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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

28 août 2008 4 28 /08 /août /2008 09:46
« Tanz im August » à Berlin fête cette année ses vingt ans. Un anniversaire que Le Tadorne se devait de célébrer. Quatre journées passées dans la capitale, sept spectacles et au final, des propositions pour le moins ennuyeuses. De France, d'Afrique ou de l'Est, les chorégraphes ont souvent démissionné en cours de propos, quitte à laisser le public en rase campagne.
François Chaignaud et Cecilia Bengolea avec « Pâquerette » ont déçu (voir l'
article du 25 août). Ambitieux dans l'intention, ils ont vite abandonné, faute de vision, à s'extirper de la performance.
Le Congolais Faustin Linyekula (découvert au
Festival d'Avignon en 2006) a osé avec «Future ?», la danse du non-propos. Répondant à une commande du festival de créer une œuvre avec un danseur classique Berlinois, nous avons eu droit aux états d'âme des deux artistes qui ont manifestement échoué dans ce rapprochement. Les questions métaphysiques n'ont cessé de ponctuer les mouvements de l'un et de l'autre (« pour quoi danser » ?) sans qu'on ait un début de réponse. On reste médusé d'être ainsi convié dans ce vide abyssal où Faustin Linyekula n'a pas hésité à jouer la corde sensible de la culpabilisation d'un public blanc, laissant son colistier errer sur scène, ne sachant plus comment se positionner. Étrange cadeau d'anniversaire pour « Tanz im August » à qui Faustin Linyekula renvoie sa commande dans la figure.
Sur un tout autre registre, « Changes » de la compagnie BADco de Zagreb a radicalement engourdi une partie du public. À partir de la fable de Jean de la Fontaine, «La cigale et la fourmi», on nous promettait une réflexion sur la relation entre artistes et producteurs, la paresse et le travail à l'heure du « travailler plus pour gagner plus » qui se propage sur la scène politique européenne. Propos ambitieux, mais rapidement abandonné au profit d'une danse groupale incompréhensible, compliquée, maniérée. Six danseuses de noir vêtues puis éclairées de rouge arpentent la scène à partir de contritions, repliées sur elles-mêmes. Déshumanisées, automatisées, elles semblent répéter à l'infini les mêmes mouvements, processus accentué par un éclairage au sol qui mécanise le tout. Métaphore du travail d'aujourd'hui, je cherche encore la proposition artistique censée éclairer le propos, plutôt que cette illustration un peu poussive.
Les Slovaks, collectif sans chorégraphe, ont avec « opening night » abandonné également la scène malgré l'enthousiasme d'une partie du public berlinois. Ils sont cinq danseurs, et un violoniste (Simon Thieree, magnifique compositeur) à oser danser leur groupe. Les premières vingt minutes sont d'une virtuosité envoûtante, à l'image d'une danse de Sidi Larbi Cherkaoui. Ils occupent l'espace telle une toile où se tisse la relation groupale. On croirait une fratrie qui s'émanciperait de la fonction parentale. C'est beau, souvent drôle, profondément attachant. Mais la deuxième partie déçoit. Ayant épuisé leur dynamique, ils s'essoufflent et tombent dans la caricature du groupe d'hommes. Les jeux virils et les gestes potaches amusent un temps puis lassent. Le violoniste finit seul sur scène. Sans metteur en scène, le groupe manque d'une vision qui transcenderait leur fonctionnement. Les Slovaks sont à suivre. Par un chorégraphe?
La surprise est venue d'un solo époustouflant. Ivo Dimchev de Sofia, incarné en Lili Handel (« blood, poetry and music from the white whore's boudoir »), diva de cabaret (ou d'une boîte de nuit gay ?), vendue au plus offrant. Ivo Dimchev nous offre le meilleur d'un répertoire de cabaret, où le corps n'est pas seulement objet d'un jeu de transformation, mais une surface de nos réparations, de nos projections, à la frontière du biologique et du sociétal (fait-il référence au VIH ?). Cette rencontre ne dure qu'une heure, mais elle est intense : en jouant sur différents registres, Ivo Dimchev dessine le portrait d'une Lili fragile (notamment quand elle chante) et provocante quand elle danse avec ses fesses, où l'on aimerait s'y s'engouffrer pour y trouver du réconfort ! Ivo Dimchev interroge avec brio le "corps marchandise" qu'on offre aux enchères (les putes ne sont pas toutes à pourchasser sur le trottoir de nos villes...). Avec Lili, le corps est «danse», les mots sont « théâtre ». La performance jaillit dans cet interstice et l'on pense à
Marina Abramovic. Sidérant.
Je quitte Berlin, triste comme à la fin d'un amour d'été. Prêt à revenir, plus longtemps, pour m'immerger dans « Tanz im August » et arpenter de nouveau Berlin pour me redonner confiance dans les possibles de l'imaginaire.

Pascal Bély
www.festivalier.net


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Ivo Dimchev, "Lili Handel - blood, poetry and music from the white whore's boudoir".
♥♥♥♥♥♥
Cecilia Bengolea et François Chaignaud, "pâquerette".
♥♥
♥♥♥ Les Slovaks, "opening night"
♥♥♥♥♥ 
Faustin Linyekula, "Future?".
♥♥♥♥♥ BAGco, "Changes".

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25 août 2008 1 25 /08 /août /2008 13:16
Le festival « Tanz im August » à Berlin avait-il prévu un tel buzz en programmant Cecilia Bengolea et François Chaignaud avec « Pâquerette », danse pénétrante munie d'un godemichet ou d'un sex toy (à chacun d'apprécier) ? Toujours est-il que la presse berlinoise a largement relayé « l'événement », augmentant la frustration du public qui n'a pu trouver de place (deux représentations et une toute petite jauge à Tanzfabrik).
Est-ce un événement, une nouvelle approche du corps dansé, une révolution ? J'attends de ces deux explorateurs d'être bousculé et étonné. À l'issue des trente minutes, je quitte le lieu circonspect alors que des rires bien gras résonnent dans les allées. Je ne suis pas plus avancé : s'introduire un objet dans l'anus ne fait pas (encore) une danse.
Pourtant, le premier quart d'heure est prometteur. Habillés de longues robes aux motifs orientaux, nos deux danseurs, telles des statues religieuses, ne tardent pas à fissurer le ciment de nos représentations puritaines. Leurs corps s'étirent puis éructent : on les imagine pénétrés et toute l'intensité dramatique est là. La danse est à ce moment précis l'espace où nous projetons nos fantasmes, où notre imaginaire se nourrit de cette part de mystère (mais qu'il y a-t-il donc sous leurs robes ? Que suis-je finalement venu voir ?), où la relation entre les deux danseurs s'interpénètre.
Alors qu'ils quittent leurs habits, nous découvrons leur corps d'où surgit un sex toy transparent, telle une torche prête à s'enflammer. L'objet, dans l'anus, semble les bloquer dans une équation insoluble : comment danser le plaisir anal tout en prolongeant le mouvement ? La réponse ne vient pas malgré les efforts du couple à danser ce qui les unit.
Le corps n'est qu'une matière manipulée, où l'objet est incapable de s'immiscer ailleurs que dans un orifice. Alors qu'ils finissent pas se séparer de cet objet finalement très encombrant, ils tentent à nouveau la performance d'une danse « doigtée » qui n'apporte rien de plus.
Pour faire œuvre, « Pâquerette » devait transgresser certains codes de la danse. En introduisant le sex toy par des mouvements « classiques » de la danse contemporaine, François Chaignaud et Cecilia Bengolea ne change pas la forme (qui aurait pu véhiculer des valeurs différentes que la seule transgression).
L'anus introduit bien d'autres éléments (sociologiques, culturels, psychologiques) qu'un simple objet ne peut transcender.
La voie est donc ouverte pour créer le mouvement d'un dedans vers un dehors, pour qu'une muqueuse rendre poreuse les frontières. Alors que certains artistes s'intéressent à l'interaction homme - machine, rendons hommage à ces deux danseurs d'explorer les possibles de l'humain. 
Avec le temps, cette pâquerette mérite de s'introduire dans un joli bouquet.

Pascal Bély
www.festivalier.net


 ♥♥♥♥♥ « Pâquerette» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 24 août 2008 dans le cadre du Festival "Tanz im August" à Berlin.


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François Chaignaud sur le Tadorne:
"
Je ne suis pas un artiste"

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23 juillet 2008 3 23 /07 /juillet /2008 09:49
La danse au Festival d'Avignon serait-elle condamnée? Après le consensuel Jan Fabre, le spectaculaire « Sutra » de Sidi Larbi Cherkaoui, voici Emio Greco et son «(purgatorio) POPOPERA», œuvre dont je cherche encore l'articulation avec le projet des Directeurs du Festival d'Avignon : « solliciter l'intelligence du spectateur...respecter sa liberté de regard face aux spectacles...résister aux tentations de simplification qui nous entourent ». La danse n'aura donc pas cet honneur de me rendre moins réducteur.
Et pourtant. Ils sont beaux ces six danseurs dans ce purgatoire à se tenir groupé ainsi. Une superbe énergie, une danse impeccable dans l'ampleur des mouvements. Le rythme est entraînant et l'on basculerait presque sur sa chaise pour les accompagner vers le paradis. La musique de Michael Gordon ne démérite pas avec un son de guitare à la fois strident et mélodieux. On est tout autant attiré par cette belle mise en espace qui voit circuler en fond de scène une étrange dame brune puis blonde. L'image pourrait paraître idyllique, mais le purgatoire est aussi pavé de mauvaises intentions...
Les danseurs sont aussi guitaristes. Pour quoi ? Pour faire corps avec l'instrument ? Sauf que la guitare l'encercle. Elle danserait presque à sa place et l'ensemble patine sur ce sol si bien lustré. On quitte le purgatoire pour s'approcher tout doucement vers une danse «spectaculaire» dont le propos m'échappe. « POPOPERA » ne stimule en aucun cas mon intelligence : au mieux, elle l'endort par une esthétique irréprochable ; au pire, elle l'empêche de se déployer par une chorégraphie qui ne connaît que la diagonale sur scène et répète inlassablement les mêmes mouvements collectifs.
Le Festival d'Avignon a toujours positionné la danse comme un art porteur de sens, qui préfigure bien souvent l'évolution scénographique à venir dans le théâtre.
Cette année, elle ne précède plus.
Faute de nous éclairer, elle court après la mode.

Pascal Bély - www.festivalier.net

 
♥♥♥♥♥♥ "(purgatorio) POPOPERA" d'Emio Greco et Pieter C.Scholten a été joué le 20 juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon

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Emio Greco sur le Tadorne:
A Montpellier Danse, Emio Greco est infernal avec "Hell".

 


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21 juillet 2008 1 21 /07 /juillet /2008 14:20
À la sortie, Éric, spectateur, s'exclame : « il se passe enfin quelque chose au off ! ». Le débat s'engage sur le trottoir du Théâtre des Hivernales. Manifestement, le chorégraphe Christophe Haleb avec « Domestic Flight » remplit sa fonction, celle d'interpeller chacun d'entre nous sur sa posture, son identité. Ce soir, la distinction entre « off » et « in » éclate tant le travail de ce collectif est remarquable.
Ils sont cinq à déambuler sur cette scène chaotique, sorte de foutoir de nos représentations sur le « genre ». À peine arrivé, l'un des acteurs regarde le spectateur retardataire d'un air réprobateur. Il enlève son jeans, marche en caleçon avec ses talons aiguilles puis enfile une robe. En quelques minutes, il s'est transformé en Émeline, pressant délicatement quelques oranges. Le ton est donné : prière d'être à l'heure et de laisser à l'entrée ses clichés !
Comment s'y retrouver, en 2008, sur les codes qui définissent l'homme et la femme ? Les clivages et les cases ne résistent plus à la complexité des situations individuelles et collectives. Rien de tel qu'une conférence pour accompagner dans un premier temps le spectateur à y voir plus clair avec gros feutres de couleurs pour appuyer là où ça titille, immense tableau blanc, pour professeur d'un « genre » particulier, incarné par Arnaud Saury, acteur magnifique. A l'issue de cette explication magistrale, drôle, juste, convaincante, plus rien du « sexe bon », « pas bien », « acceptable », « pas acceptable », du «moins », au « plus », ne vous est étranger. Cette introduction déconstruit d'autant plus nos schémas, que la scène fait l'objet d'étranges mouvements humains : nos clichés circulent, notre animalité, nos fantômes, et nos peurs aussi.
Des mots au corps, il n'y a qu'une frontière poreuse que Christophe Haleb et sa troupe franchissent avec brio pour nous aider à sortir du clivage masculin - féminin et entrevoir le « genre » dans toute sa complexité, à partir d'un intérieur domestique où nous exprimons (le plus souvent à l'abri des regards), nos pratiques culturelles et sociales, celles qui transcendent les identités sexuelles. Les danseurs font alors corps avec le décor pour s'offrir différents espaces sociaux où le corps « traversé » peut communiquer. Ils jouent avec les gestes de la « mère » pour les réintroduire dans le quotidien ; ils zooment, telle une focale, sur un mouvement, une posture prise ici et là dans le champ social pour lui donner un sens plus large que leur seule acceptation féminine ou masculine. «Domestic Flight» s'attaque à notre société marketée qui manie les identités pour mieux les enfermer dans des codes publicitaires censés faire sens politiquement.
Quand Christophe Haleb joue avec le travestissement, il s'amuse de nous et je finis par comprendre que c'est notre regard qui travestit.
Quand il provoque un rapprochement des corps (touchante séance où trois hommes se massent), je comprends que ce n'est ni masculin, ni féminin : juste humain, tendre et beau alors que notre société transforme notre peau en carapace.
Quand il génère la confusion entre nudité et vêtements, c'est pour mieux nous interpeller sur la proximité de plus en forte entre sphères intime et publique (il n'y a qu'à voir les jeunes hommes et femmes arborer des sous-vêtements débordant du privé vers le sociétal).
Je pourrais expliquer encore et encore les richesses de ce spectacle atypique quitte à faire une conférence pour programmateurs culturels souvent frileux dès que l'on aborde le « genre » !
« Domestic flight » est un théâtre politique à l'articulation de l'intime et du sociétal (à l'image du "Faune(s)" d'Olivier Dubois présenté au « In »). C'est une scène où chacun peut se projeter pour porter dans l'espace public certaines questions qui ne trouvent toujours pas d'écho dans une société de plus en plus puritaine.
Avec Christophe Haleb, non seulement nous sommes un peu plus intelligents, mais nous progressons à nous voir moins clivés.
Et l'on finit par trouver que, sur le trottoir, nous ne sommes pas mal dans le genre.


Pascal Bély
www.festivalier.net


« Domestic Flight» de la Zouze, compagnie Chistophe Haleb est joué jusqu'au 26  juillet au Théâtre  des Hivernales d'Avignon.


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La Zouze sur le Tadorne: 
À Uzès Danse, principalement Christophe Haleb.

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18 juillet 2008 5 18 /07 /juillet /2008 10:45
Je suis au premier rang et j'ai le nez dans le décor d' « Another sleepy dusty delta day », dernière création du chorégraphe plasticien Jan Fabre. Des monticules de charbon sculptés par un circuit de trains miniatures sont disséminés sur scène. Du plafond pendent des oiseaux. L'ambiance est quelque peu mortifère et le contexte n'est pas propice pour ouvrir leurs cages. De jaune vêtu comme les volatiles enfermés, Ivana Jozic s'approche du micro pour lire une longue lettre qu'elle déplie délicatement. Le bruit du papier caresse mes oreilles comme un secret prêt à s'ouvrir. Elle nous prédit son prochain suicide, en haut d'un pont. Le texte est limpide, glacial. Le corps parle peu, mais la voix se met à chanter « Ode to Billie Joe » de Bobby Gentry. Cette chanson évoque un repas familial où la mère annonce le suicide de Billie Joe d'un pont. Elle entre en résonance avec la vie de Jan Fabre qui a perdu sa mère dans d'horribles souffrances. C'est ce saut dans le vide qu'Ivana Jozic danse, où le corps devrait se dissoudre dans la matière. Sauf que la chute se fait sur un trampoline, sans risque, pour un public conquit d'être guidé vers une mort qu'on effleure.

Jan Fabre a du mal à admettre que sauter d'un pont, cela fait mal et éclabousse. Pour éviter d'y aller, il fait diversion : la bouteille de bière qu'elle se met dans la culotte pour uriner comme un mec (on aurait pu imaginer autre chose que ce touche pipi ridicule), les allusions à des slogans publicitaires. D'autres scènes viendront ponctuer cette chorégraphie où cette petite fille s'amuse à jouer à l'obscène: le charbon est touché, mais elle se salit à peine. Où est donc la dissolution avec la matière ? « Another sleepy dusty delta day » me donne l'étrange sensation d'un tableau que l'on peint la tête ailleurs, où le modèle ne cesse de bouger joliment pour éviter que l'on remarque un bouton disgracieux.
Jan Fabre est donc pardonné de ces outrances du Festival 2005, année où il fit scandale avec sa programmation.
Il n'y a donc rien d'étonnant à applaudir cette belle danse : elle est de qualité. On pourrait néanmoins attendre une autre vision que ce saut qui ne tombe pas.
Désolé pour la chute, mais elle ne vient pas.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 ♥♥♥♥♥♥ «Another sleepy dusty delta day» de Jan Fabre a été joué le 16 juillet 2008 au Festival d'Avignon.


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Emmanuel Gat sur le Tadorne avec
 "
K 626"


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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 09:45
Sidi Larbi Cherkaoui provoque l'événement du Festival d'Avignon, si l'on en croit la longue file d'attente de spectateurs à la recherche d'un billet à l'entrée du Lycée Saint - Joseph. « Sutra » fait du bruit, au sens propre comme au sens figuré.
Entouré de seize Moines du Temple Shaolin (dont un enfant), la chorégraphie est spectaculaire, loin d'être apaisante. C'est le vacarme d'une rencontre qui ne va pas de soi, entre une danse proche des arts martiaux et celle de Cherkaoui emprunte de contritions, d'un maillage de mouvements recueillis ici et là lors de ses voyages à travers le monde. Si l'articulation entre l'orient et l'occident est l'un des enjeux majeurs pour notre planète, force est de constater que Sidi Larbi Cherkaoui a du mal à dépasser le stade des présentations et qu'il semble bien seul, avec son orchestre classique caché derrière le rideau. À l'issue de la représentation, ce lien me paraît improbable sauf à concevoir que le terrain du religieux soit l'unique espace possible d'une rencontre pourtant déterminante.
   
 
Depuis « Origine », pièce vue au printemps dernier, la vision du monde de Sidi Larbi Cherkaoui n'a pas beaucoup bougé. Aux cases d'un immeuble imaginaire, se substituent des caisses en bois, dont une en fer pour « Larbi », comme aime à l'appeler l'enfant. Nous ne sommes effectivement pas tous fait de la même matière, mais de là à imaginer un tel déséquilibre, c'est un choc de civilisation. La planète est émiettée, éclatée : entre populations à la dérive, génocide, amputation des corps, me vient une image qui ne me quitte plus: l'agencement des caisses forme le Mémorial de l'Holocauste de Berlin dans lequel les touristes s'amusent parfois à cache-cache comme pour mieux conjurer l'angoisse. Ici, celle de Cherkaoui est palpable, tandis que les Moines l'expulsent avec leur danse aux allures guerrières, où la voix prolonge le mouvement.
Du mémorial, le chorégraphe Belge tente de multiples constructions dont certaines ne nous sont pas étrangères (le mur qui s'ouvre, le temple qui s'érige) mais l'ensemble est toujours précaire, fragile à l'image des caisses qui s'écroulent tel un jeu de dominos, où le monde ne tiendrait qu'à un fil. Je ne perçois pas comment nous allons vivre ensemble dans la globalisation, équilibrer spiritualité et démocratie, bois et fer. Même le changement d'habit (les moines arborent à un moment nos costumes «traditionnels») n'est qu'une parade. Je m'accroche à cette utopie d'un monde où nous serions unis dans la diversité, portée comme un étendard par Sidi Larbi Cherkaoui, mais je le ressens fatigué, à bout de son propos. Le tableau final, groupal, de toute beauté, voit notre homme se fondre tandis que la lumière éclaire sur le côté la scène et les caisses en modèle réduit. Revenu à une construction classique, la vision est statique : bloc contre bloc.
On se lève alors pour applaudir, comme un geste de survie. Mais une fois sorti, dans la rue balayée par un mistral glacial, je rêve d'un autre monde, plus féminin et moins guerrier. Le Festival d'Avignon a décidément bien du mal à nous le proposer.
 
Pascal Bély
www.festivalier.net

© Christophe Raynaud de Lage.
 

  « Sutra» de Sidi Larbi Cherkaoui a été joué le 13 juillet 2008 au Festival d'Avignon.


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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 09:37
Comme des loups, une partie du public manifeste. Noyé sous des applaudissements, «Faune(s)» d'Olivier Dubois provoque un bien joli vacarme. Pour en atténuer la portée, ll nous regarde les points serrés. L'homme est manifestement touché, mais la bête n'est pas à terre. Il sait qu'il a visé juste.
Quatre tableaux majestueux pour se réapproprier « L'après-midi d'un faune » chorégraphié par Vaslav Nijinski. Cela restera comme l'un des moments les plus intenses du Festival. Une heure jubilatoire où Olivier Dubois a réveillé nos sens. Du plaisir à fleur de peau, une métamorphose du danseur, mais aussi du spectateur. Ce n'est pas tant d'aller chercher le mouvement que de ressentir la peau, interface entre le biologique et le sociétal. Cela ne peut laisser indifférent : la peau provoque toujours une réaction épidermique.
Pour nous accompagner, Olivier Dubois s'est associé avec un cinéaste qui sait nous parler d'amour en société. Quinze minutes d'un film majestueux, en noir et blanc, où l'on voit Olivier Dubois pister derrière une grille quatre beaux mecs en train de jouer au tennis. Il transpire de désir et d'amour. Nous aussi. La caméra de Christophe Honoré fait une nouvelle fois des merveilles lorsqu'il retranscrit nos humeurs amoureuses, avec Paris comme grande toile de Bakst. Le faune finit par chanter « Biche, oh ma biche » en humant le t-shirt encore humide de sa proie dans une chambre d'hôtel. « L'après-midi d'un faune » n'est pas seulement réactualisé : il est ancré dans notre époque, celle du triomphe de la solitude, où les sens n'ont peut-être jamais été autant sollicités.
La chorégraphe Dominique Brun entre alors en scène et c'est un Olivier Dubois tacheté de peaux de vache (fruit de mon imagination!) qui interprète la chorégraphie de Vaslav Nijinski. Le public rit comme si le film de Christophe Honoré trouvait son prolongement : nos tennismen semblent encore jouer. La grâce d'Olivier Dubois est troublante : ne serions-nous pas à cet instant précis des rapaces prêts à lui faire la peau ? De chaque côté, le bruit monte des gradins. Alors, pour calmer le jeu...
C'est habillé en chasseur bavarois qu'Olivier Dubois fait trembler les murs du Cloître des Celestins en hurlant sa rage, son cri d'amour. Je me penche vers lui comme le ferait un parent vers son enfant apeuré. Moment d'une profonde sincérité où l'on accueillerait bien cet adulte dans nos bras pour le rassurer. Quand la danse est à ce point charnelle, tripale, viscérale, il n'y a aucun doute : Olivier Dubois est l'un de nos plus grands interprètes.
La toile de Bakst s'effondre. La scène finale voit notre bel homme quasiment disparaître sous une tonne de fourrures. Du poil pour signifier la bête humaine qui sommeille en nous. Quatre porte-manteaux tiennent en équilibre (précaire), enveloppés de longues capes en fourrure. Comme un taxidermiste, Olivier Dubois statufie nos quatre joueurs de tennis, et met en jeu l'animal dans l'humain. Nous voilà enfin libérés d'une société qui a tout fait pour chasser l'aspect naturel de l'humain, afin de tenir droit sur nos pattes et éventuellement dans nos bottes. Avec «Faune(s)», Olivier Dubois définit l'humanisme d'aujourd'hui : celui qui relie le corps et l'esprit, l'animal et le sociétal.


En quittant le Cloître, une femme me sourit sur le parvis, sans rien me dire. Ma peau frissonne. A une autre, je lance: "vous avez détesté?". Sa réponse est
ici.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.

« Faune(s)» d'Olivier Dubois, de Dominique Brun, Sophie Perez, Xavier Boussiron et Christophe Honoré a été joué le 7 juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon.


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A lire
l'interview de Stéphanie Pichon d'Olivier Dubois en direct de Berlin où il évoque les réactions de la presse et du public en Avignon.
.
Olivier Dubois sur le Tadorne: "
Pour tout l'or du monde"

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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:45
Raimund Hoghe est l'artiste « associé » du Festival Montpellier Danse. Invité quasiment chaque année, le public lui réserve un accueil tout à la fois chaleureux et distant. 2008 ne déroge pas à la règle avec deux propositions, aux antipodes l'une de l'autre.
« Boléro Variations » restera l'un des grands moments du Festival. Pendant plus de deux heures, nous sommes guidés pour changer notre système de représentation sur l'une des musiques les plus mythiques du répertoire, le « Boléro » de Ravel avec pour certains, la danse de Béjart en embuscade. Car, que n'ais-je entendu à l'entracte de la part d'un public âgé, souvent nostalgique! « Ce n'est pas de la danse », « enfermons-le ». J'ai donc pris le temps pour expliquer, convaincre, calmer les impatiences de mes voisines remontées à bloc. Car, le langage de Raimund Hoghe paraît si loin des clichés que véhicule encore la danse : celle du mouvement à tout prix, à toute vitesse.
Ici, « Le Boléro » est un album de famille intergénérationnel, une mappemonde qu'Hoghe fait tourner pour l'arrêter avec ses cinq danseurs (tous exceptionnels) avant de repartir. Cette musique lancinante est ici un espace bien plus large qu'il tricote avec d'autres morceaux de sa discothèque personnelle. Le « Boléro » de Raimund Hoghe impressionne par son travail sur l'intervalle, toujours habité, jamais saturé, mais en mouvement continu. À aucun moment, les danseurs ne sont isolés : quand bien même je n'observerais que l'un d'entre eux, je ressens tous les autres. Du groupe à l'individu, ce "Boléro"est l'hymne de l'unisson ! Chaque pas, chaque geste n'est plus une mécanique imperturbable, mais une dynamique où s'étire le sens. Ce n'est plus le temps de l'énergie, mais l'énergie du temps. Comment ne pas être époustouflé par la posture d'écoute dans laquelle nous sommes!
L'apogée de ce « Boléro » survient alors que Lorenzo De Brabandere pose sur l'épaule de Raimund Hoghe un plâtre, comme la caresse de la mère avec son bébé, un retour aux sources du geste dansé. Un autre cérémonial suit, où chacun déposera un tas de cendres coloré, métaphore des fours crématoires, où les corps prostrés reprennent vie. Hymne à la renaissance, à la croyance d'un renouveau même dans l'horreur. Alors qu'une femme se lève de sa chaise pour donner à chacun des vêtements propres (autre geste maternel...sublime), le « Boléro » touche à sa fin. Séparement, chacun gravite autour de lui-même pour délimiter l'espace du corps dansé.
Ils me font tourner la tête. Mon manège à moi, c'est eux.


On aurait tant aimé être ainsi caressé avec «L'après-midi», un solo pour Emmanuel Eggermont, présenté quelques jours plus tard en clôture du festival. Peine perdue, le public n'est pas convié. Le face à face final en dit long sur cette relation quasi fusionnelle entre un chorégraphe et son danseur «fétiche». En écho au corps bossu de Hoghe, répond le corps parfait, statufié, verticalisé d'Eggermont. Il est cet « autre ». Et même si la statue vacille, la distance entre lui et nous est troublante, poussant jusqu'à son paroxysme le culte de la beauté plastique. À deux, ils nous convient à explorer leur territoire tout en veillant bien de le verouiller. J'observe de loin l'intimité de leur relation dont on suppose l'intensité.
Un fait semble certain : la soirée sera sans eux. Le Festival d'Avignon m'attend. Raimund Hoghe n'est pas du voyage cette année.
 
Pascal Bély
www.festivalier.net

« Boléro Variations» de Raimund Hoghe a été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre de Montpellier Danse.
♥♥♥♥♥♥ "L'après-midi" de Raimund Hoghe a été joué le 5 juillet 2008  dans le cadre du Festival Montpellier Danse



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Raimund Hoghe sur le Tadorne:
"
36 avenue Georges Mendel"
« Meinwärts »




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6 juillet 2008 7 06 /07 /juillet /2008 07:47
La scène du Théâtre de Gramond est une caisse sombre. Clostrophobe s'abstenir. Elles arrivent, toute de noir dévêtues, en maillot de bain et talons aiguilles pour l'une, bottes pour l'autre. D'emblée, je ressens que tout cela va mal finir. Elles gémissent en retenant leurs larmes avec un gros mouchoir noir. Leur relation est à pleurer : méchantes et sans égard, elles jouent à celle qui pousse l'autre le plus fort. Mathilde Monnier et La Ribot en font des tonnes, l'orage finit par gronder et un bruit assourdissant envahit la salle. On croirait le début de la fin du monde quand elles se jettent sur le sol, maculé de rideaux noirs (de théâtre ?). Je les attendais pour me marrer un peu. Au final, je quitte leur univers quelque peu dépité. Elles ont un sacré problème qui n'est pas le mien. Ou du moins pas encore...
Car si « Gustavia » manque de fluidité dans la mise en scène et paraît non abouti, quelques scènes marquent les esprits peu préparés à voir Mathilde Monnier sur ce registre angoissé, d'autant plus qu'elle nous avait laissé en 2006 avec l'univers déjanté de Philippe Katerine et en 2007 à l'unisson avec « Tempo 76 ». Et même s'il était question à l'époque de notre monde vacillant, Monnier a semble-t-il pris un gros coup sur la tête. Comme en témoigne les dix minutes où La Ribot, une planche à la main (vestige de la croix du Christ ?) tourne autour d'elle-même comme une hélice d'hélicoptère, pour lui en mettre plein la gueule. Violence d'une époque qui la voit se relever et évacuer à deux cette planche maudite. Alors que la Ribot s'emmêle les pinceaux à vouloir nous parler de la mort (l'acteur aurait-il ainsi perdu de sa superbe ?), elles s'essaient à une articulation avec l'art contemporain qui fonctionne à vide, seau sur la tête. La forme disqualifie le sens dans une société toujours plus friande de communication publique (il suffit pour s'en convaincre d'observer les stratégies marketing de nos institutions culturelles !).
Mathilde ne va pas fort. Et nous n'avons encore rien vu. La dernière scène, où sur deux tabourets, elles nous offrent une logorrhée sur la femme, avec gestes appuyés pour signifier le degré zéro de la pensée : nous en serions donc là de nos archétypes usées et rabâchées. L'angoisse est palpable. Je ne ris qu'à moitié. « Gustavia », nom de femme, pour faux nom de scène, interpelle sur les nouvelles formes de l'art et leurs représentations. À l'heure de la Sarkozy décadente, elle pointe là où cela fait mal. C'est un acte courageux de la part du Centre Chorégraphique National de Montpellier, dirigé par Mathilde Monnier, que de positionner la danse sur de tels questionnements.
« Gustavia » sonne peut-être un virage dans la carrière de ces chorégraphes aux propositions atypiques. Il n'en reste pas moins que l'on ne peut pas laisser Gustavia seule, avec sa planche et ses tabourets.
La prochaine fois, nous pourrions nous les recevoir sur la tête.

Pascal Bély - www.festivalier.net

Ps: quelques mois aprés, au Festival d'Automne à Paris, Guy Degeorges d'Un soir ou un autre a cherché la cohérence...

♥♥♥♥♥ " Gustavia" de Mathilde Monnier et La Ribot été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

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Mathilde Monnier  sur le Tadorne avec
" 2008 Vallée"
"Tempo 76"
"La place du singe"
"Frères et soeurs"

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4 juillet 2008 5 04 /07 /juillet /2008 08:25
Cette année, Montpellier Danse accompagne le public à intégrer les processus de déconstruction dans son rapport à l'art. Après l'extraordinaire « Heterotopia » de William Forsythe, c'est au tour de l'allemand Xavier Le Roy avec « More Mouvements Für Lachenmann » de s'appuyer sur des formes déconstruites. Sauf qu'ici, tout est à distance, le public est sagement assis, et je m'amuse à chercher le propos qui transcende une telle performance. Car, cela en est une. Quatre guitaristes, un quatuor à cordes transforme une musique contemporaine fragmentée en mouvements chorégraphiques à partir des bras et des expressions du visage. Chaque geste est écrit sur une partition et la séquence finale nous fait écouter la sonorité de cette danse alors qu'ils n'ont plus d'instruments.
Tout le cérémonial des concerts classiques est ainsi détourné pour que le son s'inscrive dans un interstice entre le corps et l'instrument. À partir de quatre tableaux distincts, Xavier Le Roy nous guide à entendre autrement, à voir différemment l'articulation entre la danse et la musique. Le burlesque émerge parfois quand un fragment musical trouve un prolongement inhabituel dans le mouvement, ou lorsque le silence et l'immobilité s'incrustent dans la partition pour nous inclure. J'observe, je scrute, j'écoute comme si l'on me soumettait un nouvel espace dont il faudrait d'abord comprendre les codes pour entrer. À l'image d'un savoir d'expert ou scientifique, « More Mouvements Für Lachenmann » m'impressionne, mais ne résonne pas. À court de ressentis comme levier d'écriture, je peine à écrire, à retranscrire une vision d'ensemble comme s'il ne suffisait plus de me présenter un nouveau langage, aussi beau soit-il, pour que je sois touché.
Il en est ainsi d'un spectateur encore sonné par « Heterotopia » et qui veut bien entendre la déconstruction s'il elle n'utilise pas les mêmes espaces de représentation que la construction linéaire.
Laissons le temps à Xavier Le Roy d'inclure la complexité dans ses liens avec le public.

Pascal Bély - www.festivalier.net


♥♥♥♥♥♥ « More Mouvements Für Lachenmann » de Xavier Le Roy a été joué le 1er juillet 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.


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