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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

22 décembre 2008 1 22 /12 /décembre /2008 11:03

Pour m'éloigner de la pesanteur des leitmotivs journalistiques de fin d'année, je prends mon envol pour le Théâtre d'Arles avec la Compagnie Chatha et leurs « Khaddem Hazem » (« hazem » signifiant bassin, jeu de mots pour traduire « ouvrier du bassin »). C'est mon dernier spectacle de l'année 2008, autant dire que la pression est assez forte, après une rentrée théâtrale assez molle.

Les lumières baissent et le son d'une radio tunisienne déverse son flot de paroles. Je revois les rues d'un petit village de Tunisie et des images oubliées refont surface : les champs, les hommes, les enfants, les femmes, la médina... Je voyage tout en étant assis. Puis, la lumière éclaire les corps. Ces fameux « Khaddem Hazem » sont ici. Ils s'ouvrent au son, comme l'on s'éveille à la lumière du jour. Tout doucement. Ils entreprennent leur travail, leur tâche journalière, s'échangent leurs identités en s'habillant des vêtements posés à même le sol. Les Khaddem Hazem sont eux, moi, vous, nous. Ils nous prennent par la main, instaurent une confiance, un dialogue. On se sent bercé par un ronronnement, par le déroulement d'une journée classique de travail. Une certaine lassitude s'installe. Cela m'effraie. Leurs roulements de bassin ne visent-ils pas à nous endormir pour laisser filer notre destin entre nos doigts ?

Comme un électrochoc,  la tendance se renverse et des petits Brésiliens jouent au foot avec les canettes en aluminium pour croire en leur futur, j'imagine Kaboul sous les bombes avec  l'envie de vivre, je regarde les corps dérivés des clandestins dans la mer salée s'échouant sur les rives de la méditerranée à la recherche d'un eldorado. Autant de destinées bousculées par un effet papillon ou provoqués par un soubresaut intime.  La force se puise au fond des êtres. Avec les Khaddem Hazem, il faut croire en son destin, le saisir à même le corps, le tordre, le faire sien, sans pour autant le subir.

La danse de Aïcha M'Barek et de Hafiz Dhaou est impressionniste où le corps, sans artifice, sans surenchère, prend toute sa place, sans concept pour vampiriser un propos. Certes, leur danse n'invente rien, mais elle est généreuse.

De la danse dansée. Ouf, il était temps.


Laurent Bourbousson- www.festivalier.net


♥♥♥♥ "Khaddem Hazem" par Aïcha M'Barek et Hafiz Dhaou a été joué le 16 décembre 2008 au Théâtre d'Arles.


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16 décembre 2008 2 16 /12 /décembre /2008 20:35

En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l'ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l'audition finale du 13 décembre à Paris.

Ils sont dix, lauréats des régions, à entrer en compétition pour cette troisième édition. Un jury de « débatteurs » est convoqué pour la circonstance. Une vidéo d'une minute présente les candidates avant chaque prestation, pour poser le contexte. C'est souvent drôle et osé. Le propos bouscule avec humour l'ordre établi, replace l'audition dans un environnement plus large. La vidéo ouvre, là où le concours réduit (ils ne seront que quatre à être choisis pour passer une année avec deux chorégraphes). Présent comme spectateur, je soutiens Mélodie Gonzales, l'une des candidates qui  nous avaient tant époustouflés à Marseille.

Au final, les dix propositions de cinq minutes chacune reflètent un paysage chorégraphique assez uniforme et consensuel (absence du hip-hop, du bûto, de la non-danse, un seul homme et des peaux toutes blanches) comme si la diversité des auditions régionales s'était uniformisée pour concourir à Paris. Ils sont quelques-uns à s'emparer sans complexe de tous les codes possibles (influence évidente du théâtre et des arts plastiques) pour jeter un regard parfois amusé, souvent distant ou désabusé sur la place du danseur, tandis que d'autres semblent fusionner avec le propos du chorégraphe. Masqué, affublé de tenues improbables, d'objets insensés et d'attitudes pour le moins désarticulées, le danseur perd souvent de sa superbe pour épouser les maux de notre société (la peur hante bien des propositions) où la technique dansée cède la place à un jeu où le corps habite plus qu'il ne se prolonge dans un mouvement. Il est fréquemment question d'identité, de sa perte, où la folie côtoie la dissonance, les désarticulations. Ainsi donc, cette jeunesse concours avec ses malaises, la fragilité de son statut (doit-on rappeler ici le sort des intermittents), occupe la scène avec une énergie fragile. On en voudrait presque à ce concours de ne pas former une compagnie ad' hoc pour l'ouvrir sur l'Europe et le monde !

Le jury a donc voté. Il se dégage un savant équilibre (peut-il en être autrement), là où j'aurais préféré un parti pris. Il aurait fallu inclure Mélodie Gonzales, l'une des rares à habiter un personnage avec une force étonnante. Vivant à  Londres, elle fait preuve d'une insouciance revigorante alors que notre pays semble s'enfoncer dans la dépression.

Saluons deux gagnantes : Mélanie Chartreux sur une chorégraphie de Pierre Rigal avec « Que serai-je, serai-je », solo éblouissant sur la vulnérabilité en ces temps de maîtrise et  Pauline Simon avec « Pays sage » de Laurent Falguieras, danse où l'embryon scénarise, pendant que le spectateur voit cette belle danseuse éclore.

« Talents Danse » est un projet intéressant qui mériterait de s'ouvrir au transdisciplinaire (n'est-il pas là le défi du danseur interprète dans les années qui viennent ?), de varier ses prix et ses récompenses en s'appuyant sur les régions pour créer des maillages plus fins (est-il possible de quitter ce lien vertical entre province et Paris ?). Il pourrait inclure des spectateurs à tous niveaux pour diversifier les regards dans une finalité démocratique, et élargir le cadre strict des cinq minutes réglementaires !

N'est-il pas là le projet pour notre jeunesse ?


Pascal Bély - www.festivalier.net


A lire le compte-rendu de l'audition régionale à Marseille: L’ADAMI conjuguerait-elle les talents ?

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15 décembre 2008 1 15 /12 /décembre /2008 14:00

A l'entrée de la salle, on préfère nous avertir : « certaines scènes seront jouées dans l'obscurité la plus totale ». Le principe de précaution s'immisce décidément partout. Aurions-nous peur, même du noir ? C'est fort possible.

Avec la chorégrapheLatifa Laâbissi, nous y voilà immergés dès les vingt premières minutes. « Histoire par celui qui la raconte » remonte le temps, celui où plongés dans l'obscurité des cavernes, nous éructions, nous chassions sans ménagement, à la recherche de la proie facile, mais résistante. Je ne vois rien ou plutôt je ressens tout. Le noir sculpte les corps, les cris les dessinent. Je me sens en totale sécurité, protégé du dehors où bruissent les consommateurs, vraies bêtes de la consommation, affolées par la période des fêtes.  

Soudain, la lumière s'allume. Sur la scène, trône deux micros, une enceinte, dans un décor de  studio d'enregistrement de musique contemporaine, caverne efficace pour étouffer le son. Pris par surprise,  le public rit comme si nous étions les proies d'une  "chasse"  au cœur d'un théâtre ! Une, puis deux bêtes de scène arrivent (surprenantes Jessica Batut et Latifa Laâbissi) : habillées de peaux d'animaux, en bottes blanches, l'une se la joue contemporaine avec son accent belge incompréhensible (très tendance dans le monde de la danse !), mélange de langage global et d'intonations locales. L'animal est en nous, le poil est de retour et les humeurs sociales avec ! Et lorsqu'un homme apparaît, le manège de nos comportements contemporains se met à danser, à se statufier, à s'écrire symboliquement sur les parois de nos cavernes imaginaires.

Latifa Laâbissi sculpte notre présent à partir d'un récit jubilatoire, entre poésie et théâtralité ! Telle une sociologue, elle redessine le corps social contemporain, mais à partir de notre imaginaire sur la préhistoire. Elle créée le chaos en fredonnant une Marseillaise déconstruite avec l'accent maghrébin, où s'immisce la chronique de nos peurs contemporaines. Notre société reproduirait-elle des cavernes pour y enfermer les « non civilisés » ? D'autres personnages s'invitent, toujours par surprise, mais avec respect et humilité. Elle introduit notre responsabilité collective envers « l'espèce » humaine tout en célébrant le retour d'une sauvagerie ritualisée. Je me sens totalement envahi par l'énergie profondément positive de ce spectacle comme immergé dans un humanisme intégral.

À sa manière, elle pose le changement de civilisation que la crise annonce. Des bêtes sont prêtes à se jeter sur nous. Arrêtons l'angélisme, rouvrons les cavernes et faisons du vacarme.

Pascal Bély - www.festivalier.net


A lire  la chronique de Guy Degeorges sur Un soir ou un Autre.



♥♥♥ " Histoire par celui qui la raconte" de Latifa laâbissi  a été joué le 13 décembre 2008 au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.


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9 décembre 2008 2 09 /12 /décembre /2008 00:02
L'ennui s'invite à la Comédie de Valence. Je lutte contre le sommeil.
Avec efficacité.
J'ai toute une panoplie de stratégies pour ne pas perdre la face : battements des orteils, nœuds dans les cheveux, mouvement du corps vers la rangée de devant. Pourtant, la danseuse et chorégraphe flamande Lisbeth Gruwez- Voetvolk sait y faire pour réveiller nos sens. L'ouïe est stimulée par deux rockers de part et d'autre  de la scène qui nous envoie leur dose de décibels à l'image d'une éjaculation musicale. La vue est cadrée par un éclairage centré, genre music-hall, pour chanteuse rock sur le déclin. Notre peau frisonne dès les premières minutes alors qu'elle danse de dos. On ne voit que lui, masse dansante, surface de divagation. Je revois la danseuse portugaise Sofia Fitas appréciée  l'an dernier à Marseille. Ce rapprochement jette le trouble et sème le doute.
Malgré tout, je m'égare agréablement dans les mouvements de son territoire qui se fait relief. Elle se sculpte, mais où va-t-elle ainsi ? Le temps la rattrape. C'est long. Comme dans un long striptease, elle finit par se montrer, mi-animale, mi-femme. Son corps se déploie comme il peut, se débat comme si la danseuse cherchait la chorégraphe. Elle semble s'abandonner et je me perds dans mes songes. Je me lasse vite d'une danse qui recycle les clichés où la femme hystérique trouve son salut dans un « I Wanna be loved by you » attachant et puéril.
Les deux rockers finissent par lui tourner le dos comme pour conjurer le mauvais sort que pourrait lui réserver le public. Mais sa bienveillance aura raison de ma somnolence. Lisbeth Gruwez- Voetvolk, égérie de Jan Fabre, fait dans le même consensus mou que son maître lors du dernier Festival d'Avignon.
Si l'époque est au recyclage, je refuse d'être un spectateur cloné.


Pascal Bély - www.festivalier.net

 
♥♥♥♥♥♥ "Birth of Prey" de Lisbeth Gruwez-Voetvolk a été joué le 5 décembre 2008 à la Comédie de Valence.


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5 décembre 2008 5 05 /12 /décembre /2008 07:54


C'était le 19 juillet 2008. Des fillettes Roms sont retrouvées mortes, noyées puis allongées sur le sable. Nous étions près d'une plage de Naples. Recouvertes d'une couverture de survie à côté de baigneurs occupés à leur bronzage, l'image a fait le tour du monde. Ce fut un scandaleux enchevêtrement des corps qui glaça le nôtre. Cet événement m'est brutalement revenu lors de « Small Boats », chorégraphie du Britannique Russell Maliphant, créée en 2007 et présentée au Théâtre des Salins de Martigues, un samedi orageux de novembre dernier.


Ils sont six danseurs sur scène, séparés du public par un écran vidéo, à l'image d'un suaire où est projeté un long traveling de carcasses de bateaux dont l'amoncellement finit par créer un mur, une frontière entre pays riches et pauvres. Alors que la caméra introspecte les entrailles de ces navires du désespoir, nos danseurs apparaissent en fond de scène, tels des mirages d'un cauchemar éveillé, cherchant leur territoire. Ils sont les réfugiés, corps chavirés, expulsés, entassés. À mesure qu'ils s'approchent de nous, le vivant fait irruption derrière la toile : on aurait presque envie de les toucher. L'image reprend ses droits et nous voilà propulsés dans le contexte religieux de l'Italie : les corps des danseurs sont filmés dévalant les marches des églises, ou portés à plusieurs, comme crucifiés. La symbolique religieuse se projette sur la réalité dansée des naufragés sans-papiers, où le mat du bateau remplace la croix du Christ.

Russel Maliphant met donc en résonance les corps religieux et les immigrés à la dérive. La danse fusionne avec une symbolique usée jusqu'à la corde, mais ne la transcende pas. À travers ce dispositif scénique sophistiqué, Maliphant esthétise le malheur tel un peintre de la Renaissance italienne,  à l'image du pouvoir actuel qui encourage la visée « humanitaire » faute de vision politique globale et coordonnée. Si la danse s'articule à une vidéo projetée verticalement, elle peine à lui donner de la profondeur en l'absence de propos politique. « Small boats » promeut une danse épurée, belle, qui joue avec les symboles, les bons sentiments, mais positionne le spectateur en dehors, ne l'engage plus. On applaudit le tableau et le désir de ce chorégraphe de nous parler de ce monde. Mais on quitte le théâtre un peu vide. En cale sèche.


Pascal Bély
www.festivalier.net


 ♥♥♥♥♥ « Small boats» de Russell Maliphant a été joué au Théâtre des Salins de Martigues le 29 novembre 2008.


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Russell Maliphant sur le Tadorne:


Crédit photo: Johan Persson.

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 15:43

En validant mon ticket, un homme me tend un livret, « Six mois, un lieu », à la place de l'habituel prospectus. Le lieu, c'est le Centre Chorégraphique National de Montpellier. Six mois, c'est la durée que se donne Xavier Le Roy (chorégraphe associé pendant deux ans) pour inviter des artistes et stopper momentanément leur « nomadisme ». Il s'agit de prendre le temps de « remettre en question cette vie liquide qui devient la norme de notre société contemporaine, nous poussant à toujours plus de mobilité, de flexibilité, à changer, à produire sans cesse de la nouveauté ». Les cinquante pages qui suivent sont un vrai régal : on y décrit le processus de création à la fois transversal et articulé aux logiques verticales (la durée, le lieu). Ce fascicule contient les germes d'un nouveau paradigme de la création en phase avec les enjeux de notre époque qui requièrent une créativité pour « une pratique d'une éthique d'Open Source où les idées circuleront, se transformeront, de nouvelles idées émergeront en de nombreux endroits (souvent inattendus) ». Dans ce cadre, la chorégraphe hongroise Eszter Salamon présente « Dance ≠ 1/driftworks », qu'elle interprète avec Christine De Smedt.

Le spectacle est terminé. Elles sont deux, de dos, en sueur, toutes de blanc vêtu. Elles se tournent, nous sourient, s'avancent vers nous. Nous pouvons relâcher, déplier nos jambes, étirer nos bras. De la scène, elles observent nos corps se mettre en mouvement après nous avoir immobilisés pendant plus de soixante minutes. « Dance ≠ 1/driftworks » est une appellation étonnante pour ce spectacle hybride qui plonge le spectateur dans un étrange système d'interactions où la danse ni conceptuelle, ni narrative, explore un nouveau territoire qui dynamise notre regard critique. Eszter Salamon, surprend le public attentif de Montpellier Danse quand elle ne sidère pas.

Le premier tableau est fulgurant, où le contraste se fait lumière, où deux corps allongés sur le sol noir, l'un au-dessus de l'autre, frétillent tel un spasme, un spermatozoïde. Le mouvement de l'une, se prolonge dans les vibrations de l'autre. Des pieds à la tête, le corps danse, couché. Cette danse de l'imperceptible, de l'infiniment petit dans le corps complexe est belle, envoûtante, englobante. Je ne bouge déjà plus malgré la fatigue. Elles sont habitées par le propos pour se mouvoir ainsi, pour donner au corps cette fluidité prête à se métamorphoser. D'une musique douce naît le chaos qui les fait se lever. Du couché au debout, je pense au travail du chorégraphe Pierre Rigal, avec "Erection". Je relie.

C'est alors qu'elles sautillent comme des femmes -robot où s'immiscent des mouvements issus du corps social (je revois « Publique » de Mathilde Monnier). On ne peut imaginer l'une sans l'autre, non qu'elle soit dépendante, mais dans une interdépendance : là où l'une se rigidifie, l'autre prolonge, élargit.

De l'intime au sociétal, « Dance ≠ 1/driftworks » se déploie dans un espace à trois dimensions où le corps est cette masse critique, où l'intrapsychique, l'émotionnel, le duo communiquant, le lien social forment un ensemble profondément relationnel dans cet espace aux frontières mouvantes et imprédictibles, au croisement du virtuel et du réel. Les corps s'articulent et se désarticulent en continu et font émerger des formes hybrides étonnantes où je me ressens propulsé  au carrefour du théâtre, de la danse, du chant, voire du cinéma !   Le corps chante par le cri et fait danser la voix. Entre animalité et humanité, le corps joué par Eszter Salamon est à la fois drôle, émouvant, empathique. La danse m'inclut enfin pour réveiller mon regard sur nos corps endormis par la modernité finissante. Surgit alors de mon imaginaire William Forsythe et sa création présentée lors du Festival Montpellier Danse l'été dernier (« Heterotopia »). Eszter Salamon met en mouvement mes images, mes ressentis, mes visions du corps dansant.

Je suis aussi ce spectateur de Montpellier Danse qui relie l'été et l'hiver. Le printemps s'annonce décidément très ouvert.

Plus que six mois, un lieu.


Pascal Bély
www.festivalier.net


Photo: © Herman Sorgeloos


♥♥♥ « Dance ≠ 1/driftworks »d'Eszter Salamon a été joué le 25 novembre 2008 dans le cadre de la saison Montpellier Danse et des projets "6M1L" du Centre Chorégraphique National de Montpellier. 


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Eszter Salamon sur le Tadorne:

Les femmes éclaireuses d’Eszter Salamon au KunstenFestivalDesArts.


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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 08:24

Iriez-vous dans un jury régional comme spectateur pour participer à la sélection de deux danseurs parmi onze audités dans le cadre d'un concours national, « Talents Danse », organisé par l'ADAMI? Quand la Compagnie Kelemenis, mandatée pour coordonner l'audition à Marseille, m'a contacté, je n'ai pas hésité une seconde : c'est oui ! Il y avait dans cet accord, un désir : évaluer mon regard de spectateur après trois années d'écriture sur le blog et ressentir le contexte de la danse contemporaine, à partir de cette modeste audition. Car « Talents danse » est un concours attrayant : il évalue la posture du danseur-interprète dans son lien avec le chorégraphe.

Le jury, composé de Mireille Guerre (Directrice du Théâtre des Bernardines), Deborah Larry, Santiago Congote (danseurs), Patrick Servius (Chorégraphe) et Nathalie Ducoin (administratrice de la Compagnie Kelemenis) créé rapidement un climat de confiance propice à des échanges argumentés, éloignés du jugement de valeurs (j'aime, je n'aime pas) mais toujours attentif à porter un regard sur le positionnement du danseur. Soucieux de faire un retour à l'issue de la prestation, nous mesurons les enjeux d'un tel concours pour des jeunes interprètes le plus souvent assis sur quelques certitudes, parfois enfermés, mais habités par une énergie créative qui ne tarde pas à nous contaminer. Mais surtout, la danse fédére notre jury, par le consensus pour laisser notre perception individuelle évoluer à mesure de la complexification de nos échanges. Oui, la danse est l'art du fragile, du tissage, de l'articulation entre le conscient et l'inconscient. Communiquer sur le mouvement me guide personnellement vers un langage partagé.

Les candidats envoyés par des écoles paraissent souvent isolés, pris dans un rapport quasi fusionnel avec leurs enseignants (qu'ils n'hésitent d'ailleurs pas à nommer « chorégraphe »). Transgressant la règle du concours (à savoir présenter un extrait d'une œuvre d'un chorégraphe), ils nous jouent leur création personnelle. L'interview révéle une quasi-ignorance des courants chorégraphiques actuels, ne fréquentant que trop rarement les théâtres. Le syndrome « Star Academy » semble inspirer certaines écoles qui transforment leur centre en château fort coupé du monde. C'est ainsi que j'ai parfois envie de les envoyer tous à Paris pour opérer un déconditionnement, les sortir de cette « folie douce ». Les festivals de danse seraient bien inspirés de se rapprocher de ces écoles pour créer quelques passerelles et ouvrir ce qui n'aurait jamais dû se verrouiller.

D'autres danseurs, s'il maîtrise une belle technique, semblent peu habités par la dimension complexe de l'art chorégraphique. L'œuvre s'impose, comme s'ils ne s'autorisaient pas de la prolonger. Le rapport est tout aussi vertical que celui cité précédemment. C'est inquiétant à l'heure où les jeunes danseurs flamands sont plus affranchis des formes verticales, plus émancipés, donc plus créatifs.

Mais nos deux lauréates sont là, alors qu'une troisième nous fait douter. Fragiles et éclatantes, habitées par leur projet de s'émanciper. Quand l'une s'affirme sur le terrain d'une recherche, l'autre déboule jusqu'à nous « éclabousser de son intégrité », tandis que la troisième est lumineuse dans sa quête d'ouvrir des portes pour créer des ponts, des articulations entre théâtre et danse.

À les voir, on se rêve chorégraphe pour qu'elles interprètent, là, notre désir de vouloir les "faire monter à la capitale".

Suite le 13 décembre 2008 à Paris à Micadanses.

Pascal Bély
www.festivalier.net


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17 octobre 2008 5 17 /10 /octobre /2008 11:17
Il y a des soirées qui font basculer, qui ouvrent l'espace là où tout semblait verrouillé. Il y a des acteurs culturels qui décident de se positionner autrement en temps de crise ,en proposant d'autres formes, non par facilité, mais pour éveiller notre créativité. Ce soir, à Marseille, dans le cadre des « Rencontres à l'échelle » organisée par les Bancs Publics, il s'est passé un événement à la marge, mais qui pourrait bousculer bien des équilibres précaires.

En entrant, le danseur et chorégraphe Haïm Adri est déjà sur scène. Habillé de blanc, il porte un masque d'une mélancolie contagieuse, entre figure mythologique et celle de nos angoisses contemporaines. Il danse sur sa couverture alors que résonnent derrière lui les sons et les images d'un monde en ébullition où l'on passe sans le voir, où l'on s'arrête pour évoquer questionnements et souffrances. Autant de paroles résonantes. Sa danse est son territoire ; sa couverture, le prolongement du corps, d'un au-delà. Entre lui et moi, il y a la distance : lui à terre, moi sur le banc. Le « je » est un « autre » : peut-il se jouer ? Puis-je rester de là où je suis ? Alors qu'il se lève pour faire danser sa couverture, je m'approche, je m'accroche. Voilà les marionnettes de l'enfance puis la danse des désirs d'un imaginaire possible. Les mouvements évoquent notre lien entre lui et nous, entre attraction et peur. Haïm Adri n'est plus très loin, car nous communiquons, loin d'une communion judéo-chrétienne (après tout, la référence au sans domicile fixe m'a effleuré dans un contexte anxiogène de crise). Il faut toute la force de la poésie pour entrer en résonance avec cette homme qui, dépossédé de ses habits blancs, endosse les nôtres, veste et pantalon trempés. Pendant que les gouttes tombent, je lâche. Essoré.
C'est alors qu'elle arrive, maladroite, timide, provocante. Haïm Adri enlève le masque pour l'introduire. Marie Mai Corbel, auteur et journaliste de la revue Mouvement, nous propose une « performance critique ». Elle parle tout bas, presque sur le registre de la confidence. Je ressens la tension monter dans la salle. Quelle est donc cette intrusion alors que nous n'avons pas eu le temps de nous extraire de l'œuvre ? Elle évoque notre positionnement de spectateur (que venons-nous chercher ici ?). En utilisant la métaphore, elle réduit la distance entre la profession critique (si décriée par ces temps où il s'agit de ne pas se « prendre la tête ») et nous. Elle met des mots sur le processus qui vient de se jouer précédemment avec Haïm Adri. Elle expose son regard, sort de sa revue, ose affronter un public, sur scène, sur le territoire de l'artiste. Elle réussit à s'immiscer dans cet interstice entre le danseur et nous, où elle relie le contexte géopolitique, l'artiste et la possible résonance du spectateur. La démonstration est magnifique, percutante, sidérante, suffisamment interpellante pour nous donner de la compétence. Cela ne dure que quinze minutes. Un temps volé au zapping. On aurait juste aimé réagir, loin d'un débat, pour poser un ressenti, quelque part. J'ai le blog, mais les autres ? Je les imagine écrire ici, sur Le Tadorne, et faire leur performance de blogueurs!

Artistes, critique et spectateurs ont trouvé ce soir l'espace qui nous manque tant. Celui où le territoire de l'imaginaire, la recherche d'un sens global, la résonance peuvent s'articuler, loin des cases où chacun finit par s'enfermer pour tirer la couverture à soi.
Le masque d'Haïm Adri n'a pas fini de nous hanter.

Pascal Bély

www.festivalier.net


Ps : à lire le regard de Guy Degeorges sur la création d'Haïm Adri.

♥♥♥ " Quelle est l'utilité d'une couverture" d'Haïm Adri, incluant la perfomance critique de Marie Mai Corbel. 

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15 octobre 2008 3 15 /10 /octobre /2008 11:03

En période chaotique, un festival  permet de se rapprocher pour échanger sur le sens, la forme, le propos d'une œuvre et échapper au « réductionnisme » ambiant, à la peur de l'autre (ne parle-t-on pas de crise de confiance des marchés ?). Réunis à Paris, nous sommes cinq à faire le choix de nous rendre au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d'Automne de Paris pour « Les assistantes » de la chorégraphe Jennifer Lacey et de la scénographe et plasticienne Nadia Lauro. Dans la salle, nous nous séparons. Parents d'un côté, frère et sœur trois rangs plus haut. Forme classique verticale...
Neuf femmes dansent, chantent, écrivent, coupent et découpent du papier, avec un bonnet sur la tête, habillées de robes à carreaux avec petit tablier sur le côté, devant ou derrière. C'est selon la nature de la tache. La scène est en aluminium, éclairée de projecteurs grossissants échappés d'un blog opératoire. À moins que l'on ne soit au sauna, lieu communautaire, interdit aux hommes, mais ouvert à tous les corps. Il est fort possible qu'elles émergent des entrailles, des tuyaux du Centre Georges Pompidou. Quatre-vingt-dix minutes où j'ai tout lâché d'une semaine de crise globale, où un modèle semble s'effondrer sous le poids de la spéculation et du mensonge. Ici, « Les assistantes » inventent la société postmoderne, vue du côté de la danse. C'est réjouissant, car jamais enfermant. Elles préviennent dès le départ : « vous pouvez partir mais ce n'est pas mieux ailleurs ». Bien joué !
A les voir déambuler ainsi sur la scène, on devine facilement leur improductivité. Lorsqu'elles s'inscrivent dans la société industrialisée, c'est sur le côté, pour découper du papier. On les croirait au musée du « travailler plus pour gagner plus ». Elles n'ont pas d'objectifs si ce n'est de créer le mouvement circulaire du lien et puiser dans leur unique ressource : leur créativité. Elles deviennent alors ces exploratrices dont nous aurions tant besoin aujourd'hui : elles expérimentent, se plantent, se rattrapent, s'isolent, jouent le collectif. Elles dansent et se mettent en mouvement dans un dedans dehors impressionnant. Là où nos sociétés rigidifient pour maîtriser, elles lâchent prise pour fluidifier. Avec elles, savoir n'est pas primordial. Elles s'essayent à des disciplines : nous sommes bien loin de la toute-puissance des experts. Leurs instruments de musique sont si petits qu'elles ne peuvent pas créer une symphonie, juste une mélodie cool pour calmer nos angoisses face à l'imprédictibilité de ce Nouveau Monde. La danse individuelle et collective permet la transition entre les séquences : elle est passerelle. Cela en est donc fini de l'appellation « danse contemporaine » !
Avec « Les assistantes », construire du lien social est une performance, qui nous englobe dans un rapport donnant - donnant, où le pouvoir s'inscrit dans le jeu. C'est l'utopie d'une société différente. Je me sens prêt à m'y inclure, avec elles comme éclaireuses.
A la sortie, notre groupe se forme pour se réformer. Des liens se créent, d'autres se renforcent. Nous goûtons, le temps d'une soirée, à notre famille recomposée.
Le délicieux goût des autres.


Pascal Bély
www.festivalier.net

Ps : à lire le magnifique article, si apaisant de « l'assistant » Guy Degeorges.

Photo par Laurent Philippe, avec l'aimable autorisation du festival d'automne à Paris

Voir aussi Vincent Jeannot-Photodanse


♥♥♥ " Les assistantes" de Jennifer Lacey et  Nadia Lauro a été joué le 10 octobre 2008 dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.

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22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 22:52
La résistance est là, au coin de la rue. La créativité aussi. Pendant que la Mairie UMP d'Aix en Provence organise « la fête des déplacements » pour nous faire croire qu'elle est à la pointe du développement durable, le cours Mirabeau est bloqué par un embouteillage monstre où paradent les 4×4 bling-bling. Alors que le haut du Cours fait la fête, le bas continue de circuler en bagnole comme si de rien n'était, à l'image d'une municipalité UMP qui ne voit pas plus loin que le bout de l'événementiel.
Soudain, l'imprévisible surgit. Le chorégraphe Bernard Menaut et sa troupe viennent perturber ce non-sens pour introduire du sens, de l'humain, de la poésie. Deux danseurs et trois musiciens endimanchés se déplacent dans une course folle avec des chaises de bureau et provoquent une bien jolie pagaille sur le Cours bouchonné. Des insultes fusent de la part de conducteurs pris à leur propre piège. À cinq, ils ridiculisent nos comportements individualistes. Les corps sont cassants, rigides, mécaniques. C'est totalement absurde, mais le miroir est saisissant : les deux voies de la rue sont à l'image des deux hémisphères de notre cerveau de conducteur!
Pendant que les musiciens (magnifiques) jouent avec leurs sons chaotiques, les deux danseurs paradent, se déplacent sur un bout de trottoir. Les corps sont tout à la fois pont-bascule, rue étroite, et boulevard. Dès que la voie est libre, l'absurde en profite pour s'y glisser. Ce n'est pas seulement drôle. C'est beau et notre imaginaire se régale d'autant plus que certains spectateurs sont mis à contribution. En les intégrant, le groupe fluidifie les liens, les mouvements se font plus harmonieux. À la mécanique des premiers gestes, surgissent la ronde, le train : l'énergie de nos déplacements se trouve dans ce lien solidaire et créatif. Bernard Menaut et sa troupe incarne alors les valeurs du développement durable.
La danse réussit là où l'événementiel échoue : nous faire voir autrement ce que nous réduisons pour ne pas changer.


Pascal Bély - www.festivalier.net


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