tout au plus, son sexe se transforme-t-il en lance-flamme qu’il agite avec l’énergie de son corps. Quitte à se regarder le nombril, autant descendre plus bas. La magie n’opère pas. Le discours se réduit à d’amusants mouvements qu’un jet d’eau dirigé depuis une fenêtre, anéantit. Mes voisines adolescentes rient, gênées. Je ne leur demande même pas de se taire. Et si Steven Cohen nous renvoyait l’image d’une société française emmurée dont l’endurance n’irait pas plus loin qu’une éjaculation contenue ?

Nous sommes ensuite invités à rejoindre le studio Bagouet pour la diffusion des deux films : le premier sur sa performance à Vienne, le second sur la femme de ménage de ses parents (et qui l’a en partie élevé) où il lui offre un strip-tease pour son dernier jour de travail. Elle a plus de quatre-vingt-cinq ans (voir un extrait dans la vidéo d'Arte).

Entre ces deux écrins militants, nous avons droit à un échange convenu à partir d’explications qui n’en finissent plus. Steven Cohen semble s’ennuyer. On aimerait ne plus entendre ses mots, juste le regarder, s’asseoir en cercle autour de lui, fermer les yeux. Pour que sa danse du déséquilibre et de la provocation, nous redonne le goût de la poésie qui gratte, celle justement qui  pousserait les murs de nos cloisons.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Steven Cohen au Centre Chorégraphique National de Montpellier dans le cadre de « Domaines » ; les 7 et 8 avril 2010.

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1 avril 2010 4 01 /04 /avril /2010 07:17

A l’heure où les journalistes et spécialistes s’interrogent sur le devenir de la danse contemporaine française, il existe des chorégraphes qui poursuivent leur recherche, travaillent l’art du mouvement dansé et donnent à ressentir la substance de cet art fragile. Michel Kelemenis fait partie de ceux qui ne sacrifient pas la danse au profit d’un concept à l’image de cette répétition générale d' Aléa, Viiiiite et Disgrâce, trois œuvres présentées dans le studio de la compagnie basé à Marseille.

C'est avec un regard électrisé que je redessine les contours de ces trois chorégraphies. Je garde en mémoire des courbes, des gestes, les trajectoires, les corps magnifiques et leurs discussions. J'ai conversé avec ces interprètes « promoteurs », qui éveillent la part d’humanité de la danse contemporaine. Je m'amuse ainsi à changer l’ordre d’apparition des trois oeuvres. Finir avec Viiiiite, car elle joue avec notre regard, avec l'idée du geste évanescent, comme un effacement que l'on ne peut retenir. Comme un rêve.

Puis poursuivre avec Aléa. La tension de ce septuor est palpable immédiatement. Les diagonales, les trajectoires, les mouvements d'une dureté certaine, nous plongent dans un tourbillon jusqu'à nous faire perdre le souffle. Le mouvement évolue jusqu'à sa plus simple expression et nous d'applaudir la performance des danseurs.

Disgrace5_Vig5-2.jpg

Disgrâce aurait ouvert ce programme. Stimulant nos codes de représentations, nos mythes et nos histoires, cette création pourrait être une des nombreuses définitions de la danse et nous rappelle de quoi nous sommes nourris. Prenant pour appui sur la musique de Tchaichovsky, "Le Lac des cygnes",  nos cinq danseurs s'offrent à nous. De la sculpture grecque à la vision machiste du monde actuel, l'écriture chorégraphique nous accompagne dans notre cheminement de la représentation sur notre condition. Naviguant entre poésie, réalité et onirisme, Michel Kelemenis signe avec Disgrâce un pamphlet sur l'amour de la danse et du corps. Corps « identité » (la virilité qui écrase l'autre), corps « objet » (la légère trace de rouge à lèvres sur les bouches des danseurs n'est pas sans évoquer les geishas), corps « instrumentalisés » (les bras levés rappellent la jeunesse aryenne) puis corps « fragiles » (fabuleuse mort du cygne agonisant sous un projecteur, cruelle réalité des faits divers de notre époque).

La danse de Michel Kelemenis vit à son rythme et nous entraîne dans un devenir en mouvement. Laissant au geste le temps de faire son œuvre, ses créations collent au corps et nous donnent un horizon ouvert. Pour se comprendre ; nous entendre.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 

 

Aléa, Viiiiite et Disgrâce - répétition générale au Studio - ont été donnés le mercredi 17 mars 2010.

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 15:22

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C’est un spectacle unique, au croisement de tant d’influences (Roméo Castellucci, Wajdi Mouawad, Pipo Delbono, Bruce Gladwin) qu’il dessine la fresque de l’étonnant spectateur qui, après tant de voyages et de migrations depuis 2005 (date de création de ce blog), se pose aux Subsistances de Lyon,  pour accueillir. Je ne connais pas Angela Laurier. Ni la contorsion, discipline de cirque. Je découvre son frère, Dominique, schizophrène, qui l’accompagne sur scène. Je ressens peu à peu la présence d’un groupe de rock, jouant derrière un voile qui, par un éclairage subtil, se dévoile. Ici, tout n’est que dévoilement, car l’humain est fragile et a besoin de temps pour changer son regard. Cette scène, est une caverne, une grotte, où Angela et Dominique créent leur langage rupestre  et construisent des passages qu’éclaire mon émerveillement, où ma sidération ouvre ce que je m’apprêtais à fermer, par facilité et peur d’y entrer. « J’aimerais pouvoir rire » est une œuvre indispensable parce qu’elle est une rencontre. Fraternelle.

 

(Arte nous offre le spectacle en intégralité!)

Tout commence par une séquence « inquiétante » :  un voile blanc fait des vagues rondes par l’effet d’une soufflerie (serait-ce le souffle vital du théâtre ?). Angéla Laurier apparaît peu à peu à partir d’une lumière, celle de sa renaissance : au sommet de son art, son corps contorsionné, se révèle, matière humaine, qu’elle libère de la « performance » afin de pouvoir projeter son histoire familiale sur la scène. Du blanc, elle passe au noir, au plateau éclairé, au voile qui se fait toile de cinéma pour y visionner les films de famille. Et ça défile. Toute petite avec son tutu ; adolescente sur des barres parallèles ;  puis avec ses huit frères et sœurs, les voilà regroupés du plus petit au plus grand  et forment la pyramide. Ils se ressemblent tous. Dominique se détache. Pourquoi lui ? Pourquoi porte-t-il sur ses épaules l’équilibre de la famille, à croire qu’il protège aussi Angela de ne pas tomber de ses barres? Visage d’enfant et lunettes d’adultes. Jeune homme sur sa moto et regard noir pour aller au-delà de la focale. Pendant ce temps, le rock amplifie, électrise, par des hauts et des basses et finit pas nous faire entendre le déséquilibre familial.  

Arrive alors cet instant qui nous suspend : Dominique parle, face à la caméra. Il a 33 ans et se sait malade. Son visage, à peine éclairé, nous plonge dans un entre d’eux : entre fiction et réalité, entre vidéo et autoportrait à la Van Gogh. Le voile qui fait toile se fait membrane du corps familial et nous invite à entrer. Ça tangue déjà. Je me contorsionne sur mon fauteuil. Angela et Dominique apparaissent. Son corps porte les stigmates de l’institution psychiatrique. Assis tous deux sur une chaise empruntée à Pina Bausch, Angela se lève et la fait grincer. Alerte. L’art va les métamorphoser. Angela danse ; il regarde. Elle regarde ; il danse. Prodigieux mouvements où l’on combat la folie qui sépare, où l’on encercle pour que plus rien ne leur échappe. Angela donne tout, s’engage pour que la force de son art se love dans le corps de son frère. Elle va jusqu’à devenir son modèle pour qu’il la peigne à travers une toile de verre. La danse est un art pictural. Elle s’incruste dans la vidéo de son frère où la fumée de sa cigarette créée l’univers Gainsbourien: la danse fait son cinéma et Dominique est beau comme James Dean.

Par la force de l’art, nous nous laissons guider par le « fou » et nous finissons comme Angela : Dominique nous porte.

Pascal Bély – www.festivalier.net

"J'aimerais pouvoir rire" d'Angela Laurier a été joué aux Subsistances à Lyon du 26 au 28 mars 2010.

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 21:57

Le collectif Big Dance Theater fondé à New-York à profité d’une résidence à Lyon pour concevoir le projet fou d’une adaptation du magnifique «Cléo de 5 à 7», film culte d’Agnès Varda. Grand bien leur a pris d’oser ! Leur proposition est superbe, inventive, lumineuse et rend un bel hommage à la nouvelle vague.
La créativité d’Annie-B Parson, de Paul Lazar et du vidéaste Jeff Larson, mêle avec bonheur, théâtre, danse et vidéo et finit par nous entraîner dans un univers à « la nuit américaine ». Agnès est à la scène et on vogue en vagues, douces, jusqu'à Demy, auquel on en vient à penser inévitablement. Mélange de folies sages et de drogues toutes douces qui embrument suavement le filtre blanc des Demoiselles fumé en « loucedé » par le Monsieur Dame des Parapluies. Cherbourg, Rochefort et Paris se font plages de Bretagne en voyage de Lyon à New York et la boîte à chapeaux se fait pleine de malice. La boucle se boucle, Varda et Demy font 1 et 1 à 2 ; le 5 à 7 de Cléo se nimbe d’un aujourd’hui aux couleurs encore vives d’un hier.

Des panneaux virevoltants masquent à peine le ballet des parapluies et, de tapisseries sans âge, se font écrans de nos nuits blanches à interroger la vie, la mort et l’amour. On découvre/redécouvre la magie et la force de l’œuvre initiale qui, à travers son simple script, à pu éveiller des images qui ne trahissent en rien celles que l’on pourrait avoir en mémoire, voir même au contraire les ravivent et les portent au présent. Le format resserré (de deux heures on passe à une) semble témoigner d’un « air du temps » où la mort et l’amour n’ont plus de langueurs à prendre, où il n’y aurait qu’au regard des arbres et au frisson des feuilles que l’on s’arrêterait pour mesurer l’essentiel de l’instant à vivre pour, un peu, le prolonger.

Cléo, ici rock star surannée, nous offre le miroir de nos vanités et nous replonge dans la nécessité de nous entendre mortels pour « savoir » vivre le présent. Que ceux qui n’ont pas vu le(s) film(s) se rassurent : la troupe ne l’a (les a) pas vu non plus ! Un hier sans images peut faire un aujourd’hui autour de ce qui nous relie. La vie, la mort et l’amour sont transgénérationnels et l’on ne cesse, Mousses, Demoiselles, Monsieur ou Madame (…Dame), d’ouvrir des parapluies de crainte que ça nous tombe dessus. « Comme Toujours, Here I Stand » nous offre la force joyeuse d’une tuile, rose et/ou bleu, qui bruisse et frissonne au vent de l’envie d’aimer.

Et… comme hier…, comme toujours… là nous restons… humains dans nos fragiles…Big Danse Theatre s’habille de Varda pour nous le (re)dire… et c’est bon… !

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Comme Toujours, Here I Stand »par le Big Dance Theater a été joé les 5 et 6 mars 2010 aux Antipodes à Brest.

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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 17:51

CastorPollux_AlainMonot.jpg

La dernière  création de Cécilia Bengolea et François Chaignaud,  "[Castor & Pollux]", est une performance technique de haut vol d'autant plus qu'elle a  le mérite de mettre le spectateur dans une position peu commune. Que dire d’autre sans risquer de dévoiler ce qui fait la singularité de l’objet ? Comme pour « Pâquerette », lorsque l’on sait ce qui va se passer, que nous reste-t-il à découvrir, à ressentir ou à éprouver?

J’ai rencontré leur travail lors du festival des « Antipodes » à Brest, mais j’en savais déjà beaucoup sur leurs précédentes propositions. Sans les avoir vues, j’en connais les ressorts, ceux là même qui auraient, peut-être, pu m’ouvrir à une émotion personnelle.

Cela pose la question de l’information, au sens de « préparation » du spectateur à quelque chose « d’inhabituel ». En avons-nous besoin, serions-nous à ce point revêches et timorés ? Le risque serait-il si important de nous voir mécontents de ne pas avoir été prévenus des changements de « codages » ? Ce principe de précaution (est-ce de cela dont il s’agit ?) ne permet pas  de vivre l’expérience proposée et conduit à venir potentiellement en « voyeurs » assister à la « curiosité dont il faut avoir été ». Peut-être empêche-t-il également toute réaction du spectateur autre que l’applaudissement. Dans ce cas, le contenu (s’il y en a un) et de fait, l’artiste, ne se trouvent-ils pas réduits à des « boîtes à faux frissons » qu’il est de « bon ton » d’approcher pour être, qui sait, dans la « norme » du moment ?

Disons-le tout court, je suis admiratif de l’exercice, mais rien ne me touche ici. Ce spectacle m’a laissé « froid » et il me semble que le « buzz » (c’est cela qu’on dit ?) qui entoure ces deux concepteurs (c’est ainsi qu’ils sont nommés sur les feuilles de salles, ça donne à réfléchir sur la « porosité » concept/artistes) à contribué à cela, autant que le fait de ne rien avoir à découvrir à mon entrée dans la salle. 

Cela est dommageable compte tenu du travail indéniable qu’ont dû fournir les « danseurs » pour conduire leurs corps à cet endroit là. Il est probable que Cécilia Bengolea et François Chaignaud soient pris dans un système qui tue leur poésie. On les pose (ils se posent ?) en objets « en vogue », qui plus est très productifs. On les contraint (ils se contraignent), probablement alors, à lancer leurs béances spectaculairement en pâture. Mais les autorise-t-on (s’autorisent-ils) simplement  à offrir leurs fleurs en cadeau ? Ou les conduit-on  alors (se conduisent-ils)  à n’être que des « performistes» au « plaisir » des « hédonismes contemporains » ?

Mais alors, comment aller voir un spectacle dont on ne devrait rien savoir? Peut-être en acceptant, simplement, de connaître ce dont il traite globalement et à minima, puis en se risquant, quitte à ne pas apprécier et à le signifier. Libérons-nous des filins…. Quitte à tomber sur quelqu’un…  d’autre… Castor et Pollux n’en attendent peut-être pas moins, depuis le temps qu’ils errent dans la voie lactée, enfermés dans leur fausse gémellité.

Cécilia Bengolea et François Chaignaud possèdent le talent du corps. En cela, j’ai l’envie de leur faire la confiance d’être au rendez-vous d’un demain, sans chaînes, pour, dans la liberté de leurs regards, avancer leurs chimères et leur danse plus prés de l’émotion.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net


« [Castor & Pollux] »  de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué aux Antipodes de Brest du 2 au 6 mars 2010. À voir au Festival Montpellier Danse les 27 et 28 juin 2010.

Crédit photo: Alain Monot.

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