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RETROUVER LE NOUVEAU TADORNE SURWWW.FESTIVALIER.NET

3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 08:09

Elle est assise face à nous. Avec son micro, elle nous cherche du regard puis nous interpelle : «j’ai besoin de vos retours, même si vous vous êtes ennuyé». La chorégraphe Danya Hammoud a confiance dans le cadre posé par Michel Kelemenis pour "Questions de danse" à Marseille: présenter une étape d'un processus de création puis ouvrir un dialogue avec le public.

Il prend la parole. Il est directeur adjoint d’un festival local. Il évoque le  travail antérieur de Danya Hammoud. Personne dans la salle n’a vu l’extrait du spectacle auquel il fait référence. Il regrette de ne pas retrouver ce qu’il avait semble-t-il aimé au mois d’avril dernier. Il précise même les points techniques qui font défaut ce soir. Implicitement, il fait comprendre à Danya Hammoud qu’elle ne sera pas programmée dans son festival.

De dos, du haut de son petit pupitre de jury, ce directeur adjoint joue à la Star Académy. La scène est d’une violence sociale inouïe (même dans le secteur privé, c’est un peu plus doux). Plutôt que de partager un ici et maintenant, ce professionnel exerce son pouvoir de vie et de mort sur les artistes.

Que ce directeur adjoint sache que mon émotion est à la hauteur de l’insulte.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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23 juin 2011 4 23 /06 /juin /2011 12:00

La danse est un art si particulier qu’elle stimule mon désir d’échanges, de mouvement pour franchir les frontières. Dernièrement, j’ai fait le voyage d’Aix en Provence à Uzès Danse pour deux chorégraphes : Régine Chopinot et Xavier Le Roy. Pour la première, je veux prolonger la rencontre organisée par le Centre de Développement chorégraphique d’Avignon, relatée sur le blog par Laurent Bourbousson. Pour le deuxième, il nous propose trois œuvres lors d’une soirée avant sa création «Low pieces» au prochain Festival d’Avignon. Ainsi, je pose mon contexte: Chopinot–Le Roy, Uzès-Avignon. Les passerelles sont là : je visualise une dynamique de territoire et je me ressens en mouvement.

Partir vers Uzès, c’est traverser une campagne maculée de panneaux publicitaires. Le chemin n’est pas tout droit. Il est obstrué par une multitude de ronds-points. Le site du Pont du Gard approche et le paysage porte les stigmates de l’activité touristique. Uzès ressemble à ces beaux villages de France où tout semble figé dans la pierre pour séduire le visiteur en quête de décor où rien ne dépasse. Mais je ne ressens pas la danse dans la ville. Quasiment pas une affiche et pas d’artistes dans les rues. Je peine à trouver le chemin du Jardin médiéval, là où Régine Chopinot nous donne rendez-vous à 17h dans la salle d’un château. L’entrée est payante (2 euros…imaginerait-on faire payer l’entrée du Palais des Papes lors des spectacles du Festival d’Avignon ?). Cette ville aime-t-elle la danse?

Il n’y a que quelques rues à parcourir pour nous rendre à la salle de l’Évêché où à 18h, Xavier Le Roy propose «Produit de circonstances». Sauf qu’il n’a pas attendu les spectateurs de Régine Chopinot. Fermé. Barrière. Défense d’entrer. Chacun sa case. Comment ce festival peut-il émietter le public avec si peu de journées et de représentations?  Sa fonction n’est-elle pas de permettre la traversée des œuvres ? Programmer, remplir, exclut-il de créer les conditions du dialogue ? À Uzès, comme ailleurs, on additionne. Mais sait-on seulement multiplier ?

contingent.algerie.jpeg

À Marseille, le "Festival de danse et des arts multiples" est sur le même registre. En 2008, je m’étais ému de l’absence de projet: « Treize années après sa création, il n'a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d'une approche bourgeoise de l'art, il suit le mouvement plus qu'il ne le précède…». Depuis deux ans, le FDAM investit une ancienne salle de boxe (la salle Vallier). Lors de sa dernière campagne de communication, le public s'est vu affublé d’un qualificatif pour le moins douteux : nous sommes des « festi’vallier ». Me voilà donc étiqueté comme un produit. Mais je n’ai encore rien lu. Sur la page Facebook du Festival : «"Dernières minutes : Des contingents de places ont été mis aujourd'hui à la vente pour : Merce Cunningham (le 21 et 22 juin, 21h) et Akram Khan (le 24 et 25 juin, 21h). C'est le moment de réserver !"

« Contingent : Quantité de soldats qui est fournie par un pays. »

Puis dans sa dernière newsletter : « Offre de dernière minute pour Mission : Bénéficiez d'une place offerte pour une place achetée ! »

Au Festival de Marseille, la relation de Merce Cunningham (l’un des plus grands chorégraphes du monde) avec son public est réduite à du chiffre, à un contingent. Plutôt que de penser une mobilisation joyeuse et créative, on préfère libérer du «quantitatif». Pour «Mission», on nous enferme dans un statut de consommateur à la recherche de la dernière promotion. 

Je pense aux artistes, quasiment insultés par des professionnels de la communication incultes et avides de cases bien remplies. Au Festival de Marseille, à défaut de multiplier, on soustrait, le public n’étant qu’une variable d’ajustement.

Il est temps de redéfinir la fonction des festivals sur les territoires. D’arrêter cette course à la programmation pour repenser un modèle ouvert de dialogue entre les œuvres et les publics. Il créera de la ressource financière et orientera les projets artistiques vers une relation créative avec les publics.

Stop au Festi'Vallium...

Pascal Bély – Le Tadorne.

Festival Uzès Danse du 17 au 22 juin 2011.

Le FDAM à Marseille du 16 juin au 9 juillet 2011.

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 11:47

Cela vous ne vous a pas échappé. Sur le site du Monde.fr, l’onglet «culture» a disparu de la une. Pour le trouver, il faut cliquer sur la rubrique «loisirs». C’est ainsi qu’un  journal de référence réduit notre rapport à l’art à une activité de divertissement. Mais est-ce si étonnant ? Depuis qu’en 1986,  le ministère de la Culture est accolé à celui de la communication, nous savions que les codes et les usages de la société consumériste déplaceraient la question du lien à l’art de la sphère intime et collective vers des pratiques de consommateur. Qu’on en juge par la dernière trouvaille de Marseille Provence 2013 qui, pour enquêter sur le public, publie un questionnaire élaboré par des étudiants d’une école de management. Pour sonder nos choix culturels, la danse n’est pas évoquée; on abaisse la question du lien à la profondeur de notre porte-monnaie. Rien sur le désir. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La responsabilité des programmateurs ne peut-être esquivée. Pour exemple, le Festival de Marseille, qui s’apprête à investir la salle Vallier en juin. La place du spectateur est réduite à un slogan de communicant («Festi’vallier») à qui l’on propose une sardinade pour vagabonder sur  la plage en collaboration avec la Scène Nationale du Merlan. Cette dernière mène une campagne offensive de communication autour d'une formule infantilisante et bêtifiante («courage rions!») où le spectacle n’est qu’un produit d’appel. Nous pourrions multiplier les exemples d’établissements culturels et d’artistes qui, pour créer la relation avec le public, n’ont rien trouvé de mieux que d’utiliser les techniques du marketing. Le lien social, le corps, la rencontre leur font si peur qu’ils sont prêts à tout pour ne jamais être traversé par l’imprévu.

 


Rien d’étonnant à ce que la culture ait disparu du programme du Parti Socialiste. C’est une activité marchande comme une autre. Jean-Michel Ribes, patron du Théâtre du Rond-Point à Paris, peut bien s’en émouvoir sur le plateau de «Ce soir ou jamais». Cet homme révérencieux à l’égard du pouvoir (son hommage appuyé à François Fillon est un comble alors que ce dernier mène une politique d’exclusion permanente envers les étrangers) avance lui aussi des chiffres pour démontrer le rôle déterminant de la culture dans l’économie. Il parle comme un chef d’entreprise subventionné qui  soigne ses arrières en soutenant le programme du Parti Socialiste («Il est bien écrit…Dans l’écriture, il y a quelque chose de culturel»). Mais ce soir-là, l’homme de culture est l’avocat Thierry Levy qui lui répond : «la modestie du projet socialiste est une qualité. L’absence de caractère est un défaut». Or, parce que la culture n’est pas une somme de pratiques culturelles qu’on hiérarchiserait, mais un lien au sensible, au turbulent, les hommes qui dirigent les programmes et les établissements devraient avoir pour mission de donner du caractère et non de s’assujettir au pouvoir, qu’il soit économique ou politique.

Dans ce contexte général, l’éviction d’Olivier Py de la direction du Théâtre de l’Odéon n’est qu’un épisode de plus dans les relations incestueuses entre politique et culture. Nous avons perdu la visée sur le rôle de l’art dans une société globalisé. À mesure que nous en avons fait un produit, le politique n’est qu’un chef de rayon qui change de tête de gondole comme bon lui semble. C’est une réforme globale qu’il faudrait entreprendre en redonnant le pouvoir à la représentation nationale sur les nominations et en ouvrant les conseils d’administration des établissements culturels aux spectateurs émancipés si cher au philosophe Jacques Rancière.
Dans cette semaine mouvementée, comment passer sous silence «l’affaire» entre Bertrand Cantat et Jean-Louis Trintignant ? Cette tragédie véhicule son lot d'émotions légitimes et de jugements moraux. Or, le metteur en scène Wajdi Mouawad a fait un choix artistique : celui de confier la musique de sa prochaine création pour le Festival d'Avignon à Bertrand Cantat. Mais c’est la douleur d’un père qui en a décidé tout autrement. C’est ainsi que la question de l’art s’est déplacée du terrain artistique vers le pathos, l’émotionnel et la morale.Cela n'annonce rien de bon pour notre avenir démocratique (à penser que l'art à avoir quelque chose avec la démocratie...).

Dans quelque temps, le journal Le Monde fera glisser l’onglet culture vers la rubrique santé. Pour qu’elle nous soigne de nos folies moralisatrices et consuméristes.
Pascal Bély - Le Tadorne.

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23 octobre 2010 6 23 /10 /octobre /2010 09:00

 

"Les Petits mouchoirs", le troisième et dernier film de Guillaume Canet va faire un carton.
Je ne suis ni Madame Irma ni Madame Soleil mais "Les Petits mouchoirs" sera un des grands succès public de cette année finissante. Pourquoi? Comme le dirait un intervenant du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes dont j’ai récemment reçu les préceptes : pour l’effet miroir. Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse!
La volonté de Guillaume Canet est de permettre au spectateur de se reconnaître parmi les personnages dotés de travers sensés être ceux de l’actuelle  génération de trentenaires. Dans le même temps , le film doit délivrer un effet cathartique : « oui nous reconnaissons être individualistes et égoïstes, mais une fois les situations les plus graves arrivées, nous nous repentons de nos pêchés ». Allez pleurons tous ensemble un bon coup pour oublier nos nombrils, et félicitons-nous d’être aussi lucides!
Pour  nous guider dans ce chemin vers l’absolution Guillaume Canet a la bienveillance de déclencher des signaux musicaux à chaque moment jugé clé pour que l’on sache bien quand rire ou s’émouvoir. L’autre effet bénéfique de cette bande-son omniprésente est de nous débarrasser de l’éventuelle culpabilité de voir un vulgaire film tel que "Camping" ou "Le cœur des hommes'. Ici nulle mauvaise conscience, les acteurs sont renommés voire oscarisés (Marion Cotillard pleure très bien) et la B.O. est branchée à souhait.
Pourquoi suis-je donc en colère? Je n’ai pas été jusqu’à pleurer comme mes compagnons de séance, mais je l’avoue ce film m’a parfois fait rire. Pour être exacte, il m’a fait ricaner. Dans "les Petits mouchoirs", nous nous retrouvons pour ricaner ensemble des déboires des autres : de l’un qui est furieux, car des fouines l’empêchent de dormir, d’un autre qui demande sans cesse des conseils pour savoir quoi répondre aux textos de sa bien-aimée et d’une telle qui visionne des sites pornos pour évacuer sa frustration. Mais ricaner d’eux ce n’est pas mal puisque les autres c’est aussi nous-mêmes. La scène qui résume le mieux est celle des héros partis faire du ski nautiques qui hurlent de rire en voyant leur bonne copine pleurer de rage parce que le bateau la traîne trop vite. Ici mon « sens de l’humour » a manqué et je n’ai plus ri.
A cette  scène métaphore je ne peux m’identifier : ricaner quand l’autre pleure de rage. Je peux d’autant moins quand je pense que les Français vont s’y ruer… Je me rappelle un exercice de portrait chinois fait dans le cadre de cette formation avec l’intervenant du CFPJ : « Si votre organisation était un animal, qu’est-ce que ce serait ? S’il était un personnage célèbre ?, etc. Donc d’après vous, votre organisation est éléphant, mais vous voulez qu’elle soit cheval. C’est ça ? ». Et si la France était un film, elle serait "Les petits mouchoirs". C’est ça ? 

Pourquoi ne pas s’identifier à des sans-abri congolais atteints de paraplégie qui espèrent s’en sortir grâce à la musique?  Sans rire cette fois. Et pour de vrai puisque je parle de "Benda Bilili"! le documentaire de Renaud Barre et de Florent de La Tullaye sorti le 8 septembre sur le groupe éponyme qui a conquis le monde à partir des bidonvilles de Kinshasa. Filmés dès 2004 à l’occasion d’une rencontre inopinée dans la rue, ces damnés de la terre nourrissent un optimisme et une détermination sans faille pour parvenir à une vie meilleure. Comme Les petits mouchoirs, le film fait tour à tour rire et pleurer, mais sans misérabilisme ni aucune ficelle de mise en scène. Les Benda Bilili portent le film comme ils abordent la vie, avec espoir, gaîté et talent.
« Donc pour vous la France c’est Les petits mouchoirs mais vous voulez qu’elle soit Benda Bilili!, c’est ça ? ».
Elsa Gomis - www.festivalier.net

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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 09:17

Le Théâtre du Merlan est une Scène Nationale, dirigé par Nathalie Marteau. Situé au nord de la ville dans le centre commercial Carrefour, cet établissement culturel peine depuis quelques saisons à s’implanter dans le quartier comme en témoignent ses nombreux « vagabondages » et l’incohérence de sa programmation (voir l'article à ce sujet du 12 juin 2009).

L’expression « vagabondage », empruntée au vocabulaire des travailleurs sociaux pour désigner ceux qui n’ont plus de domicile fixe, sert la politique de communication de ce théâtre.  Le territoire est ici vu comme un terrain de jeu où l’errance fait sens. Chacun appréciera. Le Merlan vagabonde, se «délocalise » à la Friche Belle de Mai, au muséum d’Histoire Naturelle, au Théâtre du Gymnase. Il y installe parfois des chapiteaux (malgré les promesses, à sa réouverture suite à des travaux, d'en faire "une maison ouverte commune à tous, un camp de base". A écouter l'interview sur France Info). Qu’est-ce qui justifie socialement et artistiquement de tels déplacements que l’on suppose fort coûteux ?  Le cynisme va jusqu’à programmer le collectif Berlin (qui propose des portraits de capitales à l’articulation du documentaire et du théâtre) loin des quartiers nord alors que l’on serait en droit d’attendre du Merlan qu’il relie les habitants au reste du Monde…
Ce théâtre connaît une deuxième difficulté, plus structurelle : sa programmation. Certains, par paresse intellectuelle, la jugent éclectique. Programmer « Description d’un combat » de la chorégraphe Maguy Marin en 2009 puis une « Semaine de la magie » en octobre 2010 (« magic week »…sic), serait une preuve d’ouverture et de curiosité. Sauf que cette diversité est au service d’une politique de communication (le Merlan est «branché») mais dessert tout projet visant à créer des liens durables avec les habitants. Comment leur proposer des traversées dans une programmation qui érigent des murs au lieu de passerelles, qui multiplient les esthétiques pour finalement composer un labyrinthe? Comment guider le  public en lui offrant coup sur coup danse contemporaine et formes spectaculaires ? Là où la danse ne fait pas spectacle, la magie s’appuie sur les ressorts du spectacle (elle fait même un retour en force à la télé…cf.« Vivement dimanche » sur France 2). À la culture du divertissement qui finit par pervertir la société française, une Scène Nationale devrait proposer une programmation certes diverse, mais au service d’une vision. Comment le public peut-il entrer en communication avec une équipe artistique qui lui enlève toute possibilité de s’émanciper de la société du divertissement ?
Deux difficultés qui bien évidemment produisent des incidents. Le premier eut lieu en février 2009 avec le chorégraphe Alain Buffard. La programmation de «  (Not) a love song »,  déconnectée d’une politique globale de relation avec les publics, a provoqué une « crise » avec les spectateurs. Dénonçant les rires au début de la représentation, Alain Buffart fit expulser de la salle un groupe de jeunes sans que la directrice du Merlan n’y trouve rien à redire...(à lire le compte-rendu du journal La Marseillaise).
Le deuxième incident, bien plus inquiétant, a eu lieu début octobre 2010, après la programmation pour deux soirées de P.C. Sorcar Jr., « la plus grande figure de la magie orientale ». Face au fiasco artistique, Nathalie Marteau propose de rembourser les billets au public mécontent (voir le courrier en fin d’article). Dans sa lettre, elle précise que le risque est partagé (je suis d’accord sur ce point…toute programmation implique une prise de risque du programmateur et du spectateur), que le spectacle génère de «la frustration» (c’est souvent la fonction de la création contemporaine de ne pas répondre aux attentes !). Et que propose-t-elle ? Un remboursement comme le ferait un commerçant ("Satisfait ou remboursé")! Pourtant, après la crise de l’intermittence, cette direction affirmait que « la culture n’était pas une marchandise". Le cynisme est à son comble lorsque pour s’excuser, Nathalie Marteau reporte la faute vers les artistes (ils ont eu carte blanche) et se pose en victime au même titre que les spectateurs. Pour devancer la critique, elle disqualifie les artistes, s’exclut du processus, dilue la responsabilité et se repositionne à partir d’un geste « risqué » pour les finances publiques, mais tellement généreux. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Quelle vision a donc le Merlan de sa relation avec les spectateurs pour proposer ce remboursement ? Comment s’articule-t-il avec le travail des chargés de relation avec le public qui travaillent probablement dans la durée, l’inclusion des habitants dans un lien à la culture non marchande?

Le remboursement est la conséquence d’une politique de communication ; en aucun cas, d’un projet culturel global. 
Le Merlan justifie-t-il son label de Scène Nationale ? Remplit-il au moins trois missions :
-  "s'affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale, dans les domaines de la culture contemporaine
-    organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine,
-     participer dans son aire d'implantation (voire dans le Département et la Région) à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l'égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci"
Ces trois missions sont incompatibles avec un lien "producteur - consommateur" entre le théâtre et le public. Elles requièrent une relation respectueuse, permettant à chacun d’évoluer au grès des propositions exigeantes, pour s'éloigner des formes spectaculaires qui figent.
Le Merlan est aux mains de communicants. Il est grand temps de le doter d’un projet global. Loin d’être une formule magique, c’est une exigence.

Au vagabondage, préférons la divagation…
Pascal Bély - www.festivalier.net

 

Lettre de Nathalie Marteau aux spectateurs:

"Madame, Monsieur, Chers spectateurs,

Le spectacle vivant est une chose fragile, pas toujours prévisible, et qui peut même parfois nous décevoir. Cela fait partie du risque, que nous partageons avec vous, public.

Mais les soirées indiennes des 8 et 9 octobre de P.C. Sorcar, proposées par la compagnie 14:20 dirigée par Raphaël Navarro, à qui nous avions donné carte blanche, ne furent pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé.
Nous reconnaissons avec vous que les 15 minutes de magie présentées ne font pas un spectacle, et face à cette situation exceptionnelle, nous nous engageons à rembourser toutes les personnes qui en feront la demande auprès de la billetterie au 04 91 11 19 20 (du lundi au vendredi de 13h a 18h). 
Nous nous adressons particulièrement à ceux qui venaient pour la première fois au Merlan et nous espérons qu'ils n'en resteront pas à cette désagréable impression de frustration.
Toute l'équipe du Merlan se joint à moi pour vous souhaiter de belles soirées à venir et restons à votre disposition.
Nathalie Marteau, directrice"

 

 

 

 

 

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1 août 2010 7 01 /08 /août /2010 13:28

C’est l’histoire d’un lien entre un artiste et un spectateur.  Cette relation interroge les processus de constitution d’un microcosme autour d’un artiste, d’un «entre soi» et du rôle de la critique.

Nous sommes au Festival d’Avignon 2010. Un ami me dit : «Pascal, il te faut voir Yves-Noël Genod à la Condition des Soies. Il présente un spectacle tout en douceur qui te plaira ».

Je lui dis: « Après mon article de 2009, je ne suis pas sûr d’être le bienvenu ».

Une intuition.

Je vais à la Condition des Soies. A 10h, pour Aude Lachaise. Coup de foudre. Je découvre sa danse, son texte et le lieu. J’irais voir Genod à 18h.

Entre temps, un mail arrive à 2h du matin, rendu public sur le blog d’Yves-Noël Genod.

« J'ai vu que vous vous étiez inscrit pour voir le spectacle que je propose. Il ne vous plaira pas. C'est un spectacle qui s'adresse à mes amis. Exclusivement. Comme tous mes spectacles. Je réduis mon œuvre à ça : l'amitié. La dernière fois, à Avignon, vous aviez balancé l'assiette en carton qui contenait la part de tarte qu'Hélèna Villovitch offrait (qu'elle faisait tous les jours). Ici, tous les jours, le spectacle est offert et ouvert par un artiste invité qui offre le champagne dans des verres en verre (d'où ma crainte...) Le spectacle n'est pas subventionné, il est exclusivement un acte d'amitié, il n'y a pas de commande. C'est pour ça, comme nous ne sommes vraiment pas amis, que je suis étonné que vous n'ayez rien de mieux à faire que de venir faire la gueule à 18h. Je ne demande au public que j'invite qu'une chose : la politesse de la bonne humeur. Sinon rester chez soi. Ou aller voir un autre spectacle : y en a mille. »

J’avais aimé sa création pour Actoral en 2008 à Marseille. Pourquoi évoque-t-il l’amitié ? C’est un lien si complexe…« Je réduis mon œuvre à ça » : mais comment peut-on faire l’apologie de la «réduction » alors que nous avons tant besoin du « complexe » ? Il relie donc le spectacle non subventionné au lien amical. En d’autres termes, il promeut un théâtre « privé », voire intimiste qui lui permet de définir la nature de la relation : « la bonne humeur ». C’est une « stratégie » de communication proche d’une injonction publicitaire. Sommation ou  intimidation…

Ma réponse à 2h45 du matin : 

« Vous avez absolument raison, nous ne sommes pas amis. Mais mes amis sont venus vous voir. Ils ont aimé et il se trouve que j’adore le champagne. Et puis, l’amitié, ça va, ça vient…Je vous suis fidèle : je suis votre travail. Et je fais ce que je veux de mon temps de cerveau disponible. Mais c’est vous qui m’aviez tendu une carte dans la rue. C'est vous....Vous pouvez m’empêcher de venir. J’attends votre réponse ». 

Malgré les injonctions (depuis quand faut-il être de bonne humeur pour aller au spectacle ?), du buzz qui entoure cette pièce (journaux nationaux plus presse locale….rarement vu un tel engouement au Off), le  spectateur, fut-il blogueur, vient avec sa liberté de jugement. Mais je subis «aussi» la pression médiatique. J’ai peur : n’y a-t-il pas un risque d’écrire une critique sévère non sur la pièce, mais sur son environnement? Genod le sent-il ? Me protégerait-il?

Sa réponse fait baisser la tension :

« C'est vrai que je distribue ces cartes à grande envergure ! Et j'ai raison de le faire, évidemment. Alors venez, si ça vous dit. (Et excusez mes craintes...). Au plaisir ».

Nous avons donc peur tous les deux.

Je vais à la Condition des Soies. Je prends soin de me mettre au fond, à l’extrême gauche. Je n’ai pas totalement confiance en lui: cet homme qui différencie assez peu sphère publique et privée (voir son blog) pourrait me prendre à partie. Jamais il ne me regarde.

Le lendemain, j’écris l’article. Plutôt apaisé.

 

"Fin d’après-midi, à 18h, il y a Yves-Noël Genod. Il me croit mal intentionné suite à un article où je ne m’étais pas senti invité dans son univers florissant. Mais aucun de mes regards vers un artiste n’est figé dans le marbre. Nous évoluons tous. Ensemble. Tout n’est que désir. Après Aude Lachaise, j’ai envie d’entendre cet acteur.

La piste n’est pas encore à lui. À l’entrée, comme au bon vieux temps des premières parties, il y a Arthur Ribo pour nous offrir une coupe de champagne. Les théâtres seraient bien inspirés d’en faire de même et de réduire la voilure sur la communication sur papier glacé. Il nous invite à faire silence pour s’écouter. Joli moment. La communication est dans cet instant précieux. Il note ensuite dix mots donnés par la vindicte populaire ! Comme à la Société Générale, « avec quatre mots, je vous en donne 4000 ». Et le voilà parti pour une improvisation. C’est un festival. « In » et « Off ». Il jongle, rattrape, se remet à l’ouvrage. Sans filet. C’est gagné, les bulles de champagnes englobent, relient les mots et provoque l’émerveillement.

C’est alors qu’il arrive, livre de Shakespeare à la main (« Venus et Adonis »). Une heure de lecture, dans son «parc intérieur» : on peut s’y coucher, se lever, penser à autre chose, faire des liens improbables. À peine commencé, il évoque David Bowie. Alors qu’un fan lui tendit une rose, il promit au public un jardin pour en offrir une à chacun. Genod est Bowie. Et chacun de nous prendra « sa » rose : Marguerite Duras, Claude Régy,Jorges Luis Borges, le poète Wallace Stevens. Ils s’invitent dans la lecture. Comme des entremet(eurs). Plus que des apartés, ces textes, ces petites anecdotes font danser Genod tandis que Venus et Adonis prennent le temps de se conter. Cette « rocambolesque » histoire d’amour  a soudain des allures de chevauchée fantastique, comme au bon vieux temps des feuilletons où l’on pleurait d’avoir raté un épisode ! On rit beaucoup, on fait silence alors que les mots de l’acteur se cognent au mur pour créer l’écho. La profondeur de l’écriture prend alors tout son sens d’autant plus que le français n’est pas la langue de Shakespeare !

Puis, subitement, Genod s’approche. Il nous glisse une confidence personnelle à propos de Marguerite Duras. Peu à peu, son « parc intérieur » est un parterre de roses. For Pina."

 

A ce moment précis, la relation s’équilibre : une proposition artistique - un regard de spectateur. Nul besoin d’être « ami » pour trouver son positionnement. Mais c’est sans compter sur un imprévu. Le lendemain de la parution de mon article sur Genod, j'apprend que le chorégraphe Suisse Gilles Jobin s’en prend sur son site (depuis l’article a été supprimé) aux blogs de spectateurs dont il reproche la mauvaise qualité de l’écrit et leur posture non professionnelle ! En reliant l’attaque de Jobin aux mails de Genod, un désir de contrôler la parole est mis en évidence. Là où Genod impose le lien amical (avec coupe de champagne à l’appui), Jobin ne souhaite que des professionnels débarrassés de leurs états d’âme. 

 

« Je veux contrôler la parole ? Comme c’est curieux… Les artistes veulent contrôler la parole ? Comme c’est curieux… Tadeusz Kantor avait fait un spectacle sur ce thème, intitulé : Qu’ils crèvent, les artistes ! Venir voir un spectacle de bonne humeur est une demande inacceptable ? Comme c’est curieux… On n’évolue, je crois bien, pas dans le même monde, Monsieur Bély et ses nounous. Heureusement le mien est vaste, il date de l’antiquité, il dit : un spectacle, ça se fait à deux. Quand je parais devant les spectateurs, je le fais de ma meilleure humeur - pour donner du bonheur. Voilà où j’en suis. Mais si on me met un type renfrogné en face de moi, je serai comme Vénus, je n’y arriverai pas (à donner du bonheur). C’est comme pour tout. Vous pouvez voir une expo de mauvaise humeur, vous pouvez lire un livre de mauvaise humeur, vous pouvez écouter de la musique de mauvaise humeur et vous en apprendrez quoi ? Rien. A moins que vous n’imaginiez que l’art peut vous soigner… Mais, là non plus, nous ne sommes pas du même monde, je ne le pense pas, moi. C’est ce que Borgès, Stevens, Duras, Sarraute, Shakespeare… et moi-même disons pendant une heure quinze : on ne peut que faire allusion, "la vision d’un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme". Et voilà pourquoi il faut être deux. Deux en forme. Vous dites que les artistes doivent être des citoyens comme les autres (ce sont les mêmes mots de la curée contre Roman Polanski) - mais vous les placez où, les artistes, s’ils n’ont pas le droit de critiquer vos critiques ou vos humeurs ? Fais ton spectacle et tais-toi ? Pas le même, pas le même monde... Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien…), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»

 

Genod constitue sa salle : l’an dernier à Chaillot, sa page Facebook était son « flyer » !  Il n’a pas besoin de RP (d'ailleurs, notez que ce soit à Paris ou à Avignon, les institutions théâtrales ne se positionnent pas. Elles sont absentes du débat…). Dans ce texte, il revient sur son concept de « bonne humeur » qu’il ne définit toujours pas. « La bonne humeur » en groupe est souvent l'injonction d'une secte qui se débarrasse de la « mauvaise humeur», trop liée au contexte extérieur. La « coupe de champagne » est une technique  issue de la psychologie sociale qui vise à créer une interaction entre l’individu et le groupe. Elle facilite le lien social, mais impose une conformité de l’un à l’autre (après le champagne, difficile d’être de mauvaise humeur, de s’en prendre aux valeurs du collectif.  Comme par hasard, le public est invité à la sortie à payer sa place dans le saut à champagne…). Il sait que le public n'est pas particulièrement de bonne humeur quand il va au théâtre, sinon il irait au « Palace ». Dans ce texte, il décide que la relation spectateur - artiste est symétrique. Mais je m'interroge: que vient faire la bonne humeur dans ce lien?

Or, en posant la « bonne humeur » comme lien exclusif, il créé la relation asymétrique. C’est une prise de pouvoir. Genod manie la double contrainte avec talent : « le spectacle c’est à deux, mais c’est moi qui définit la relation », « le spectacle est pour tout le monde sauf pour vous» « je prône la bonne humeur, mais je m’appuie sur ma mauvaise humeur pour entrer en relation avec un spectateur critique ». Or, «la double contrainte désigne deux obligations qui se contrarient en s'interdisant mutuellement, augmentées d'une troisième qui empêche l'individu de sortir de cette situation ». Ainsi, à la lecture de son texte, je ne sais plus comment sortir de là. Lui-même, se perdant dans ses considérations, finit par une phrase qui ne veut plus rien dire (« Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien…), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»).

Sur son blog, Genod précise sa pensée:

« Ce que je dis n'a rien à voir avec une bonne ou une mauvaise critique. Je me suis fâché avec Pascal Bély à l'occasion d'une bonne critique (celle de Chaillot, l'année dernière), pas à l'occasion de sa critique-contresens atroce d'il y a trois ans, Avignon, par exemple. D'ailleurs, Pascal Bély a aussi écrit l'une de mes meilleures critiques, celle pour "Monsieur Villovitch" (Marseille, il y a trois ans) qu'il faudrait que je relise, mais qui m'avait positivement soufflé. (Il y révélait mes intentions, celles que j'avais transmises aux acteurs, c'était très étonnant.) Non, c'est pas ça. (C'est très bien, les critiques, dans un sens ou dans un autre.) Il s'agit d'un désaccord de fond. Pour moi, Pascal Bély - puisque son nom est révélé ici - fait exactement le contraire de ce que je crois essayer de faire (consciemment). Exactement le contraire. Et je trouve que c'est important non pas forcément que ça se sache pour tout le monde, mais que lui le sache : nous ne sommes pas amis. Nous sommes opposés EN TOUT. Et mon spectacle pourtant offert au plus grand nombre ne lui était pas destiné. C'est personnel. (Mais peut-être que je me trompe, je veux dire, à l'échelle cosmique...)"

Genod se positionne très vite ailleurs, au niveau « cosmique » . Il ne s'agit plus d'être de bonne ou  mauvaise humeur. Il ne sait pas quoi faire de ce spectateur qui n’entre pas dans le « cercle » mais qui peut apprécier son œuvre. A l’échelle «cosmique», Genod  confond relation avec le public et lien amical comme s'il fusionnait le contenant et le contenu. Sauf qu’il est un personnage public ET privé. Il n’y a quasiment plus de frontière entre l’artiste et l’homme (on connaît cela ailleurs dans le milieu politique). Le spectateur critique ne peut donc adopter le positionnement habituel quand il y a LA frontière. En ce sens, le « corps » de Genod percute le « corps » du spectateur, lui-même engagé à se définir comme hybride. Étrange Genod face à l’étrange Tadorne.

Nous sommes effectivement « ailleurs ». Le regard critique doit intégrer cette « porosité ». Le Tadorne y veille  de manière à ce que "'l'humeur" soit une information travaillée pour  permette d'accéder vers l'universel, qui est le propre de l'art.

Pascal Bély-www.festivalier.net

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29 juin 2010 2 29 /06 /juin /2010 23:05

TDG.jpg

De nombreuses institutions culturelles ont une politique offensive de communication. Elles produisent plaquettes, se positionnent sur les réseaux sociaux de l’internet, ouvrent des comptes sur Youtube ou Dailymotion. Elles produisent des petits films vidéo promotionnels, souvent joliment bien faits. Mais que véhiculent ces supports? Est-il possible d’exercer un “arrêts sur images”, à moins que l’exercice ne soit vain?

Premier exemple avec une vidéo postée sur la page Facebook du Théâtre de Gennevilliers dirigé par Pascal Rambert. Quatre minutes et dix-huit secondes qui ont suscité une réaction critique de Pascal Bély, du Tadorne. Un débat s’est alors engagé (dont nous vous proposons une synthèse, puisqu'il s'est engagé avec de nombreux interlocuteurs) avec Neige Mélanie Chereau (metteuse en scène et blogueuse théâtre), Gilles Groppo (comédien et assistant à la mise en scène de Pascal Rambert sur sa dernière création) et Pierre-Jérôme Adjedj auteur et metteur en scène. Au cœur du débat: que révèlent la forme et le fond de cette communication institutionnelle?


Pascal Rambert dans le film: “Le théâtre de Gennevilliers, un lieu simple, pas prétentieux…je crois que c’est le futur des lieux comme çà, des lieux ouverts, chaleureux, où on se dit que si on n’y va pas, on a raté quelque chose…et ça peut être super agréable d’y passer du temps…c’est là dessus que je travaille, sur le désir, toujours je travaille sur le désir

Pascal : Et des lieux qui n'ont pas besoin des ficelles de la com. pour susciter le désir!

Neige Mélanie: devant la profusion d'information, il est normal que les lieux culturels  utilisent les mêmes ficelles que les autres pour se faire connaître. C'est de bonne guerre...

Pascal: Si je prends au pied de la lettre ce que tu écris, c'est à désespérer des artistes. Ils n'ont pas à utiliser les ficelles qui enferment la pensée (que je sache, la communication, c'est de la propagande) mais au contraire, ils doivent les transcender! Dans cette vidéo, on peut enlever TDG et  le remplacer par un lieu de consommation. L'effet est le même. Cette vidéo me désespère, car j'ai besoin que les artistes résistent. Et non qu'ils se fondent dans un moule qui, de toute façon, n'est pas fait pour eux.

Neige Mélanie: je comprends bien. Franchement on ne peut qu’être d'accord avec ce que tu dis. Mais à ce moment-là on arrête les affiches et les tracts... et c'est terminé. On est bien obligé aussi de se battre avec les armes de son ennemi parfois... On peut aussi voir ça comme un acte de résistance.

Pascal : ce n'est pas sérieux! Ce film n'est en rien un acte de résistance. C'est de la publicité. On peut aussi arrêter les affiches et les tracts et travailler les réseaux à partir d'une communication sur le sens et les valeurs.

Neige Mélanie: Le réseau c'est aussi une manière de ne jamais rester qu'entre soi. Or, j'aime la politique d'ouverture de Gennevilliers qui essaye de faire venir au théâtre des gens qui n'y vont pas... Mais ce n'est pas un film destiné aux Parisiens... le T2G communique énormément avec le public de Gennevilliers, mais il est utopique de penser que ça suffit. Il faut buzzer pour que les choses se fassent connaître dans le brouhaha d'infos. Et ce genre de film est adressé à tous, les franciliens et les autres... Après il sera toujours temps de créer du buzz avec des objets artistiques, et c'est le cas avec ces photographes et auteurs invités à créer autour de Gennevilliers et de ses habitants.

Pascal : A quoi sert cette énergie pour communiquer ainsi, alors que tout le monde sait que c’est insuffisant pour faire venir du public? Ce clip, n'est-il pas un objet "narcissique" où le TDG se fait du bien, se renvoie un beau miroir. Peut-on en 2010 résumer un théâtre à son dirigeant ? Un théâtre c'est une équipe, des réseaux, des spectateurs: ils sont cruellement absents dans ce film. C'est un film qui reproduit le schéma vertical du pouvoir et nous empêche de voir et de penser les horizontalités. Ce clip n'est destiné qu'aux tutelles. On instrumentalise la communication vers les spectateurs à d'autres fins. D’autre part, Pascal Rambert nomme dans ce film des processus, comme s’il voulait se convaincre lui-même de leur validité. À titre d'exemple, ai-je besoin de communiquer sur la confiance si j'ai confiance en vous ?
Gilles: Et si vous arrêtiez de critiquer les directeurs qui osent encore nous proposer des programmations aussi variées, et qu’enfin vous vous concentriez sur ce gouvernement qui ne cesse de baisser les subventions. Proposer une telle diversité est un challenge auquel peu de directeurs s'essaient de nos jours avec des budgets aussi faibles.

Pierre-Jérôme : pitié, arrêtez de tous sortir l'argument budgétaire à chaque fois qu'il y a polémique : c'est vraiment devenu un bouclier anti-discussion dans tout le monde culturel français. Chaque critique se termine par "c'est ça, continuez, de toutes les façons bientôt on sera morts, et vous aurez tout gagné"! Figurez-vous que je connais plutôt bien tout ça : je suis en train de monter une production, et c'est tout sauf facile en dépit de partenaires assez sympathiques. Mais comme je suis par ailleurs entre Paris et Berlin, la différence sur le ratio créativité/moyen est tellement frappante que je trouve indécent de se plaindre!
Gilles: Le théâtre de Gennevilliers est devenu un lieu ouvert et chaleureux, le public rajeuni augmente chaque année, c'est un lieu unique par sa conception et qui nous propose des artistes de tout horizon qui sont de vrais créateurs ! Si vous êtes si malin, trouvez-nous de vraies solutions pour amener de l'argent !

Pascal: Gilles, est-ce possible de poser le débat là où il est ? Je réclame le droit à la critique, et cela n’entache en rien la qualité de la programmation du théâtre de Gennevilliers. Le pouvoir en place rêve de ce type de vidéo, où le théâtre est une “marque”, au même titre que d'autres services publics. D’autre part, la personnalisation du pouvoir politique entre en résonance avec ce film où l’on n’entend que “je”.

Gilles: cher Pascal, posons le débat calmement, je suis d'accord... Le théâtre se meurt ! Pourquoi ?
Parce que c'est un art qui n'est plus médiatisé, parce que c'est un art dont on ne parle qu'au sein d'une communauté de plus en plus restreinte...Qui descend encore dans la rue pour défendre nos droits? Se servir aujourd'hui des mêmes moyens de communication me paraît tout simplement vital, et cette vidéo ne me choque en rien, je préfère parler du contenu de la programmation, c'est tout...Encore une fois, Pascal, ne nous trompons pas de débat et conservons nos forces pour la bonne cause !

Pierre-Jérôme : Je rejoins Pascal sur le fait que ce film est une forme d'auto-promo assez narcissique. Rambert dit : “un lieu simple et pas prétentieux”, c'est comme les gens qui s'autoproclament "généreux", "bons", charitables" etc. je trouve toujours ça un peu curieux et décalé. Et effectivement, où est l'équipe, où est le public, où sont les gens sinon à travers le prisme des œuvres produites?
Je suis toujours extrêmement circonspect sur les personnes qui proposent un projet de proximité, de simplicité et de décloisonnement et qui se sentent tout de même obligées de le crier sur les toits, au-delà de leur périmètre d'action. Cela soulève trois hypothèses, dont aucune n'est exclusive de l'autre : la première, c'est que Rambert ne croit pas tout à fait à ce qu'il dit. La deuxième c'est qu'il ne peut pas se contenter de la réalité du projet (et des difficultés inhérentes à cette ambitieuse et louable entreprise), pas assez belle à l'oeil parisien; il lui faut donc maîtriser son image en produisant un beau film auto-célébrant la générosité de sa démarche. La troisième, c'est que ce film est destiné au Ministre de la Culture et aux diverses tutelles...

Gilles: Vous rendez compte de la difficulté de faire venir le public parisien à Gennevilliers? Pascal Rambert a réussi a transformé un lieu froid et vide, en un véritable lieu de rencontre et un espace chaleureux ... Montrer que ce lieu est unique par sa conception n'est pas à négliger !

Pierre-Jérôme : Certes Gilles... Pour être venu au T2G avant Pascal R,ambert je ne peux que confirmer que le lieu a été pris "à bras le corps", et de façon tout à fait pertinente. Et concernant le projet, d'accord aussi : même si personnellement j'avais été agacé par le rapport aux amateurs dans "la micro-histoire", ça ne m'empêche pas de reconnaître la validité globale du projet, qui détonne effectivement par rapport à pas mal d'autres théâtres...

Vous parlez de la difficulté à faire venir le public de Paris ? Est-ce un but en soi ? Le public de Gennevilliers et ses environs ne vous suffit pas ? Ces foutus Parisiens n'ont pas besoin qu'on leur déroule le tapis rouge : ce serait tellement préférable qu'ils entendent le "bruit" qui gronde à Gennevilliers, sans com' tapageuse, et qu'il se dise "mince, je suis en train de louper un truc, ou bien...". Je suis peut-être un peu extrémiste, mais je me dis que le public du coin a mérité d'être le centre du monde (ce qui se produit apparemment dans le réel).

Neige Mélanie: mais voyons, ce n'est pas un documentaire sur Gennevilliers ou un court métrage artistique...! C'est un film sur le théâtre et ses activités. Et personnellement la présence de Rambert ne me dérange pas, car cela donne une image intime personnelle et  accueillante du théâtre. Cette personnalisation n’est pas sans rappeler ce que font les Américains. D’ailleurs, ce film n’est-il pas destiné à l’étranger? Pour cela il faut faire quelque chose d'assez simple aussi, de clair et présentable.

Gilles: Aujourd'hui, le véritable problème aussi touche la difficulté de faire vivre sur la durée un spectacle dans le monde de l'art contemporain propre à faire vivre les artistes qui se défendent tant bien que mal depuis 2003... Nous autres, artistes de surcroît, ne sommes jamais cités ou mis en avant et les spectacles se construisent sur le nom du metteur en scène ou du chorégraphe et il devient de plus en plus très difficile de survivre...

Pierre-Jérôme : Pourquoi ne pas faire un film qui fasse la part belle aux gens dont parle Rambert ? Pourquoi ne pas concevoir des objets filmiques étranges, pourquoi pas sous forme de série, qui mette en scène ce qui se joue, dans tous les sens du terme, au T2G ? Ca ça créerait du buzz, interpellerait le parisien, qui se dirait tout à coup "et moi alors, on ne m'a pas invité ?". Sous cet angle, le T2G se poserait en "place to be", sur la base d'une réalité exposée de manière créative; et le mélange dont tu parles se ferait sur une base pour une fois équitable, les parisiens venant enfin en banlieue sans leur casque colonial. Or, que voyons-nous là ? un film dont le titre pourrait être "Rambert, ce héros" (tu apprécieras le jeu de mot j'espère :-) ), où il se montre, se surmontre. Ceux qui connaissent PR assurent que c'est quelqu'un de simple, étranger à toute vanité. Soit, mais alors, il s'est fait avoir par les personnes qui ont tourné ce film ! Car ce truc trimballe dans son inconscient tout ce qui me fait dire qu'il est tourné vers les Parisiens et les tutelles...

Gilles: "un film qui fasse la part belle aux gens dont parle PR ", existe déjà et sous différentes formes... Que dire des films qui sont tournés in situ à Gennevilliers, avec des gens de Gennevilliers... Que dire des Ateliers d'écritures ouverts à tous les gens de Gennevilliers gracieusement... Que dire des multiples spectacles où on a vu des gens de Gennevilliers présent sur scène et il y en aura d'autres très bientôt (et croît moi leur témoignage est poignant)... Enfin tout ça !
Pierre-Jérôme :  pardonnez-moi, mais le film produit une impression inverse de la réalité que vous décrivez. Vous dites "oubliez un peu l'homme", mais comment faire à la vision d'un film Ramberto-centré ? À mon avis, le film ne raconte pas votre travail, il fait vitrine, de la manière la plus classique qui soit.

Pascal: ce débat pose pour moi une question essentielle. Peut-on longtemps enfermer le lien spectateur – structure culturelle dans  une approche de la communication de masse?  Je reconnais à Pascal Rambert de louables efforts pour ouvrir ce lien. Mais ce “clip” est venu annuler la représentation que je me faisais de ce théâtre. Tout change parce que rien ne change! J’aurais presque envie de lancer un défi aux structures culturelles: baissez de moitié vos budgets communication et développez vos relations humaines. Car le théâtre n’est pas une marchandise. C’est parce que les structures changeront le lien, que la relation avec le politique évoluera. Sinon, elle est condamnée durablement à se fossiliser dans un schéma infantilisant.


Merci à Neige Mélanie, Gilles et Pierre-Jérôme pour leur participation à ce débat et d'avoir accepté sa retranscription sur le Tadorne.

L'intégralité du débat est ici.

 

 

 

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14 juin 2010 1 14 /06 /juin /2010 09:35

 

En 2009, au Festival Off d’Avignon, je découvrais stupéfait, "Méli-mélo 2 Le retour" par la Compagnie Chicos Mambo emmenée par le chorégraphe Philippe Lafeuille:  « …même quand il s'amuse de la danse contemporaine, il ne la caricature jamais. Vous ressentirez la présence de Zouc, c'est pour dire. Avec des airs de ne pas y toucher, ils relient tous les courants de la danse comme si tout n'était qu'une question d'amour. Mais ne croyez pas qu'ils soient des enfants de cœur : ces quatre-là ont une histoire dont on devine à peine les chapitres. Ils ont travaillé pour être là. Faire rire pour nous éclairer sur un art fragile demande une culture, un désir d'ouverture, une croyance inébranlable dans le collectif. Plus que jamais nous avons besoin de ces acrobates parce que la danse mérite son cabaret, pour qu'on y célèbre l'orgie de la tolérance ».

À l’époque, je me doutais que l’œuvre aurait quelques difficultés à s’imposer auprès des programmateurs, tant la danse est devenue un sujet sérieux. La semaine dernière, à Saint-Germain-en-Laye, au lendemain de la première des Chicos Mambo, l’élu à la culture UMP Benoit Battistelli fait pression pour faire annuler une représentation prévue en matinée. Il obtiendra gain de cause tandis que la scéance du soir fut maintenue.

Alerté par cette situation, l’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj  envoya un mail au maire de Saint-Germain-en-Laye, Emmanuel Lamy.

Une lettre essentielle, qui rappelle aux élus leur rôle à l’égard de la culture et aux spectateurs que le spectacle vivant est aussi là pour nous déplaire…

Pascal Bély - www.festivalier.net

 

"Monsieur le Maire,

J'ai appris aujourd'hui avec émotion que vous étiez intervenu pour demander l'annulation d'une représentation de la compagnie Chicos Mambo, au seul motif que le contenu vous a choqué / déplu / incommodé (rayer la mention inutile s'il y en a, et compléter si besoin).

Je me permets de vous dire qu'une telle attitude relève pour le moins de l'ingérence dans le travail de l'équipe du Théâtre de Saint-Germain, et un désaveu sur ses choix. Je dois cependant admettre que de telles situations sont loin d'être rares; partout en France, des salles municipales aux réseaux nationaux, du nord au sud et de l'est à l'ouest, ce triste spectacle se reproduit. J'y vois trois raisons principales, symptomatiques d'une déviance quant à la façon de positionner la culture:

- Trop souvent, le payeur (vous) se sent le droit de vie ou de mort sur les choix artistiques (qui relèvent de l'équipe que vous mandatez).

- Trop souvent aussi, la culture n'est utilisée par les élus que comme un mieux-disant à visée électoraliste, ce qui entraîne un alignement des choix artistiques sur "ce qui plaît".

- Trop souvent enfin, le payeur (vous toujours) peut finir par confondre son goût particulier avec le goût général.

Or, le rôle d'une institution culturelle est justement de proposer au public ce qu'il ne sait pas encore qu'il aime; c'est à cette seule condition qu'on peut sortir de cette logique de consommation qui finit par gangréner le spectacle vivant et l'aligner sur la télévision et le cinéma commercial.

 Je n'ai aucun conseil à vous donner, mais de mon point de vue, vous avez tout à gagner à laisser entrer dans votre ville la surprise, l'inattendu, le déroutant, le choquant pourquoi pas... C'est comme un bon froid sec : ça fouette le sang et ça aide à se sentir vivant, ça pousse à parler à l'autre, à le rencontrer au lieu de le côtoyer seulement dans la promiscuité en velours de la salle de théâtre. Cette vie dans la cité n'a pas de prix, elle stimule la capacité à inventer l'avenir !

 A l'inverse, si votre objectif est de laisser vos administrés se confire dans le conformisme des idées reçues, alors ne dépensez plus un euro dans la culture, c'est de l'argent gâché ! Le conformisme, nous y glissons toutes et tous sans même nous en apercevoir si rien ne vient nous réveiller. Supprimez le budget culture, les élus chargés de la voirie et des bacs à fleurs vous béniront, ainsi qu'une grande partie de vos administrés.

Comptant sur votre bon sens et votre sens des responsabilités, je vous prie d'agréer, Monsieur le Maire, l'expression de ma considération distinguée...

Pierre-Jérôme Adjedj, 

Auteur / Metteur en scène

 

 

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7 mai 2010 5 07 /05 /mai /2010 10:56

 


Depuis quelques mois, le monde de la petite enfance est en émoi : un décret actuellement en préparation organise la baisse de la qualité d’accueil du jeune enfant et de sa famille. Le 6 mai, les professionnels de la culture et de la petite enfance ont défilé dans les rues séparément. Pourquoi ? Quelle est donc cette frontière ? Et si l’on en finissait avec les mots d’ordre corporatistes qui freinent toute vision à long terme?

Nous sommes l’un des rares pays en Europe où la petite enfance est quasiment exclue de tout débat politique sur l’éducation comme si celle-ci débutait à la maternelle ! Et pourtant. Le premier rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française » publié en 2008 préconisait comme première mesure (parmi 300 !), « d’améliorer la formation des éducateurs et éducatrices de crèche, des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre » parce que « l’acquisition de la confiance se fait pour les deux tiers de tous nos enfants, quels que soient la culture et le niveau social, lors des dix premiers mois, bien avant le début de la parole. Pratiquement tous les enfants épanouis se trouvent dans des milieux affectifs et sociaux stables : lorsqu’arrive l’âge de l’école, ils sont les mieux préparés à en profiter ». Une politique de la petite enfance est donc un enjeu sociétal majeur alors que nous entrons dans la civilisation de la connaissance. Mais pour cela, il faut l’ouvrir à d’autres services publics, car le cloisonnement dessert le politique, et ne permet plus d’identifier ce qui fait « politique ». Il est urgent de traverser les frontières si l’on veut que l’altérité se substitue à la défiance et mette fin aux logiques corporatistes qui émiettent toutes les politiques publiques.

D’un autre côté, les professionnels de la culture ressentent le besoin de décloisonner leur stratégie de conquête des publics. L’articulation entre  la culture et la petite enfance est prometteuse si l’on en juge par le nombre croissant de participants lors de colloques sur le sujet (festival « Reims Scène d’Europe » en décembre 2009, journée organisée par la CAF de l’Isère en mars 2010, …)  et les retours d’expériences d’acteurs engagés (saluons David Chauvet de la Scène Nationale de Cavaillon, la compagnie Skappa ! et les  professionnels de la petite enfance de la communauté de communes « Provence – Luberon - Durance qui depuis quatre ans ont mis en œuvre un projet global autour du spectacle jeune public).

 bebes.JPG

Invités à développer leur créativité en situation d’incertitudes, à accueillir l’enfant et sa famille, à s’ouvrir vers des réseaux, auxiliaires de puériculture, puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants trouvent dans l’art bien des ouvertures. Car l’enjeu est de communiquer sur les pratiques qui facilitent l’éveil culturel de l’enfant, de les rendre visibles au moment où les théories comportementalistes investissent le champ de la petite enfance.  Or, c’est vers « l’autre » différent que nous communiquons le mieux, où les finalités sont précisément décrites, bien plus qu’entre « pairs ». Cette ouverture vers les artistes et les structures culturelles positionne les professionnels sur des dynamiques de développement, au-delà des logiques de diagnostic où la difficulté finit par faire sens.

Toujours soucieux de décloisonner les publics, les professionnels de la culture ont la possibilité de créer des liens durables entre artistes, enfants, familles, éducateurs. Car les logiques qui visent à rechercher des « pourvoyeurs de spectateurs » les éloignent durablement du sens de leur métier.  En acceptant de co-construire des projets artistiques, de médiation (et non de présenter une plaquette pour recruter), théâtres, centres chorégraphiques, lieu d’art contemporain approchent le « spectateur » en devenir dans un contexte élargi puisqu’il intègre la famille et ses éducateurs. C’est l’articulation entre ces différents langages qui créée pour chaque acteur un nouveau lien à la culture. En apprenant ensemble à se connaître, se développe des processus durables de médiation avec des familles et des professionnels qui vont peu ou plus dans des lieux de culture. D’autant plus que les artistes trouveront dans les structures d’accueil de la petite enfance la motivation pour s’engager dans un projet artistique participatif, un désir d’être  accompagné pour ressentir les processus de créativité et s’éloigner du positionnement peu enviable de « consommateur » de spectacles collé au calendrier (Noël, Pâques et fin d’années).

En articulant « culture » et petite enfance, on pense le spectateur en mouvement. Ici, le lien se construit par la culture (et non plus seulement à partir de logiques normatives) et encourage une responsabilité partagée autour du tout petit. Le projet pédagogique n’est plus déconnecté de ce qui fait lien, les pratiques de guidance se substituent aux stratégies de prise de pouvoir où accompagner n’est plus surveiller.

Nous avons tous besoin de développer nos pratiques de coordination. Or, plus habitués à piloter du haut vers le bas, les projets complexes se nourrissent de maillages, d’amplification du collectif, d’intelligence par le réseau. Quand professionnels de la petite enfance, de la culture, du social et les artistes co-construisent, ils transmettent au tout-petit un mode de gouvernance qui le préparera à affronter les défis posés par la mondialisation. Et je formule un rêve : que les lieux d’éducation soient des résidences d’artistes. La croissance durable est à ce prix.

Pascal Bély - www.festivalier.net

A lire l'article de Marie-Hélène Hurtig, coordinatrice à Fuveau (13) sur son expérience au festival de Charleroi.

 

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 07:40

rhizome-world.jpg

« Culture, mise en réseau et développement des territoires » : voilà une articulation créative pour une sortie de crise par le haut. L’Observatoire des Politiques Culturelles a eu l’excellente idée d’organiser un colloque sur ce thème au Théâtre de Privas (07). Pas moins de dix-huit intervenants pressés de donner leur vision en dix minutes. En France, pour aborder le « complexe », on pose un cadre rationalisant quitte à utiliser une expression (« table ronde ») totalement dénaturée de son sens puisqu’elle est carrée, sur une estrade, où les interactions avec la salle sont réduites à la portion congrue. Ainsi, pour évoquer le transversal, on communique en verticalité descendante. Le mal français est là. Passé cette désagréable impression d’être au cœur de ce paradoxe, où le quantitatif dicte sa loi au qualitatif (là où le réseau les articule) on a pu compter sur les intervenants pour déjouer cette consigne absurde et donner à la thématique de la journée sa part de fragilité, d’humanité, d’envolées lyriques, de vision, de passion, mais aussi de provocation.

Le retour de l’Etat centralisateur.

D’autant plus que personne n’est tombé dans le piège de vouloir définir le réseau, même pas Alain Lefebvre, professeur émérite à l’Université de Toulouse-Le Mirail qui, profitant d’une panne de sa vidéo-projection, nous gratifia d’une intervention brève, humoristique et visionnaire. Tout juste apprenions-nous que « le réseau est un activateur de territoire, de projets, qu’il est complexe et qu’il pourrait participer à redéfinir les niveaux de compétences entre institutions ». Nous y voilà ! L’Etat, avec la réforme des collectivités locales, s’apprête à enlever la compétence culturelle aux conseils généraux. Ici, en Ardèche comme ailleurs, l’angoisse monte. Dans ce département rural, l’institution départementale est engagée dans une politique culturelle volontariste comme le rappelle son Président, Pascal Terrasse. Le centralisme se ferait-il une cure de jouvence en totale opposition avec le besoin d’une articulation dynamique entre le vertical et le transversal, portée par les territoires ?  Mais plus globalement, notre découpage administratif est-il pertinent à l’heure du réseau, alors qu’il le réduit bien souvent à une forme linéaire (donc contrôlante) pour une organisation rationnelle de l’information. Comme le rappelle justement Priscilla de Roo (chargée de mission à la DIACT), la France est un ensemble de « plaques territoriales d’attraction » qui déjoue bien des représentations : alors que le solde migratoire est de 0,83% l’an pour le rural, il n’est que de 0,14% pour l’urbain. Les villes sont tirées vers le haut par la dynamique de nos campagnes vues comme des terres d’interactions. « La carte n’est pas le territoire » serait-on tenté d’ajouter.

Pour un changement de gouvernance.

Au-delà de la réforme sur les collectivités locales, l’articulation « culture, réseau et territoire » promeut un nouveau modèle de gouvernance qui suppose d’inverser les prémices : là où les institutions influencent la forme des réseaux, il s’agit plutôt d’encourager les collectifs à accompagner les structures à changer d’organisation. C’est par la base des acteurs que nous transformerons nos institutions rigides et non plus par le haut, n’en déplaise à ceux qui demandent toujours plus d’Etat,  incapable d’animer la complexité. Il est temps de cultiver des bambous à côté de nos chênes centenaires ! Mais cela nécessite, comme le rappelle fort justement Olivier Bianchi, adjoint au maire en charge de la culture de Clermont-Ferrand et conseiller communautaire, que les acteurs culturels se (re) politisent en « apportant du sens, leurs enjeux, pour créer le rapport de force ». Bien vu.

Vive les collectifs pluridisciplinaires !

Cette nouvelle gouvernance sera donc encouragée par la dynamique des collectifs pluridisciplinaires d’où naissent des territoires élargis, à l’articulation du vertical et du transversal, du réel et du virtuel bouleversant les formes de la création. Pour Jean-Paul Fourmentraux, chercheur à l’EHESS, il faut substituer « à la liste descendante du générique d’un film », « la vision dynamique de la production ». À l’image du spectacle « Oscar, Pièce de cirque – Schlag ! Opus 2 » où officie Oscar, un acteur virtuel, fruit d’une collaboration entre Montréal, Chalon sur Saône, et Paris. Alors que de  nombreux élus réduisent leur politique culturelle à la seule construction d’une infrastructure, d’autres préfèrent créer un «environnement culturel » comme Palmira Archier (directrice de l’APSOAR) qui voit la décentralisation comme « un partage », où « l’espace scénique, c’est le maillage, seul capable d’intégrer les effets systémiques». En Catalogne, le « réseau transversal »,  qui fut au départ une revue culturelle, réunit aujourd’hui plusieurs collectivités.  Grâce aux nouveaux outils de l’information et de la communication, chaque théâtre diffuse des coproductions. Comme le rappelle Pep Fargas, le directeur de Transversal, « le réseau est un changement d’échelle qui permet d’aller vers des arts plus risqués ». En écho, une auditrice, constata que nous sommes loin de la vision de pas mal de scènes nationales en France qui voient le territoire comme un espace réduit de « vagabondage », de « nomadisme », d’ « itinérances » comme au bon vieux temps de l’après-guerre, « où la tournée c’était la province » !

Ainsi l’artiste ne serait plus seulement vissé à un espace géographique, mais inclut dans un territoire de partenariat englobé dans un territoire de projet ! Pour Donato Giuliani (responsable de la coopération eurorégionale et internationale pour la Région Nord-Pas-de-Calais), « le territoire de partenariat des années 90 est devenu aujourd’hui notre territoire de vie et d’activités ». Il va encore plus loin quand il déclare : « nous allons créer un réseau de régions pour dialoguer avec un réseau d’acteurs ». La dynamique des institutions est là !

Les réseaux pour une nouvelle société du savoir.

Mais plus généralement, l’articulation « culture, territoire, réseaux » nous prépare à une nouvelle société du savoir comme aime à le rappeler  Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque Municipale de Lyon, qui aura sidéré l’assistance par la vision de son propos. Pour lui, « la connaissance s’inscrit dans des lieux d’expériences et de socialisation, ce qui induit que nous n’avons pas tant besoin d’institutions savantes que d’acteurs capables d’accompagner un public acteur et pluriel ». Cela suppose « d’écouter le terrain dans ses comportements et ses expériences ». Seul le réseau permet de restituer la complexité du « bas » (la vison) pour la communiquer vers le « haut » (la visée)  et co-construire des parcours de savoirs, des produits de la connaissance. Cela nécessite de passer d’un régime de médiation hiérarchisé à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie. Ce pari démocratique suppose d’amplifier l’articulation entre la culture et le social. Christiane Audemard Rizzo, chef du service Culture et lien social au Conseil Général de l’Isère, en précise l’enjeu : « il nous faut inclure les populations dans le travail des professionnels d’autant plus que les réseaux zappent les filtres institutionnels. Alors que nous repérons toujours plus de solitude et de souffrance, nous avons à observer et à accompagner tout ce qui fait rupture de sens entre l’individu et la société ».

Soyons optimistes : au regard de ce colloque, praticiens, artistes et chercheurs avancent. Mais l’intervention de Philippe Fenwick, comédien, caricaturant bon nombre de propos de la journée, était là pour nous rappeler que notre pays, par ses rigidités et ses chasses gardées, a éloigné bon nombre d’acteurs, dont certains se complaisent aujourd’hui à regretter un passé qui les a pourtant tant isolés du « complexe ».

Pascal Bélywww.festivalier.net

« Culture, mise en réseau et développement des territoires »: colloque organisé par l’Observatoire des Politiques Culturelles au Théâtre de Privas (07) le 1er décembre 2009.

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